ÎLE COURTS : Magid et les destinées comoriennes

Le court-métrage de Mohamed Saïd Ouma a clôturé le festival Île Courts aux côtés de quelques autres films en cristallisant, autour de l’histoire de Magid, les diverses facettes de l’existence comorienne. La relation qui s’instaure en une vingtaine de minutes, entre l’enfant malade débarqué clandestinement à Mayotte et la jeune infirmière Sara, femme déterminée envers et contre le traditionalisme de sa mère, délivre un message d’ouverture et d’espoir pour l’île départementalisée…
Amin recueille son petit frère Magid, qui arrive d’une des îles de l’archipel des Comores sur une pirogue clandestine après avoir remis une somme d’argent, importante par rapport à ses maigres revenus, à un passeur. Tous deux vivent dans la clandestinité à Mayotte, cette île devenue département français en 2011 suite au référendum de 2009. Magid étant fragile et malade, Amin entrera en contact avec Sara, une infirmière mahoraise pour qu’elle soigne dans la discrétion.
À travers cette intrigue toute simple, différents aspects de  l’existence comorienne, telle qu’elle peut se dérouler à Mayotte, se font jour, et la relation qui se construit par petites touches entre la jeune femme, puis Amin et le petit Magid devient le moteur de cet esprit d’ouverture que prône l’auteur face au mal mahorais du repli sur soi et du rejet des frères des autres îles de l’archipel… Si Magid s’avère être un enfant attendrissant, il est aussi appelé le magicien pour ses qualités d’intuition et cette capacité à savoir d’instinct ce qui lui sera bénéfique. Laissant de côté l’aspect tragique de cette histoire et le risque du misérabilisme qui guette le scénario de l’enfant malade, qui plus est clandestin et exclu, ce film entend montrer que le salut se trouve dans l’ouverture à l’autre, dans les liens qui se tissent entre ces Comoriens aux existences et aux postures différentes. La jeune femme déterminée, et rebelle face au traditionalisme de sa mère, incarne l’être salvateur qui prend conscience de ses propres ressources et incarne l’espoir de chacun.
Plusieurs profils de Comoriens se dessinent dans ce film, chacun vivant dans des circonstances spécifiques, illustrant les destinées que les habitants de Mayotte peuvent connaître. Amin et Magid nous font vivre la clandestinité et l’univers de la rue auxquels les Comoriens sont voués quand ils franchissent les rives de Mayotte sans visa. L’infirmière partage les aspirations au libre arbitre d’une jeunesse mahoraise qui a fait ses études en métropole, et vit en appliquant des valeurs tout à fait différentes de celles que ses parents lui ont enseignées.
Sara l’insoumise
Cette jeune femme, qui semble mener sa vie avec beaucoup de détermination, choisissant de venir en aide aux laissés-pour-compte, et se plaçant de fait à contre-courant du rejet dont ils sont l’objet chez les gens bien installés, à l’instar de sa mère… Dans les moments où elle se retrouve seule, elle laisse apparaître la touchante fragilité de la combattante qui résiste quotidiennement pour survivre. Sa corpulente mère ne tarit pas de reproches et lui prêchant une bonne morale présentée comme conforme aux préceptes du Coran avec d’autant plus d’ardeur que sa progéniture s’en écarte en assumant parfaitement ses choix.
Dans l’excellente revue Mondes des cinémas, Mohamed Saïd Ouma confie à Mounir Allaoui que Sara incarne pour lui ce qu’il voudrait que Mayotte devienne « une belle insoumise, fière de sa différence, ouverte sur l’autre et sa famille naturelle… » quand cette île, qui a voté par référendum le rattachement à la France, semble aujourd’hui perdue dans une contradiction difficile à résoudre par rapport à l’archipel dont elle s’est dissociée tout en en restant partie intégrante, géographiquement et culturellement.
Le réalisateur affirme ne pas souhaiter aborder la question sous un angle politique, préférant accepter les quatre points de vue existant dans la réalité de l’archipel qui peuvent converger ou se disperser, et estimant que les enjeux actuels concernent avant tout les notions de liberté individuelle, d’émancipation et de respect de l’altérité… Ce film effleure, dans une scène, le thème de la misère sexuelle à travers la maladresse très directe d’un jeune homme dans une taverne et, aussi, le contraste entre jeunes éduqués ou peu formés, ainsi que la violence et la cupidité des passeurs en ouverture du film. Tout ici se déroule quasiment dans l’intimité, celle d’une chambre clandestine où Sara vient ausculter Magid, dans la cuisine où sa mère lui fait des remontrances, mais surtout dans cette façon de filmer les paroles et visages en pleine interaction, qui viennent combler le caractère assez elliptique de cette fiction, que l’on comprend mieux si l’on connaît par ailleurs le contexte dans lequel elle prend place.

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