ÎLE RÉPUBLIQUE: S’il était Président…

À maintes reprises, Navin Ramgoolam a exprimé son désir d’être un Président avec pleins pouvoirs, arguant qu’il aurait ainsi les coudées franches pour faire bouger les choses. Alors que le débat pour une deuxième République est enclenché, jetons un coup d’oeil sur les implications d’une telle présidence à Maurice.
Le système actuel ne donne qu’un rôle honorifique au président de la République. En allant vers une deuxième république et en modifiant la Constitution, le rôle du Président serait plus important. “Le Président deviendrait un acteur clé dans le fonctionnement de la démocratie mauricienne. Il nommerait – comme il le fait déjà – le Premier ministre, mais il pourrait exercer un certain contrôle sur les autres instances du pays, si une nouvelle loi lui accordait plus de pouvoirs”, souligne Cassam Uteem, ancien président de République. “Il prendrait de la hauteur, il pourrait nommer les personnes indépendantes sans être prisonnier des lobbys”, ajoute Jocelyn Chan Low, observateur politique.
Prises de décisions.
Un président de la République élu par le peuple ne sera pas prisonnier d’un parti. “Fondamentalement, un Président n’appartient à aucun parti, aucun groupe ethnique, religieux ou social. Il représente tous les Mauriciens. En revanche, se pose la question de la durée du mandat ou plus exactement de la concordance ou non-concordance des durées, ce qui peut donner lieu à des cas de cohabitation”, souligne Jean-Claude Lau, sociologue.
Jocelyn Chan Low précise qu’élire un président avec plus de pouvoirs privilégiera le bien commun sur le bien de groupes. “Si c’est clairement défini, les risques de confrontation seront moindres. Le système parlementaire est tel que les partis ont tendance à tourner autour d’eux-mêmes et ne représentent finalement que les intérêts de groupes. Le résultat est que le bien commun est oublié.”
La différence pourrait se faire lors des prises de décisions de l’État, si l’on en croit Jocelyn Chan Low. Selon ce dernier, élire un tel Président pourrait accélérer les prises de décision. “Avec le système actuel, il y a beaucoup de blocages au niveau des prises de décisions.” Cassam Uteem estime qu’en attribuant des pouvoirs additionnels au Président, comme la conduite de la politique étrangère du pays, la nomination des membres du judiciaire et de certains corps parapublics, cela apportera plus d’équilibre et évitera la concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne, même si celle-ci est élue par le peuple. Il assure que c’est la démocratie qui en sortira gagnante.
Partage des pouvoirs.
Il sera important de délimiter les rôles du Président et du Premier ministre. D’abord, par le mode d’élection de chacun. Dans notre système électoral actuel, c’est le Premier ministre qui est élu au suffrage universel alors que le président de la République est élu par l’Assemblée nationale. Si on veut accorder plus de pouvoirs au Président et faire de lui le chef de l’État, c’est lui qui devrait être élu au suffrage universel.
Ensuite, les rôles de chacun devront être délimités. “Sur la base d’un suffrage universel, la légitimité est la plus totale. Le Président représente toute la nation, dans toutes ses composantes. Il est censé représenter la nation dans sa totale plénitude et aussi dans sa pérennité. Cette question est donc nécessairement liée au système des élections. En général, lorsque, comme en Inde ou à Maurice, le Président est issu d’une élection à deux étages, son rôle est plus symbolique, avec des pouvoirs plus limités. En revanche, lorsqu’il est directement issu du suffrage universel, ses pouvoirs sont en général plus étendus : c’est le système présidentiel”, analyse Jean-Claude Lau.
“S’il n’y a pas de changement fondamental dans l’élection du Président, il n’existera aucun risque de pouvoir bicéphale à la tête du pays. Le Premier ministre et son Cabinet décideront de la politique – sociale, économique, culturelle et étrangère – du pays et le Président conduira la politique étrangère, par exemple. Pour le bien du pays et le bon fonctionnement de la démocratie, il ne faut avoir qu’un chef élu au suffrage universel. Il faut en même temps un partage équitable de pouvoirs entre les deux plus hautes instances du pays, sans toutefois changer la nature du système politique”, soutient Cassam Uteem.
Valeurs démocratiques.
Jean-Claude Lau avance qu’il nous faut saisir que le régime politique que nous avons à Maurice ne correspond pas à la réalité socio-économique actuelle, d’où la nécessité d’une autre république. “Lorsque l’actuelle Constitution avait été rédigée, elle émanait d’une série de considérations, comme la garantie que toutes les communautés soient représentées – d’où le Best loser system – , le respect de la séparation des pouvoirs, la possibilité de faire appel au Privy Council de Londres. C’était en quelque sorte une Constitution garde-fou. Étant donné ce qui s’était passé dans d’autres pays nouvellement indépendants de l’époque, il fallait prévenir des risques de persécutions, d’émeutes raciales ou ethniques. Or, aujourd’hui, l’expérience nous montre que même s’il existe parfois ces risques, l’intériorisation des valeurs démocratiques par les Mauriciens est très poussée. Les derniers signes de monopolisation du pouvoir datent des années 70, et même cela s’est fait dans le respect de la Constitution. La situation économique également a changé et la structure économique tend de plus en plus à être proche d’un pays développé. Il y a donc nécessité d’une autre république qui réponde à cette nouvelle situation et des exigences de best practices dans l’exercice des pouvoirs (participation citoyenne notamment dans les institutions, possibilité de recours, etc.)”

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -