Inde : la chute rocambolesque du « roi du dosa »

Le destin de P. Rajagopal a tous les ingrédients d’une bonne saga: ce pionnier de la restauration rapide végétarienne d’Inde du Sud, parti de rien et possédant aujourd’hui des établissements aux quatre coins du monde, s’apprête à finir sa vie en prison pour l’assassinat d’un rival amoureux.

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Toujours de blanc vêtu, un signe hindou au front, le « roi du dosa » (grande crêpe croustillante typique de la cuisine sud-indienne) voit à 71 ans sa carrière finir sur une note amère. Fondateur il y a quarante ans au Tamil Nadu de la chaîne Saravana Bhavan, celle-ci brasse à ce jour plus de 80 enseignes à l’international, de la gare du Nord à Paris aux rues new-yorkaises de Manhattan.

Mais en mars dernier, la Cour suprême indienne a confirmé sa condamnation à perpétuité pour avoir fait tuer, en 2001, le mari d’une femme qu’il voulait prendre comme troisième épouse. À bout de recours judiciaires, Rajagopal a jusqu’au 7 juillet pour se présenter aux autorités pénitentiaires. Ses repas, jusqu’à la fin de ses jours, il les prendra en cellule.

« Rajagopal est un exemple de comment vous pouvez grimper les échelons de la société en travaillant dur et en sortant des sentiers battus », explique G. C. Shekhar, journaliste pour le magazine Outlook à Chennai, capitale du Tamil Nadu. « Ce qui l’a mené à sa chute est son faible pour les femmes et sa conviction qu’il était si puissant qu’il pouvait faire assassiner quelqu’un et s’en tirer. »

– Démocratisation –

Issu de la basse caste des Nadars, ce petit épicier pieux a ouvert en 1981 son premier Saravana Bhavan à Chennai (alors appelée Madras), à une époque où les Indiens préféraient manger chez eux et n’avaient guère la culture de sortie au restaurant. Sa formule ? Une hygiène et une qualité de nourriture irréprochables.

Dosas, uttapams, idlis, pongals… Les Saravana Bhavan ne servent que des plats végétariens qui se veulent aussi sûrs et savoureux que s’ils avaient été cuisinés à la maison. « Les gens disaient +si je vais manger à Saravana Bhavan, ça ne me donnera pas mal au ventre+ », raconte D. Suresh Kumar, journaliste au quotidien The Hindu.

Bien vite, la marque se fait un nom et ses restaurants se multiplient comme les coupelles d’un thali (grande assiette composée de nombreux petits plats). Les Tamouls s’y pressent, notamment pour son sambar (soupe de poix et légumes) et son café typiques, et ce malgré des prix plus relevés que ceux des gargotes traditionnelles.

« Si une famille de la classe moyenne basse voulait sortir, se faire plaisir ou célébrer un événement, Saravana Bhavan était l’endroit où aller. Avant, seules les classes moyennes supérieures et les classes plus élevées pouvaient se payer un bon restaurant. Cet homme a en quelque sorte démocratisé les restaurants », indique G. C. Shekhar.

Contre des salaires généreux et de nombreux avantages sociaux, Saravana Bhavan attend en retour de ses employés qu’ils offrent un service et une apparence impeccables, quitte à leur payer une séance de dentiste ou à les envoyer se couper les ongles.

L’armée de serveurs en uniformes est si dévouée au patron que ses salariés l’appellent « Annachi » (« grand frère » en tamoul). Dans ses restaurants, on trouve généralement, non loin des représentations de dieux hindous, deux photos de Rajagopal: l’une avec ses fils, qui ont pris sa relève à la tête du groupe, l’autre avec son gourou.

– Des dosas aux pizzas –

Mais à l’aube des années 2000, alors que Saravana Bhavan connaît son âge d’or et étend son petit empire végétarien à l’international, l’histoire personnelle de Rajagopal tourne au vinaigre.

L’entrepreneur se met en tête, possiblement sur les conseils d’un astrologue, de prendre comme troisième épouse de fait la fille d’un de ses employés. « Il était obsédé par elle », rapporte D. Suresh Kumar.

Mais la jeune femme, déjà mariée, repousse ses avances et ses promesses de la couvrir d’or. Menaces, passages à tabac, séquestrations, rites d’exorcisme: pendant des mois, Rajagopal harcèle le mari, la femme et sa famille pour qu’elle quitte son compagnon.

Quand il ordonne une première fois à l’un de ses hommes de main de se débarrasser de l’époux, le sbire prévient ce dernier et lui conseille de fuir. À son maître, l’exécutant assure avoir tué le mari en le ligotant à des rails avant le passage d’un train.

Mais le mari, bien vivant, et son épouse retournent voir le restaurateur pour implorer sa pitié. Quelques jours plus tard, le corps de l’époux sera retrouvé dans un massif du Tamil Nadu, étranglé.

Si les Saravana Bhavan à l’étranger font toujours saliver une diaspora indienne en mal de pays, la chaîne connaît cependant aujourd’hui une certaine désaffection dans sa région natale. Avec l’ouverture de l’Inde au monde, le niveau de vie s’est élevé, les pratiques culinaires ont évolué.

Aux débuts de Saravana Bhavan, « les pizzas, burgers ou sandwichs étaient introuvables » en Inde, explique D. Suresh Kumar de The Hindu. « Aujourd’hui à Chennai, vous avez accès à de la cuisine africaine ou européenne. Maintenant les gens veulent essayer d’autres choses. »

amd/cn  

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