INDE : LA PEINE DE MORT POUR LES VIOLEURS DE DELHI, Il faut développer une autre culture

La sentence a été prononcée. Vendredi 10 septembre 2013, la Haute Cour de Delhi a condamné à la peine capitale les quatre hommes qui avaient en décembre 2012 violé et tué une jeune fille de 23 ans dans un autobus à Delhi. Le public lui donna le nom de Nirbhaya qui signifie « the fearless one ». Quant au jeune âgé de 16 ans, il n’a écopé que de trois ans de prison, la peine maximale pour ce crime commis par les mineurs. Un cinquième suspect s’est donné la mort dans sa cellule.
Ce crime suscite toujours des débats sans précédent en Inde, au sujet des violences sexuelles, de l’indifférence des tribunaux et des forces policières ainsi que sur la peine capitale. Vu la colère populaire, le gouvernement avait rapidement mis sur pied la commission Verma pour étudier et soumettre des recommandations afin de réduire la croissance des viols et des atteintes aux droits des femmes en Inde. Cette commission a, entre autres, recommandé, une réforme des lois traitant des violences sexuelles ainsi que la mise en oeuvre des réformes importantes au sein du système judiciaire et de la police. La commission n’a toutefois pas recommandé la peine capitale pour les violeurs estimant que ce serait une mesure rétrograde. Le code pénal indien a été amendé pour incorporer plusieurs des recommandations de la commission mais a inclus la peine capitale pour des cas extrêmes et en cas de récidive.
Les parents de la jeune fille, plusieurs médias, un grand nombre d’organisations de femmes, des politiciens, des religieux, une très grande majorité de citoyens avaient exigé la peine capitale pour les accusés. Il n’y eut qu’une infime minorité, tels que la branche Indienne d’Amnesty International et Human Rights Watch qui en étaient opposés et réclamaient une sentence très longue et sévère pour ce type de crimes.
De par le monde, la peine de mort a toujours suscité des débats très passionnés. Victor Hugo fut un fervent abolitionniste. Au 19e siècle, Il écrivit « partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne ». Pour Jean Jaurès, philosophe et député de centre gauche en 1890 « la peine de mort est contraire à ce que l’humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêvé de plus noble ». Mahatma Gandhi exprima son opposition en des termes très graphiques « oeil pour oeil est une loi qui finira par rendre le monde aveugle ».
 En 1981, François Mitterrand fit de l’abolition de la peine de mort, sa promesse de campagne pour l’élection présidentielle. Élu à la présidence, il nomma l’avocat Badinter, combattant inlassable de l’abolition de la peine de mort, garde des sceaux. Ce dernier présenta et défendit le projet de loi avec verve, force et conviction. Face à une opinion publique très divisée sur la question, il eut des propos très percutants et justes « Qu’un crime atroce révolte l’opinion publique, et l’instinct de mort se réveille en nous. C’est pourquoi l’abolition est une des rares victoires morales que l’humanité puisse remporter sur elle-même ». Et il ajouta, « la peine de mort n’est pas la justice, c’est l’échec de la justice. La peine de mort n’est pas un instrument utile à la lutte contre la criminalité. La peine de mort est la justice qui tue ».    La loi dépénalisant la peine de mort fut votée le 9 octobre 1981.
La peine de mort recule, plus de deux tiers des pays du monde, l’Ile Maurice incluse, ont aboli la peine de mort en loi et dans la pratique. Cependant, en Inde, la plus grande démocratie du monde, la peine de mort reste en vigueur et cela n’empêche pas la recrudescence des violences meurtrières contre, entre autres, les femmes et les castes dites inférieures. Une enquête de la fondation Reuters établit que l’Inde est le 4e endroit le plus dangereux au monde pour les femmes.
 La peine de mort est une violation des droits fondamentaux de l’être humain : le droit à la vie comme garanti par la Déclaration Universelle des droits de l’homme. C’est un châtiment cruel, inhumain et sans appel. C’est peut-être difficile de ne pas réclamer la mort de l’assassin quand son enfant, un proche, un être aimé a été victime mais la justice a l’obligation de prendre du recul devant le crime. Elle se doit de rester lucide et non émotionnel devant l’horreur des crimes. Il ne faut pas ressembler aux criminels que l’on juge. La vengeance est une forme d’anti-justice parce qu’elle est motivée par la colère, la passion, le« gut reaction ». Ces sentiments triomphent sur la raison et on ne réclame pas que justice soit faite mais qu’à son tour, la justice tue. La loi du Talion n’est pas la justice, ce n’est que de la vengeance, le coup pour coup, un oeil pour un oeil, une dent pour une dent.
Contrairement à l’opinion publique, la peine capitale n’est pas une sanction dissuasive. Selon plusieurs études, le taux de meurtre n’était pas nécessairement moindre dans les pays qui ont adopté cette forme de punition ultime. Aux États-Unis, le nombre d’assassinats est plus élevé dans les états qui pratiquent l’exécution capitale que dans ceux qui y ont renoncé. Et, dans le couloir de la mort, les noirs sont proportionnellement plus représentés que les blancs.
Le juge A.P. Shah, ancien président de la haute cour de Delhi, pense que la peine de mort est discriminatoire. A une question d’Amnesty International, il répond : « En Inde, ce sont dans une grande majorité des cas impliquant les pauvres et les opprimés – victimes de préjugés de classe – qui débouchent sur une condamnation de mort. On voit rarement une personne riche monter à la potence. Il est donc manifeste que la peine de mort est discriminatoire…. Ce qui la rend anticonstitutionnelle ».
On ne peut aussi exclure totalement les erreurs judiciaires. La justice est humaine donc faillible et l’erreur judiciaire existe. Selon un rapport d’Amnesty International, en date de 2007, depuis 1973, 123 personnes condamnées à mort aux États Unis ont été libérées après que la preuve de leur innocence a été faite.
La justice doit punir ces crimes sévèrement mais la mise à mort n’est pas une solution digne. La peine capitale, une mesure draconienne et sans appel ne fera pas disparaître ou même diminuer ce crime. Cette sentence peut apaiser la colère populaire mais elle n’est pas la solution. Elle ne mettra pas fin au viol.
 Comme toute autre forme de violence envers la femme, le viol s’inscrit dans une culture, des traditions, des idéologies qui infériorisent, culpabilisent la femme et la réduisent souvent au statut d’objet sexuel. Il faut développer une autre culture, qualitativement différente qui respecte et protège la femme. Ne pas violer les femmes, en temps de guerre comme en temps de paix, dans la rue comme dans la maison requiert une panoplie de mesures : législative, policière, légale, culturelles mais surtout une révolution des moeurs, un changement radical du regard de l’homme et de la société sur la femme. Il n’y a pas de solution facile et on ne peut se permettre des raccourcis dans cette lutte qui s’inscrit au coeur de la civilisation humaine. Au-delà de la peine capitale, le viol de Delhi a provoqué, fort heureusement, quelques débats très sérieux sur la condition de la femme. Un nombre croissant de femmes ose maintenant rapporter les cas d’agressions sexuelles. Le cas de Nirbhaya a aussi suscité de vives réactions au Pakistan, pays où la majorité de cas de viols ne sont pas rapportés et les condamnations pour les crimes contre les femmes sont très rares. Le 15 septembre 2013, un juge de la cour suprême de Lahore a ordonné à la police de soumettre un rapport, sur le viol en réunion d’une fille de cinq ans, au plus vite.
 La lutte de la société civile contre cette violence est enclenchée et les ONG demandent à ce que le gouvernement tienne sa promesse de soutenir toute action qui vise à mettre un terme à ce qu’ils appellent« the culture of rape ».
Que le glas sonne enfin pour cette culture de viol en Inde et partout ailleurs!
………..

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -