INDUSTRIE TOURISTIQUE: Les petits opérateurs dans le rouge

Sale temps pour les petits opérateurs touristiques. Sale temps, non pas en raison du froid, mais en raison de la pire basse saison à laquelle ils doivent faire face actuellement. Avec des arrivées touristiques non florissantes, en raison de la saison, mais aussi de la crise financière mondiale, depuis plusieurs mois, les activités ont été réduites, disent-ils. D’autres facteurs, dont les All-Inclusive packages, prônés par les hôtels, qui en sus de brader leur prix font que désormais les touristes n’ont pas à se déplacer durant leur séjour, provoquent une crise sans précédente du côté des petits opérateurs. Certains estiment d’ailleurs qu’au train où vont les choses, les répercussions se feront sentir principalement au niveau des employés.
Depuis le début de l’année, l’inquiétude est croissante pour les petits opérateurs du secteur touristique. Le climat qui prévaut dans le secteur n’augure rien de bon, disent-ils, et cet hiver n’arrangent en rien ls choses. Si la basse saison est généralement une saison morte, avec moins d’arrivées touristiques que durant les autres mois de l’année, les petits opérateurs sont unanimes à dire que « c’est le pire hiver que nous avons connu ». Si le taux de emplissage dans les grands hôtels avoisinent en ce moment les 60%, et encore avec des séjours de nombreuses familles mauriciennes, chez les petits opérateurs, notamment les hôtels trois étoiles et autres bungalows, ce chiffre est descendu en dessous de 50%. Idem au niveau des activités liées au tourisme, les chauffeurs de taxis parlant d’une baisse de plus de 60% de leur activité, les boutiques commerciaux soutenant une baisse d’au moins 75%. Idem au niveau des plaisanciers et les restaurateurs qui souffrent d’un manque à gagner de 60 à 70% ou encore des tours opérateurs qui ont vu leurs activités réduites à 40%.
La situation est alarmante, s’accordent à dire tous ceux que nous avons rencontrés. « Chaque hiver, nous sommes préparés à une baisse de la clientèle. Mais cet hiver, c’est pas une baisse que nous notons, c’est une énorme baisse », dit Prem. B, un chauffeur de taxi. Il fait ressortir que depuis quatre à cinq mois, sa voiture ne sort presque plus de l’aire de stationnement. « Auparavant, nous faisions en hiver trois à quatre sorties par semaine, mais en ce moment, nous sortons une fois chaque dix jours », dit-il. Même propos de Vikash, chauffeur de taxi depuis une dizaine d’années. « La situation est très difficile. Il n’y a pas de clients. Travay inn tombé net », dit-il.
Au niveau des plaisanciers, le refrain est le même. Jean-Claude Dardenne dit avoir noté une baisse d’au moins 60 % quotidiennement des touristes souhaitant visiter l’Ile-aux-Cerfs. « Si en été nous travaillons avec quelque 200 à 300 clients par jour, en hiver, généralement, nous avons une centaine, voire 80 clients qui veulent aller sur l’île. Actuellement, c’est à peine si nous avons une trentaine de clients », dit-il. Une situation si critique qu’il peine à payer des employés, confie-t-il.
Les magasins « pe bat lamok », disent les responsables. Effectivement, les boutiques sont désertes. A Arsenal, les commerçants notent que depuis quatre mois, les ventes ont baissé. Le manque à gagner est estimé à au moins 60 %. « Nous savons que durant la basse saison, les ventes chutes. Mais en 2012, c’est pire », disent-ils. Idem du côté des restaurateurs. « Il y a deux ou trois clients au déjeuner, et trois ou quatre dans la soirée. Mais c’est la quantité habituelle durant cette période. Là, les affaires vont très mal », dit un restaurateur de Grand-Baie qui a souhaité garder l’anonymat. Le responsable d’un restaurant spécialisé en cuisine mauricienne à La Gaulette abonde dans le même sens, indiquant que « les clients se font de plus en plus rares. Nous avons quatre à cinq assiettes chaque jour, contre une dizaine en générale durant la basse saison, et une vingtaine, ou plus durant l’été ».
Muniswany Anenden, propriétaire du Kiosque Magique du côté de Mon-Choisy, parle également d’un manque à gagner de 60 à 70 %. « Pe bizin kass prix car tourist napli guet kalité nourriture, me seki zot poss kapav payé », dit-il. A la Galerie Le Grand Voilier, dans le Nord, Dominique Carré, responsable de la boutique, explique également que « cet hiver, c’est encore plus froid que les autres hivers. Les ventes ont baissé de 75 % ». Ceux qui visitent la boutique ne sont pas des touristes acheteurs. « Ce sont des touristes qui regardent », dit-il.
Même situation du côté des réceptifs qui ont du mal à faire tourner les véhicules. « Des fois, notre flotte reste des jours au garage car nous n’avons pas de touristes à véhiculer », indique un des opérateurs. Un de nos interlocuteurs, qui possède plus d’une trentaine d’années dans le secteur, indique que « la situation est critique. Nous sommes très pessimistes car la plupart d’entre nous roulent au ralenti. Certains ne roulent presque pas ». Il indique également que les touristes qui viennent à Maurice ne sont pas des touristes haut de gamme. « Ils n’ont pas recours à nos services, préférant voyager par le bus. Et ceux qui sont dans les hôtels, préfèrent rester dans les hôtels », explique-t-il.
Tsunami
Ainsi, outre la baisse des arrivées touristiques imputée non seulement à la crise financière mondiale, mais aussi aux événements d’envergure sur le plan européen dont la Coupe d’Euro, ou les Jeux Olympiques…, la situation dans le secteur s’explique selon les petits opérateurs par le fait que « les touristes ont trouvé un autre mode de vacances ». Il s’agit du All-Inclusive Packages, une formule qui permet au client de tout payer en une fois, et comprenant outre le logement, la nourriture et les activités. Ce type de séjour entièrement planifié et encadré du début à la fin par le personnel de l’hôtel, fait que les touristes qui optent pour cette formule ne sortent pas beaucoup des hôtels. D’où le manque à gagner des petits opérateurs.
Si les petits et moyens opérateurs parlent de crise et de situation très critique, le ministre du tourisme, Michaël Sik Yuen, est d’avis que « nous avons certainement des hôteliers qui se plaignent. Toujours est-il que certains font très bien. Il y a une bonne dizaine, notamment Four Seasons, Preskil et Intercontinental, qui affichent un taux de remplissage de 90% en cette saison dite basse ». Et selon le ministre, « il n’y a pas de saison basse ». Selon lui « la saison basse existe parce que nous nous concentrons sur un seul marché. Quand c’est la saison creuse pour nous, ça ne l’est pas pour certains. Voilà pourquoi, il faut aller vers les marchés émergeant ».
Tourisme de masse
Or, pour les opérateurs, ces touristes des marchés émergeants ne sont pas forcément ceux qui dépensent le plus. Qui plus est, disent-ils, « les hôtels de luxe bradant de plus en plus les prix pour attirer davantage de touristes à Maurice, fait que nous disposons d’un profil de touristes de masse qui ne dépensent pas ». « Les touristes qui sont là sont ceux qui ont réussi à économiser pour des vacances lointaines. Ils sont là que pour se reposer et n’ont pas les moyens pour dépenser », notent les opérateurs. « Avec la formule All-Inclusive, les touristes font tout à l’hôtel. Ils ne vont pas découvrir les restaurants en dehors de l’hôtel », explique José Hitié, directeur du restaurant Varangue sur Morne. Il est d’avis que « le all-inclusive est un tsunami pour les petits opérateurs. Cela ne nous profite nullement. Au contraire ». Christian Lefèvre, directeur de l’agence Coquille Bonheur abonde dans le même sens. « La baisse de nos chiffres d’affaires est flagrante. Et c’est principalement dû aux All-Inclusive, un mal pour l’industrie dans son ensemble », dit-il.
Les petits opérateurs indiquent ainsi avoir du mal à tenir la tête hors de l’eau. Certains soulignent qu’avec les difficultés actuelles, les conséquences se font sentir principalement au niveau de l’emploi. Déjà, certaines agences n’optent plus pour les freelancers. « Mais avec cette situation, ce sont tous les emplois qui sont menacés. Les entreprises n’arrivent pas à joindre les deux bouts », indique un réceptif. Pour les opérateurs, il est grand temps de donner un coup de pouce aux petits et moyens opérateurs dans ce secteur principalement contrôlé par les grands groupes. Ceci, de la promotion à l’étranger de la destination jusqu’à toutes les activités impliquant les touristes, de l’arrivée au départ.
Promotion du tourisme mauricien et pas uniquement des hôtels
Déplorant la stratégie de marketing de la MTPA et des hôteliers, les petits et moyens opérateurs souhaitent l’émergence d’une promotion commune pour notre tourisme. « Lorsque nous faisons une campagne promotionnelle, ce n’est pas uniquement l’hôtel que nous vendons. Nous devons vendre le tourisme mauricien. C’est un ensemble qui fait le tourisme », dit José Hitié. Les autres opérateurs abondent dans le même sens, indiquant que « quelqu’un qui veut visiter le pays pour la première fois, doit découvrir l’île Maurice, et non pas tel ou tel hôtel. Le All-Inclusive ne permet pas aux touristes de découvrir notre culture et ce qui fait réellement la beauté de notre pays ». Il suggère, par exemple, que les hôtels qui font leur promotion, émettent des vouchers dans leur package en vue de faire découvrir les restaurants ou autres activités en dehors des hôtels. « Les touristes pourront ainsi voir ce qui fait réellement Maurice. découvrir notre cuisine, l’écotourisme, la culture… », dit-il.
D’autres opérateurs font également ressortir qu’il est urgent de reconsidérer la stratégie de marketing ainsi que l’image réelle de Maurice que nous souhaitons promouvoir auprès des étrangers. Le président de l’AHRIM, François Eynaud, abonde dans le même sens, faisant ressortir que « Maurice a perdu beaucoup de son attractivité et d’autres destinations font beaucoup mieux que nous, même durant cette crise européenne ». L’étiquette de « tourisme de masse qui fait fuir une partie de notre clientèle haut de gamme qui ne perçoit plus Maurice comme une destination exclusive doit prioritairement être revue », estiment les petits opérateurs. Ils estiment primordial pour tous les opérateurs de la destination de travailler ensemble pour s’assurer de taux d’occupation corrects pendant toute l’année en vue de positionner Maurice comme une destination leader sur la carte mondiale du tourisme. Toutefois, cette ambition nécessite une offre constante des meilleurs produits et services, et cela, avec la contribution de chaque opérateur, de l’arrivée au départ du touriste qui aura découvert l’île Maurice dans son intégralité à travers les différents prestataires de services.

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