Inondations à Cottage : “Enn coup en traître, dilo là inn monter”

Après Gokoola, Rivière du Rempart, Sainte-Croix, Cité La Cure, Poste de Flacq, Montagne-Blanche, Albion, l’Amitié, Fond du Sac, villages inondés par une montée rapide des eaux en début d’année, au tour de Cottage d’être surpris par les crues, lundi dernier. Une situation effrayante et désespérante pour les victimes témoins que “enn coup en traître, dilo là inn monter.” Une scène apocalyptique. Une semaine après, ayant tout perdu, les habitants de Cottage tentent de se reconstruire avec le soutien de nombreux volontaires des quatre coins de Maurice. Mais c’est avec la peur au ventre qu’ils regardent désormais le ciel. “Pas koner si sa pou ré-arriver”, disent-ils. Et de réclamer des mesures urgentes des autorités pour régler le problème de drains non seulement à Cottage, mais dans l’ensemble de l’île. “Pas kapav enn ti lapli tombé, enn villaz débordé! Mauriciens bizin viv en sécurité dans zot lacaz”, disent-ils, craignant les prochaines grosses averses.

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Jeudi, midi. À Forbach Lane, Cottage, c’est l’agitation. Enfants et adultes sont dans les rues. Ils se dirigent vers une 4×4 stationnée dans la rue. Non, il n’y a pas d’accident. C’est simplement une distribution de pains fourrés. Ce sont quelques employés de l’hôtel Le Mauricia de Beachcomber qui distribuent à manger aux victimes des inondations de Cottage. “Ale prend tou, garder. Kan to mama vini, li pou gagner”, dit une dame à un garçonnet. Un peu plus loin dans l’angle de Forbach Lane, c’est le chauffeur d’un taxi de Stanley Rose-Hill qui distribue des take-away de briani. “Guetter couma ena volontaires pe aide nou”, dit un habitant.

En quelques minutes, la rue se vide pourtant. Les habitants, les bras chargés de baguettes et de take-away, sont rentrés chez eux, pressés de remettre leur maison et leur cour en état.

“Me li extra dir, pa facile”, dit Radha Chatooah. Cette mère de famille qui habite depuis plus de 30 ans Forbach Lane, connu comme cité CHA, est encore sous le choc. “Tou monn perdi, nanien pas resté. Tou commission, manzer ti baba, tou inn ale dans délo”, dit-elle.

Cependant, elle lève la main au ciel et remercie Dieu. “Bondié inn aide nou. Sinon, moi aussi, ti baba tou ti pou fini aller dans sa délo là”, dit-elle. Elle ne peut contenir ses émotions. Les larmes lui montent aux yeux lorsqu’elle repense à ce lundi 10 décembre.

“Vague là pe vinn lor nou”

“Zame inn arrive, sa!”, dit-elle. Comme tous les habitants de la localité, elle a eu la peur de sa vie. “Enn sel cout, délo inn desann. Enn gros pression délo pe monter même”, dit Radha Chatooah. Ce jour-là, elle surveille sa petite fille âgée de 8 mois. Il est 15h quand, légèrement fatiguée, elle décide d’aller faire une sieste avec sa petite-fille. Il pleuvait un peu. Elle s’installe dans son lit mais arrive difficilement à trouver sommeil. “Enn zafer, couma enn ti tapaz, ti pe fatig moi”, raconte-t-elle. Elle s’efforce à dormir, en vain. Le bruit est trop fort. “Monn levé monn ale par la fenet pou écouter. Depi loin, mo trouv delo pe vini. Mo pann kass latete”, poursuit-elle. Son bébé dans les bras, elle regarde toujours par la fenêtre lorsque, tout à coup, elle comprend que “vague là pé vinn lor nou.” Prise de panique, elle se réfugie dans une chambre et appelle sa fille Priya. Elle est toujours au téléphone lorsqu’elle voit l’eau commencer à monter dans la cour.

Souffrant d’hypertension, elle craint pour sa vie et celle du bébé. Elle appelle alors un homme religieux qui la rassure. “Délo la ti pe monter même. Monn commence prier. Parski mo ti pe per ki pou arrive moi ek mo ti bébé. Mo pe truv zenfan so dilait pe flotter. Délo ti fini arrive la moitié frizider. Diriz, ration, linz, tou ti pe noyer”, raconte Radha Chatooah. Au-devant de cette scène apocalyptique, elle se réfugie à l’étage de la maison encore en construction. “Rezma ena létaz. Sinon kot mo ti pou aller avec sa bébé là dan mo lebra?”, se demande-t-elle.

Sa fille Priya, elle, est toujours bloquée en chemin. La montée des eaux a créé une rivière, empêchant les véhicules de circuler. “Je suis descendue beaucoup plus haut. De là où j’étais, on pouvait voir comment l’eau avait envahi les cours. J’avais peur pour mon bébé qui était avec ma mère”, raconte Priya. Avec l’aide de ses voisins et malgré la mise en garde de certains, elle réussit à s’agripper aux murs et parvient à sa maison. Elle rejoint vite sa mère et son enfant, mais elle entend hurler ses deux chiens restés bloqués dans l’arrière-cour. Ne pouvant imaginer de les laisser se noyer, elle s’agrippe à nouveau au mur et descend les sauver. De justesse, Priya parvient à les ramener à l’étage.

Pendant plusieurs heures, sa mère, son bébé et ses chiens restent cloîtrés à l’étage.

L’eau redescendra plusieurs heures après, mais entre-temps, la maison des Chatooah, comme celle d’autres voisins, est sens dessus dessous. “Tout finn déviré. fauteuil, buffet, ration, linz… lacase ti enba la-haut!” Impossible de passer la nuit dans cette maison en désordre et où l’eau ruisselle encore. Les Chatooah se rendront ainsi à Petit Raffray chez un autre fille de la famille, Pooja.

“Mo ti pe noyer”

“Pa zis nou ki pe souffer. Lot côté semin ena pire”, dit Radha Chatooah. Et c’est peu de le dire. Chez les Bodloo, à Veerasawmy Road, la maison est dans un grand désordre. Des proches et des voisines sont venus donner un coup de main à Sonee Bodloo. Sa maison est envahie par les eaux. En larmes, elle raconte: “Nou ti pe noyer. Boucou laper monn gagner. Rezma mo belle-fille inn ressi casse la porte.” Ce lundi-là, elle s’affairait au ménage. “Nou ti zis nou dé dan lacaz. Mo belle-fille ti pé cuit manzer par derrière avant li ale travay”, dit-elle. Soudain, elles entendent une vague. “Zamé inn trouvé sa. Délo là nek inn rentré inn casse vitre”, dit-elle. Encore sous le choc, elle raconte comment elle et sa belle-fille Savita ont bravé les eaux pour sortir. “Moi mo ti pe crier parski délo là ti pe monter même. Mo ti pe noyer. Mo belle-fille inn fer tou pou sov moi. Tou ti pe flotter dans lacaz”, dit Sonee Bodloo. Avec beaucoup de courage, elles parviennent à sortir, mais dehors, c’est tout aussi cauchemardesque. “Délo couma dir la mer”, dit-elle. “Ziska là”, dit-elle en montrant son avant-bras. Heureusement, des proches accourus du village d’Espérance parviennent sur les lieux pour sortir ces deux dames de leur cour. “Boucou crier noun crier. Bann dimoun ti occuper zot osi kot zot, délo là ti partou. Personne pa ti pé tann nou”, se remémore Sonee. Ce soir-là, elles dormiront chez des proches comme beaucoup d’autres habitants de la localité.

Le lendemain, elles reviennent chez elles pour constater avec effroi qu’elles ont tout perdu. “Tou inn fini noyer”, dit Sonee Bodloo, “sofa, vaisselle, frizider, lelit… tou nou zafer inn fini!”

La police est venue faire un constat. Elle a pris des photos et fait remplir des formulaires. “Ou croire ki seki nou finn construire are nou la sueur pou kapav regagner?”, demande Sonee. Et d’indiquer que c’est la première fois qu’un tel malheur s’abat sur Cottage. “Nou finn dejà gagne inondation, mé sa kalité là, prémier fois. Lot fois, délo ti arrive ziska cheville. Là, li ti pé monter même.”
Sudesh Guness abonde dans le même sens. Ce lundi fatidique, il devait fêter son anniversaire.

En raison du mauvais temps, également à Choisy, ce maçon décide de rentrer plus tôt à la maison. Il va dans sa chambre pour une sieste. Il est aux alentours de 15h quand son fils, à l’étage, lui envoie un message pour lui dire qu’il voit l’eau arriver de plus haut. “Letan mo ale guetter, mo tann enn son pa normal. Enn voisin dehors dir ‘delo pe monter.’ Monn degazer rentre dan lacaz seye evacuer enn deux kitsoz, kot gagn letan? En cinq minutes, délo là inn vini couma traître”, dit-il. Bravant la vague, il tente de casser le mur de son voisin à l’arrière de sa maison pour évacuer l’eau. “Enn sok noun gagner! Pann compran l’anniversaire. L’esprit pa la’dans”, dit Sudesh surpris que sa maison et sa cour aient pris l’eau. La dernière fois, c’était le 23 mars 2013 lorsque Port-Louis avait été englouti sous les eaux, provoquant la mort de 11 personnes.

Ce drame, jamais les habitants de Cottage n’auraient pensé le vivre à leur tour même si, assez souvent, la région est inondée. “Kot pa habitué gagner, inn gagne délo. Pa compran couma inn arriver”, disent-ils.
Cottage essaye de se reconstruire

Depuis mardi, Cottage essaye de se reconstruire. Les meubles et autres débris ont été entassés dans la rue et le service de voirie s’en est occupé. La police effectue plusieurs rondes à longueur de journée. S’ils ont de quoi manger grâce à la générosité des Mauriciens, les habitants du village tentent de reprendre le cours de leur vie… qui semble s’être arrêtée ce lundi 10 décembre 2018. Pour eux, pas de Noël, pas de fête du Nouvel An. Aujourd’hui, c’est avec la peur au ventre qu’ils regardent leurs enfants jouer dehors. “Ki ti pou arriver si nou pa ti là sa ler-là?”, se demandent les adultes remontés contre les autorités en raison d’un système de drains incomplet dans leur localité.


Rs 70 M  pour les drains

Le Conseil des ministre a approuvé, vendredi, un Emergency Flood Rehabilitation Programme au coût de Rs 70 millions. La NDU,la RDA en collaboration avec le Conseil de district de Rivière du Rempart s’attelleront d’abord à la construction d’un réseau de drains temporaires, soit l’extension d’un canal existant de 2,6 km en amont du village de Cottage. De même, un drain transversal entre Cottage et L’Espérance Trébuchet serait construit comme un exutoire pour drainer l’eau provenant de la région de Piton. À moyen/long terme, des drains permanents de 3,8 km seront construits à partir des champs de Piton, en amont du village de Cottage, traversant l’Espérance Trébuchet, jusqu’à la mer du village de Poudre d’Or.


Enjeux politiques : L’indifférence des députés déplorée

Il leur a fallu quatre jours avant qu’ils n’osent descendre sur le terrain à Cottage. C’est le député du ML, Ravi Rutnah, député de la circonscription – aux côtés du Senior Advisor au bureau du Premier ministre, Prakash Mauntrooah, et de l’ancien candidat du No7, Ravi Yeerigadoo, ainsi que quelques élus du conseil de district de Rivière du Rempart – qui a été envoyé au front.

Et subir les critiques de la part des habitants de Cottage. Après de vives protestations – les habitants s’insurgeant de l’indifférence de leurs députés face à leur malheur depuis lundi –, Ravi Rutnah a expliqué que le gouvernement viendrait avec un plan stratégique pour Cottage. Mais que toute décision devait se prendre à tête reposée et que si l’État envisage de donner une compensation, pour débourser ses fonds, une procédure doit être suivie et cela risque de prendre un peu de temps. Si le gouvernement a décidé d’allouer un portefeuille de Rs 70 M pour la réfection des drains et la réparation des routes dans plusieurs villages affectés par les inondations du 10 décembre, les habitants, une centaine de victimes, réclament une aide financière de l’État. Ils déplorent que leurs pertes s’élèvent à des millions et souhaitent une  compensation minimum de Rs 200,000, voire Rs 50,000 par personne pour pouvoir se relever. Des poursuites judiciaires ne sont pas exclus dans leurs démarches.


Le PTr présent sur le terrain

Récupération politique ou pas. Les habitants de Cottage sont reconnaissants envers les membres du PTr, dont Anil Baichoo et Raj Pentiah, qui se sont déplacés dès le lendemain des faits pour leur venir en aide. “Deux fois, Anil Baichoo finn vini. Dimans linn dir li pou revini. Linn amene manzer, ek lezot kitzoz pou soulaz nou”, racontent les sinistrés. Un élan patriotique à leur sens, car “nou pa guette couler politique, nou guette dimoun ki pe tann nou lamain”, disent-ils.


Élan patriotique

Depuis une semaine, le village de Cottage fait l’actualité. Non seulement dans les journaux et dans toutes les conversations, mais surtout sur les réseaux sociaux. Les images de la montée des eaux dans ce petit village du Nord a touché plus d’un. Si bien qu’outre les forces vives du Nord, plusieurs citoyens ainsi que des entreprises et Ong se sont déplacés pour venir en aide aux familles. Des vivres sont distribués quotidiennement. “Dimoun pe guette Facebook pe vinn aide nou”, racontent les habitants qui se réjouissent de cet élan patriotique des quatre coins de Maurice. Même des étudiants des collèges de la localité ont apporté leur soutien. “Si pena volontaires, nou ti pou rest sans manzer”, disent-ils. D’autres ont fait don de matériel scolaire ou encore de meubles ou four. “Boucou l’aide nou pe gagner. Nou bizin dire grand merci bann Mauriciens”, disent les habitants de Cottage, très remontés néanmoins contre l’État.


La route principale bloquée : Les raisons de la colère…

Le village de Cottage a été rapidement inondé, lundi dernier, suite à des pluies abondantes tombées en quelaues heures dans la région. Selon le député Rutnah, ce sont les rivières obstruées, qui jusqu’ici servaient à évacuer l’eau de pluie vers la mer, qui en sont la cause. L’eau proviendrait de la région Piton et se serait déversée dans les rues de Cottage, provoquant des dégâts importants tant au niveau des infrastructures que dans les maisons.

Or, les habitants sont sceptiques. “Be ki fer fer drain?”, demandent-ils. Ils font ressortir que de nouveaux drains ont été contruits dans le village. “Mais zot fer bel drain, pena sorti pou délo là! Kot ou croire délo pou aller? Enn ti délo et drain là débordé. Sa qualité vague ti vini là, li bizin refouler même si pena enn semin pou li aller”, disent-ils. C’est la raison pour laquelle ils avaient aussi bloqué la route Royale, mardi matin.

Frustrés et furieux, ils espéraient un état des lieux rapide des députés de leur circonscription à Cottage. “Pas par plaisir ki nou bloque semin. Nou ti pé rod zot côté humain, zot conscience. Parski kan délo couler dan Parlma, zot sauver. Kan nou lacaz inondé, personn ou pa trouvé.” Au lieu de construire le Metro Express, l’État devrait s’attarder sur les problèmes de drains, disent-ils. Car “pa premier fois, pa premier lendroit ki pé inonder. Entier Maurice pou alé dans délo si pa pran compte.”

Une enquête est en cours pour connaître les vrais raisons de cette montée brutale des eaux à Cottage. Il se chuchote que des vannes d’un réservoir d’eau auraient pu avoir été ouvertes en amont …

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