INTERCULTURALITÉ: Dialogues artistiques de Jeju à Maurice

La Fondation pour l’Interculturel et la Paix (FIP) présente jusqu’au 2 octobre à la galerie IBL, une exposition de photographies intitulée « Jeju Mauritius : Beyond Boundaries ». La majorité des images, qui sont en couleur, ont été réalisées par Ko Gilhong, avec notamment une impressionnante série paysagère sur le Mont Halla. L’autre partie de l’exposition nous instruit sur l’évolution de la vie à Jeju en montrant des scènes similaires à des époques différentes. Tristan Bréville s’est associé à la démarche en présentant quelques images anciennes. Tout ceci n’aurait pu avoir lieu sans l’intercession de Jean-Marie Le Clézio qui vit régulièrement sur l’île coréenne.
Ko Gilhong semble avoir parcouru le mont Halla sur tous ses versants, à toute heure et en toute saison. Le photographe paysagiste livre ici ses images les plus bouleversantes, s’amusant des variations de lumière sur cette montagne qui, en tant que matrice de l’île volcanique, revêt un caractère quasiment sacré. Les plus grands panoramas de Ko Gilhong laissent le sommet des nombreux petits volcans secondaires émerger des ambiances vaporeuses que la lumière irise de couleurs plus ou moins rougeoyantes selon l’heure du jour. Cette symphonie de courbes est complétée par des paysages enneigés, des vues aériennes de cratères éteints ou d’îlots, et par des étendues fleuries, qui contrastent avec les collines dénudées.
Une autre partie de l’exposition met en parallèle des images de Jeju d’hier et d’aujourd’hui. Ainsi peut-on comparer l’équipement très différent des plongeuses en apnée qui pêchent sur le littoral de l’île. La préparation des aliments, les rites, les métiers et le développement du port sont évoqués à travers ces images. Un des plus impressionnants binômes est l’esplanade qui s’étale devant le pavillon de Gwandeok, seule bâtisse de l’endroit à avoir traversé les décennies. En 1914, l’esplanade était remplie de piétons et de commerçants vêtus de blanc, et bordée de maisons basses aux toitures en fibre, le pavillon situé en ligne de mire dominant l’ensemble. De nos jours, ce dernier semble petit et fragile, néanmoins charmant, à côté des immeubles cubiques modernes, qui bordent une artère réservée à la circulation automobile. Tristan Bréville a apporté sa pierre à la démarche avec deux images du port de Port-Louis, ainsi qu’un portrait calme et souriant du ségatier Ti Frer.
« Maurice de l’extrême Orient »
« L’homme pont » entre Jeju et Maurice, comme l’appelle Sarojini Asgarally, l’écrivain prix Nobel Jean-Marie Le Clézio n’a pu être présent à ces rencontres en raison d’un contretemps de dernière minute. Il a néanmoins envoyé un message qui a été lu devant l’assistance lors de l’inauguration de l’exposition mardi dernier. L’écrivain mauricien et français vit assez régulièrement à Jeju pour pouvoir dresser une comparaison entre l’île coréenne et la nôtre. Il commence ce texte en appelant Jeju « la Maurice de l’extrême orient », s’appuyant pour cela sur des légendes telles que celle de l’île fantôme de Uedo, qui a été le thème principal du meilleur roman de Yi Mungyol, et qui ne peut être vue deux fois par la même personne. L’écrivain rapproche cette idée de l’initiative des Huguenots qui recherchaient l’île d’Eden pour créer un état libre, libéré notamment du catholicisme et de l’esclavage. Ils ont finalement débarqué à Rodrigues.
Au chapitre des différences, l’écrivain relève d’un côté l’île tropicale, multiculturelle et portée sur l’aventure, de l’autre, une île tempérée, plus austère et monoculturelle. Au chapitre des similarités, toutes deux ont connu la présence hollandaise. Toutes deux sont le produit d’un volcan qui s’est élevé au-dessus de l’océan, et qui est aujourd’hui éteint. Ici et là-bas, des rochers noirs émergent des récifs coralliens, offrant des terres fertiles à une forêt primaire particulièrement vivace (aujourd’hui très diminuée à Maurice). JMG Le Clézio souligne aussi la fertilité de la pensée, et la capacité de ses habitants à inventer des mythes et à transformer la réalité en oeuvres imaginaires et fantastiques.
Les deux îles comptent un grand nombre d’écrivains et de poètes au mètre carré, et elles ne manquent pas de pratiques chamaniques ou occultes. Tandis que Maurice a bâti son indépendance depuis quelque quarante ans, Jeju progresse lentement mais sûrement vers son autonomie. Jeju a subi une répression particulièrement brutale après la seconde guerre mondiale par le pouvoir central qui doit encore être pardonnée. Maurice a connu le drame de l’esclavage. Un monument naturel témoigne symboliquement de ces crimes de l’histoire : le Morne ici et Rock of Dawn à Jeju. Au-delà des possibles échanges économiques et culturels de ces deux voisines éloignées, le prix Nobel de littérature invite surtout à la recherche d’une quête spirituelle commune.
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