INTERVIEW: Écarter tout risque d’erreur judiciaire, selon le Dr Sanjeev Gaya

« La médecine légale (forensic medicine) est un service très spécialisé qui écarte les risques d’erreur judiciaire par des médecins n’ayant pas une expérience suffisante. La justice a besoin d’experts indépendants ayant des connaissances scientifiques et comprenant le langage légal. Les cours de justice veulent des informations indépendantes et correctes », nous déclare le Dr Sanjeev Gaya, Senior Lecturer à l’université Monash à Melbourne et consultant international. « Nous travaillons exclusivement avec les vivants contrairement au médecin et pathologiste chargé des examens post-mortem », explique-t-il dans un entretien lors de son séjour au pays natal. Invité à commenter les pratiques médico-légales mauriciennes, il dira que « l’indépendance de l’interprétation peut être questionnée vu que le personnel du département médico-légal est employé par la police ».
Dr Gaya, qu’est-ce que la “forensic medicine” ?
Notre équipe de l’Institut de forensic medicine de Victoria est composée de spécialistes dans des disciplines aussi variées que la médecine d’urgence, la médecine générale, la santé sexuelle. Nous avons constitué un réseau de spécialistes dans les hôpitaux, dont des neurologues, pédiatres, gynécologues habilités à donner un avis d’expert médico-légal clinique. Notre département fournit une variété de services cliniques et forensic et donne des avis médicaux à la police et aux hôpitaux lors du déroulement des enquêtes.
Pouvez-vous en dire plus sur ces services ?
Le soutien aux victimes fait partie intégrante de nos services médicaux. Notre objectif est de veiller à la santé et au bien-être de nos patients, qu’ils soient victimes ou suspects. Nos services comprennent des examens médicaux dans les cas d’agressions physiques et sexuelles. Nous donnons aussi notre avis dans les cas de médecine légale pédiatrique, lors d’enquêtes sur l’éthique et l’intégrité policières. Nous nous prononçons pour établir si quelqu’un est en état d’être interrogé par la police. Nous sommes chargés d’enquêter sur les familles notamment s’il y a plus de deux décès d’enfant dans une famille quelle que soit la période de la mort en vertu de la loi australienne. Il y a aussi l’aspect traffic medicine où nous sommes appelés par exemple à reconstituer un accident ayant eu lieu sans témoin ou nous prononcer sur la capacité de quelqu’un de conduire. Nos experts fournissent en cour leur avis concernant les effets de l’alcool ou de drogue en cas de délits sur les capacités mentales du conducteur. Occasionnellement nous apportons notre expertise médico-légale dans des procédures civiles ou administratives.
Comment procédez-vous ?
En cas d’agression physique nous procédons à un examen de la victime pour recueillir les preuves. Cela implique la photographie, l’interprétation des blessures et la soumission d’un rapport médical en cour. Il s’agit d’un exercice très précis réalisé par un spécialiste ayant reçu une formation. C’est un service très spécialisé. L’approche est globale et concerne non seulement la collecte des preuves mais aussi la promotion de la santé. Nous examinons aussi les enfants blessés arrivant à l’hôpital et dont les blessures n’ont pas de cause accidentelle mais criminelle et lorsqu’elles ne correspondent pas aux explications de la mère. Ce sont les cas d’enfants battus, abusés sexuellement ou victimes de négligence émotionnelle. Il nous arrive aussi de reconstituer la position des passagers et du conducteur d’une voiture d’après les traces de sang dans la voiture après un accident de la route quand il n’y a aucun témoin ou quand l’unique survivant affirme qu’il n’était pas au volant. Nous devons attester de la capacité de conduire de personnes, notamment celles de plus de 60 ans, une génération qui a toujours connu la voiture et qui ne veut pas s’arrêter de conduire. Nous proposons des services de consultant consistant en une expertise dans des affaires criminelles et civiles ayant des implications médico-légales en Australie et dans le monde entier. Nous contribuons au développement de la médecine forensic dans le monde. Par exemple nous avons été sollicités à l’étranger par la défense d’un leader de l’Opposition accusé de sodomie dans un pays islamique. Nous avons pu réfuter les preuves et nous avons gagné. Dans les négociations avec des preneurs d’otages nous participons d’un point de vue médical. Nous déterminons si le preneur d’otage est sous l’emprise de la drogue ou d’une maladie mentale. Nous pouvons parler à son médecin, identifier le problème.
Comment intervenez-vous lors des enquêtes sur des allégations de brutalité policière ?
D’abord je précise que nous ne sommes pas employés par la police. Tous les cas nous sont référés. Nous examinons les déclarations, les preuves. Nous réalisons des examens médicaux et sur la victime et sur le policier en cause. Nous devons donner notre avis sur l’intégrité et l’éthique de la police. Nous déterminons également si un policier est « unfit for duty » ou pas, par exemple s’il a un problème mental qui affecte son travail. Dans les cas de mort de suspect en cellule policière, nous recueillons les échantillons de sang et d’ADN. Nous émettons notre avis pour dire si un suspect est en possession de tous ses moyens pour être interrogé, établir qu’il n’est pas malade physiquement ou sur le plan psychiatrique, qu’il n’est pas sous l’effet de l’alcool ou d’une drogue ou en état de manque, ceci afin de s’assurer de l’admissibilité de sa déclaration et de réduire les risques de faux aveux qui pourraient être contestés en cour. Nous devons nous assurer que les preuves soient recueillies dans de bonnes conditions.
Quels sont les avancées scientifiques de la médecine légale ?
Il y a 50 ans il n’y avait pas l’analyse d’ADN pour les cas criminels. Il y a eu la recherche et l’éducation des médecins et l’émergence de cette spécialité nouvelle qu’est la forensic medicine. Ce service hautement spécialisé écarte les risques d’erreur judiciaire causée par des médecins n’ayant pas une expérience suffisante. La justice a besoin d’experts indépendants ayant des connaissances scientifiques et comprenant le langage légal. Les cours de justice veulent des informations indépendantes et correctes.
Vous êtes aussi Senior Lecturer à l’université de Monash ?
Nous nous consacrons à la recherche et à l’enseignement à l’université de Monash à Melbourne. Il y a un post graduate programme en forensic medicine. Nous délivrons le certificat, le diplôme et le Master. Nos étudiants viennent des États-Unis, de l’Asie du Sud-est, de l’Amérique du Sud, de l’Afrique, de l’Europe, de la région du Pacifique. Nous voulons établir un standard académique en médecine forensic. Je cherche à recruter un médecin en clinical forensic medicine pour renforcer notre équipe. L’appel de candidature sera publié très bientôt. Nous recrutons dans le monde entier. Les candidatures mauriciennes seront les bienvenues.
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13 ans à Scotland Yard
Après une formation en gynécologie et obstétrique, le Dr Sanjeev Gaya choisit de se consacrer à la médecine légale (forensic medicine). Il a travaillé pendant 13 ans à Scotland Yard en Grande Bretagne avant de se joindre il y a deux ans à l’Institut de Médecine légale de l’État australien de Victoria, un organisme indépendant, précise-t-il, car il n’est pas employé par la police. Le département de médecine légale de l’institut est chargé après des investigations cliniques d’émettre une opinion d’expert dans les cours de justice dans les cas de meurtre et d’une variété de délits criminels, agressions sexuelles ou encore child abuses, accidents de la route, allégations de brutalité policière. Lors de l’arrestation de suspects il est aussi amené à déterminer leur capacité d’être interrogés afin de s’assurer que leurs aveux soient admissibles. Il soutient parallèlement les victimes.

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