INTERVIEW : Le Halal Friendly Tourism représente plus de 10 % du tourisme mondial, selon Khal Torabully

Le Halal Friendly Tourism était la semaine dernière au coeur d’un atelier de travail animé par un de ses principaux promoteurs dans le monde, Fazal Bahardeen, qui a développé ce concept après avoir constaté que le voyageur musulman était un segment touristique négligé dans le monde. Selon Khal Torabully, directeur de Gazel Isle, ce type de tourisme a engrangé en 2011 USD 116 milliards. « L’on ne mesure cependant pas assez son importance à Maurice. Ce segment représente déjà plus de 10 % du tourisme mondial et si la croissance moyenne est de 3,8 %, le Halal Friendly Tourism croît chaque année de 4,8 % », constate-t-il. Alors que l’industrie touristique mauricienne traverse une phase difficile à cause de la crise économique qui secoue notre principal marché l’Europe, le Halal Friendly Tourism pourrait se présenter comme un niche market majeur, à condition « de ne pas laisser les préjugés obstruer notre vision de développement », tout comme l’indiquait Mohamad Vayid à une conférence organisée hier à Ebène par la Mauritius Economic Society.
Qu’est-ce qui caractérise une Halal Friendly Destination ?
Une Halal Friendly Destination est un pays où le secteur touristique répond au voyageur qui réclame certains critères propres à sa culture de voyage en vue de dépenser son argent. C’est comme tout voyageur qui demande un type de service, notamment concernant sa nourriture, ses loisirs et ses activités sportives. Le tourisme se diversifie actuellement suivant ces demandes ou thèmes. On crée des hôtels feng shui, zen, aventure ou encore pour le trekking… On promeut le tourisme vert, religieux, patrimonial et même spatial. Cette diversité va dans le sens des demandes des clients.
Pour aborder l’industrie touristique, Fazal Bahardeen a créé une méthodologie, une vraie méthode de travail et de culture de travail et de services en lançant Crescentrating qui comprend sept grades du Halal Friendly Tourism. Cela va de la nourriture halal à la Mecque pour les prières en passant par des facilités de spa ou piscine pour les dames.
Son idée est de favoriser le business en aidant l’hôtelier ou le restaurateur à comprendre les besoins de cette clientèle qui dépense deux fois plus que le touriste moyen. Elle classe aussi les gares, aéroports, hôpitaux et autres prestataires de services et offre une visibilité à ce segment que l’on ne peut plus négliger actuellement, surtout que les pays traditionnels d’où proviennent les touristes sont en crise, dont ceux de l’Europe.
Fazal Bahardeen a donc créé la référence en la matière et son sérieux lui a valu le prix du Halal Journal Award en 2010. La presse internationale cite sa méthode et son expertise et s’en inspire.
Quels sont les pays qui adhèrent à ce concept ?
Ils sont divers et de plus en plus nombreux. Après Maurice, Fazal Bahardeen s’est rendu à l’étranger pour expliquer sa méthodologie. Il participe d’ailleurs à un road show en Nouvelle-Zélande qui s’adresse au tourisme chinois et halal.
Les pays qui figurent en bonne place dans ce créneau sont Singapour, l’Afrique du Sud, l’Australie, l’Angleterre, Dubayy, la Suisse (Genève), la Malaisie, l’Indonésie, la Turquie, le Sri Lanka, et la Thaïlande, dont l’aéroport vient d’être classé numéro en ce qu’il s’agit de Halal Friendly Tourism. Ce pays bouddhiste a ainsi décidé de se lancer à fond dans ce type de tourisme très lucratif. Son gouvernement a été clair à ce sujet, car il espère engranger des milliards de dollars grâce aux touristes à revenus intéressants.
Que représente ce marché dans le monde ?
On ne peut plus parler de niche market, comme l’a souligné Fazal Bahardeen. L’année dernière, ce segment a représenté USD 116 milliards. Il est plus important que le premier marché touristique mondial, l’Allemagne, et deux fois plus important que le marché chinois. L’on ne mesure pas assez son ampleur à Maurice. Il représente déjà plus de 10 % du tourisme mondial et si la croissance moyenne est de 3,8 %, le Halal Friendly Tourism croît chaque année de 4,8 %. C’est donc une part que l’on aurait tort de négliger.
C’est la raison pour laquelle l’intervention de M. Bahardeen a été une introduction méthodique dans ce segment, faite avec beaucoup de professionnalisme, et qui demande à passer concrètement – avec une référence mondiale, une garantie – dans cette industrie du tourisme qui connaît une crise. Cela donne un ensemble de valeurs communes en vue d’attirer la clientèle musulmane.
S’il fallait donner un classement à l’île Maurice au jour d’aujourd’hui, où se situerait-elle ?
Je ne saurai vous le dire exactement. Mais elle est négligeable dans notre part de marché avec, par exemple, l’arrivée d’environ 5 000 voyageurs du Golfe… Ce qui est dommage, car nos arrivées accusent une baisse cette année, passant de 980 000 à 960 000. Il faut se donner les moyens pour gagner ce segment. Il est néanmoins indispensable de le faire avec professionnalisme et à travers un réseau qui offre une crédibilité et une visibilité mondiales.
Quelles sont les mesures à prendre par rapport au pays, aux établissements hôteliers et aux infrastructures publiques utilisées par les touristes ?
Il faut former les prestataires du secteur à la culture du voyageur des Émirats, de la Turquie, de l’Europe et des États-Unis, soit la classe moyenne musulmane. Crescentrating est le leader mondial, le pionnier en la matière. Cette compagnie forme divers acteurs en vue que leur business soit mieux rôdé pour attirer cette clientèle qui n’attend que l’on s’intéresse à elle. Il y a une pédagogie à faire. Le Halal Friendly Tourism ne cherche pas à réinventer le monde mais à s’adapter à une demande éthique et qui rapporte de l’argent à l’industrie touristique. Il y a des critères formulés par Crescentrating qui réseaute au niveau mondial. C’est la raison pour laquelle la structure Gazel Isle, Halal Friendly Tourism Mauritius, a été créée, afin de connecter Crescentrating et les opérateurs touristiques dans la région.
Après un premier atelier, je pense qu’un road show, comme celui organisé par M. Bahardeen en Nouvelle-Zélande, est plus que souhaitable à Maurice. Un autre devrait aussi avoir lieu en Arabie Saoudite et dans le Golfe, suite au voyage du Premier ministre Navin Ramgoolam dans cette région. Ici, Gazel Isle possède déjà le savoir et la culture de ce type de voyages que nous pouvons mettre au service des opérateurs locaux.
Quels sont les critères utilisés pour garantir une nourriture halal ?
Les critères nécessaires sont appliqués par des organismes religieux qui s’assurent que la bête est sacrifiée suivant l’abattage rituel et ne souffre pas. Le tout en respectant les règles d’hygiène de chaque pays. Ce travail est très important. À Maurice, deux organismes représentent le label Halal. Cela relève ainsi de leur champ de compétences que de veiller à ce que toutes les règles soient respectées et appliquées.
Un Halal Friendly Hotel ne risque-t-il pas de devenir une enclave pour les touristes musulmans dans un pays dont le point fort est l’interculturalité ?
Je ne le pense pas. Chacun est libre de dépenser son argent comme il le veut. Peut-on dire que la Suisse renie sa laïcité en encourageant le Halal Friendly Tourism ? Les Suisses, en hommes d’affaires avisés, ont compris que cette clientèle est là pour dépenser. Ils organisent même des croisières halal sur le lac Léman et sont très contents de l’opération. Ils font aussi des opérations lors du Ramadan.
La Suisse a perdu environ 600 000 touristes. Les opérateurs ne sont que très heureux de pouvoir compenser en satisfaisant des clients dont les revenus ne diminuent pas en raison de la hausse du prix du baril, par exemple.
L’Afrique du Sud, pays arc-en-ciel, a compris l’importance de cette manne pour son industrie touristique et investit dans ce segment, de même que Singapour que Maurice émule. Il y a aussi l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Angleterre (Londres), l’Inde (Delhi) … Et la liste devrait s’allonger.
Je pense que c’est l’atout d’un pays multiculturel que de répondre
à une spécificité culturelle et cultuelle d’une clientèle. Dans les rues mauriciennes, avec nos habitudes vestimentaires diverses, personne ne regardera quelqu’un habillé différemment de travers ou avec agressivité. Maurice compte une population musulmane, des mosquées… Ce sont autant de points forts pour attirer ces touristes, en sus de ses atouts naturels, son hospitalité, son hôtellerie de qualité… Notre multiculturalité nous permet justement d’accueillir des touristes végétariens, juifs, jaïns, chinois, musulmans… L’on ne saurait taire une diversité que l’on pratique déjà à un certain degré ni s’ouvrir à cette diversité d’arrivées, car dans un monde hautement compétitif, il ne faut pas rater le coche…
Un établissement hôtelier ouvert aux touristes internationaux peut-il avoir une certification Halal Friendly ?
Oui, comme le dit le pionnier de Crescentrating, on peut devenir Halal Friendly avec des critères simples au départ et qui donnent une entrée à ce segment. Le voyageur peut étudier les grades en vigueur et choisir d’y aller ou pas. De nombreux hôtels de ce type existent, comme le Fairmont Singapore.
L’idée est de rendre visible une clientèle musulmane qui consomme comme tout autre consommateur, sauf que, comme tout le monde, elle a ses demandes propres. Aussi, on peut avoir un type d’hôtel qui offre du repas halal ou indique la direction des prières. Cela lui donne un grade Halal Friendly. Suivant son chiffre d’affaires, l’établissement peut aller plus loin et demander un grade supérieur. Tout cela est progressif. Sans avoir besoin de bouger les murs ou de faire de la technologie des fusées…
Comment être Halal Friendly tout en restant ouvert aux autres touristes ?
En appliquant les grades un à sept du Crescentrating qui est souple et cherche à donner une visibilité à un segment, sans en écarter un autre. Il est aussi loisible de penser que ce concept déjà appliqué ailleurs n’a pas bouleversé les structures touristiques de la Suisse, du Sri Lanka, de la Thaïlande… Bien au contraire, il aide des prestataires à sauver des emplois et à faire des bénéfices en temps difficile.
Il faut voir ce concept non plus comme une menace mais comme une opportunité de développer son chiffre d’affaires, en respectant ce que le client demande. De plus, les premiers grades ne demandent rien d’extraordinaire. Certains hôtels respectent déjà la nourriture halal à Maurice.
Comment s’assurer que le Halal Friendly Tourism n’effraye pas certains touristes ?
Je ne vois pas en quoi ce concept peut effrayer quiconque… À moins d’être pris dans un rejet absolu de l’autre. Chacun choisit ce qu’il veut faire : du quad, de la chasse, du bateau, du kite-surfing… Ce sont des clients qui dépensent comme les autres, voire plus. Le respect des uns et des autres doit primer. Si c’est le cas, on ne devrait pas voyager dans d’autres pays. On voyage aussi pour s’ouvrir à la différence. Autrement, les Européens n’iraient pas au Maroc, en Tunisie, en Inde, en Afrique.
Le tourisme ne doit pas répercuter le choc des civilisations, mais développer sa rentabilité dans le respect des diversités. Après le Printemps arabe, les voyageurs ont envie de sortir, de voir le monde. Ils ont de l’argent à dépenser. Le mal vient du regard déformé de ce touriste “effrayé” avec ses préjugés. Moi, je serai davantage effrayé par le touriste pédophile que par le tourisme familial qui caractérise ce segment. Le client est roi, dit-on… Le propos n’est pas de rejeter, mais de proposer de nouvelles façons de rentabiliser le tourisme mauricien et d’ailleurs. Si l’on ne veut pas gagner de l’argent, c’est un choix effrayant dans un monde imprévisible.
Quelle formation pour le personnel touristique ? Les employés doivent-ils être de confession musulmane ?
Un module de formation existe chez Crescentrating. Toute structure intéressée peut contacter Gazel Isle à ce sujet. On ne cherche pas à former que des musulmans. Les Thaïlandais demeurent bouddhistes en pratiquant le Halal Friendly Tourism… C’est l’approche vis-à-vis de la clientèle qui évolue et s’adapte. Fazal Bahardeen formera au Halal Friendly Tourism le staff officiel du gouvernement néo-zélandais qui le paie bien pour mettre un pied dans ce segment lucratif.
Comptez-vous travailler en collaboration avec les autorités concernées à Maurice ?
Oui, certainement. Le pays a tout à gagner en s’ouvrant à cette clientèle. Il est à espérer qu’un road show à la néo-zélandaise, comme le fait Crescentrating, puisse se faire à Maurice.
À quand les premières certifications Halal Friendly ?
Des contacts sont pris et seront développés entre les prestataires et Gazel Isle. Maurice doit s’ouvrir à la méthodologie du Halal Friendly Tourism pour compenser, comme dans d’autres pays, les pertes en touristes en raison de la crise dans la zone euro. Agir et aussi laisser le temps au temps pour faire les choses sérieusement… Rappelons qu’en 2020, le Halal Friendly Tourism engrangera environ USD 192 milliards. C’est le seul segment en croissance dans le tourisme et c’est rendre service au pays que de s’y intéresser…

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