INTERVIEW : Il nous faut veiller au grain pour la liberté d’expression, selon Lindley Couronne

Lindley Couronne est le président de DIS-MOI (Droits Humains – Océan Indien), une organisation non-gouvernementale nouvellement créée. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il nous fait une évaluation de l’état du respect des droits humains à Maurice en 2012 et nous parle des enjeux pour 2013 en la matière.
En 2012, les droits humains ont-ils progressé ou reculé à Maurice ?
C’est une question très complexe. Par exemple, par rapport aux droits reproductifs et sexuels de la Mauricienne, il y a eu un progrès certain grâce à la loi qu’on a adoptée sur l’avortement. C’est déjà un pas dans la bonne direction.
Il y a aussi le support du gouvernement mauricien aux résolutions de l’ONU en ce qui concerne la condamnation de la discrimination contre les homosexuels. Cela a certes valu au gouvernement des critiques très fortes des milieux conservateurs à Maurice. Mais cela aussi est un progrès.
Autre avancée : les programmes d’éducation à la citoyenneté et aux droits humains que le ministère de la Jeunesses et des Sports a institués pour environ 300 jeunes leaders dans les 24 centres de jeunesse de Maurice en 2012, et dans lesquels j’ai été personnellement impliqué. En 2013, nous allons toucher 1 000 jeunes.
La mise sur pied de l’Equal Opportunities Commission est un autre progrès dans le respect des droits humains. Cette commission va faire ses preuves dans la durée.
Et le côté négatif ?
Les menaces à la liberté d’expression, les tentatives pour étrangler financièrement les médias, donner de la publicité gouvernementale à certains médias et “punir” d’autres médias. L’utilisation qu’on fait de la MBC ne va pas dans le sens du respect des droits de l’homme et de la démocratie, de l’équilibre, du “fairness”.
Je ne peux pas non plus être satisfait au niveau du respect des droits de la femme dans ce pays. L’homme croit encore qu’il est le “propriétaire” de la femme. Dans une telle société, les droits humains ne peuvent pas prospérer. Les lois contre la violence à l’égard des femmes sont certes très fortes, mais c’est au niveau des mentalités qu’il nous faut faire un effort collectif pour un meilleur respect de la femme.
Un citoyen averti, ayant une conscience des droits de l’homme et refusant d’entrer dans le jeu politique, peut être davantage objectif en ce qui concerne une évaluation de l’état du respect des droits humains à Maurice.
Quel est le rôle du citoyen en matière de droits humains ?
L’éducation à la citoyenneté est une condition fondamentale pour une société démocratique. Il incombe aux citoyens de comprendre les enjeux de la démocratie et ceux des droits humains.
Il n’y a pas longtemps, il y a eu des citoyens qui affirmaient publiquement que les politiciens sont des dieux. Mais les politiciens sont limités et leur perspective ne dépasse pas leur mandat. Aujourd’hui, en 2012, grâce à l’accès à l’éducation, les citoyens comprennent qu’ils sont collectivement maîtres de leur destin commun. C’est aux citoyens avertis et imbus de leurs droits et responsabilités de dire aux politiciens ce qu’ils doivent faire, et non l’inverse. Par exemple, c’est aux citoyens de dire au gouvernement ce qu’il doit faire pour que le projet Maurice Île Durable ne soit pas un slogan creux.
Et quid du rôle de la presse ?
La presse, en tant que contre-pouvoir, est capitale en matière de droits humains et de démocratie. Je salue le rôle de la presse à Maurice, depuis l’indépendance et même avant. J’estime que de par sa nature, la presse doit être “insolente”, non complaisante, vis-à-vis du pouvoir en place. Il est essentiel que les citoyens soient conscients du rôle de la presse dans une démocratie. La presse, c’est ce qui nous restera dans une démocratie si tout tombe. Si le Commissaire de Police ne joue pas son rôle, si les institutions périclitent, si l’ICAC n’est pas crédible, si la Commission nationale des droits humains et d’autres ne fonctionnent pas, il ne nous restera que la presse. Si la presse tombe, c’est la barbarie qui s’installe.
Ne faudrait-il pas alors que les journalistes soient eux-mêmes formés aux droits humains ?
J’estime qu’un journaliste digne de ce nom doit disposer d’un bagage qui inclut les droits humains. Un journaliste qui serait homophobe, sexiste, raciste ou communaliste, qui serait contre les droits des travailleurs, contre les syndicats, contre les droits des femmes, est un non-sens, selon moi. Un journaliste doit disposer d’outils qui aideraient la société dans laquelle il vit à devenir meilleure pour le bien commun de tous les citoyens sans distinction.
Le journaliste est aussi un citoyen vivant dans sa société. Il s’implique pour le bien commun. Il prend position. Quand un citoyen ou un auditeur estiment qu’il faut “torturer” par exemple des prisonniers, le journaliste doit l’interpeller publiquement, lui rappelant, que l’État Mauricien a signé une Convention contre la torture. Le citoyen peut se permettre d’être ignorant, mais pas un journaliste.
J’observe malheureusement qu’un certain nombre de journalistes mauriciens ne semblent pas avoir de telles connaissances et cela peut s’avérer très dangereux pour l’avenir de la démocratie pour notre pays. Un journaliste doit avoir une connaissance minimum des droits humains pour mieux faire son travail.
Quels seraient les enjeux en matière de droits humains à Maurice en 2013 ?
Il nous faut veiller au grain concernant la liberté d’expression. La liberté d’expression comprend la liberté de la presse, la liberté de conscience et la liberté d’opinion. Les citoyens doivent comprendre que la liberté d’expression est le fondement même d’une démocratie. Les Mauriciens et la presse mauricienne doivent être vigilants et s’assurer que le gouvernement ne vient pas avec des lois qui vont violer nos libertés. Ils doivent surveiller la liberté d’expression et la liberté de la presse, surtout.
Puis, davantage de jeunes doivent être formés aux droits humains et à l’éducation à la citoyenneté. Pour protéger la République de Maurice, ils doivent savoir comment elle fonctionne. Les citoyens d’un pays doivent avoir tous les outils nécessaires pour leur permettre d’évaluer la performance d’un gouvernement qu’ils ont élu.
L’autre défi consistera à surveiller que les institutions du pays (la police, l’ICAC, l’Equal Opportunities Commission, la Commission nationale des droits de l’homme etc.) fonctionnent indépendamment de la politique. C’est la base même de la démocratie.
Pourquoi avoir créé DIS-MOI ?
Depuis mon adolescence, je suis un passionné des droits humains. À 14-15 ans, je participais déjà à la campagne de boycott de Lalit des oranges sud-africaines pour dire “non” au régime d’apartheid en Afrique du Sud.
Quand j’ai quitté Amnesty en tant de directeur, j’avais deux choix : celui de cultiver mon jardin ou continuer ma lutte pour les droits de l’homme.
Avec DIS-MOI je concrétise mon rêve de travailler et d’avoir un centre des droits de l’homme pour notre région du sud-ouest de l’océan Indien comprenant Madagascar, Rodrigues, la Réunion, les Comores, Seychelles, Maurice etc.
Nous n’avons pas la logistique d’Amnesty, mais nous avons la volonté. Pour Maurice, il est important d’avoir une ONG des droits humains, même deux, avec Amnesty. Si Amnesty peut redevenir ce qu’elle était à Maurice, je serai content. Un centre des droits humains, des citoyens avertis, une presse libre et des politiciens imbus de démocratie et de droits humains vont faire que la République de Maurice en sortira grandie.

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