INTERVIEW : Je ne suis pas contre le droit fondamental de grève, a déclaré Shakeel Mohamed

Le ministre du Travail a décidé de retarder la présentation des amendements sur les lois du travail afin que des consultations sur les améliorations qui seront apportées puissent avoir lieu. Dans cet entretien, Shakeel Mohamed affirme n’être absolument pas contre le droit fondamental de grève des travailleurs. Il constate toutefois qu’« il existe une anomalie dans nos législations ». « Il y a deux positions conflictuelles dans nos lois du travail. Une qui stipule qu’on a le droit de déclencher une grève illégale pour la première fois et une autre qui dit le contraire. C’est ce que je veux corriger », soutient-il. Il annonce par ailleurs l’ouverture prochaine des consultations, avec l’aide du Bureau international du travail, sur la mise en place d’un salaire minimum pour les travailleurs à Maurice.
Vous revenez d’une mission à Genève. Parlez-nous en…
Je me suis rendu à Genève pour avoir une réunion avec les experts du Bureau international du travail (BIT) sur les propositions du gouvernement concernant les amendements qui seront apportés aux lois du travail. Je ne veux pas qu’il y ait de violation des droits fondamentaux des travailleurs y compris celui se rapportant au droit de grève.
Je voulais ainsi que le BIT donne son avis sur les propositions et les critiques syndicales. D’ailleurs, cette organisation est satisfaite que les propositions gouvernementales ne mettent d’aucune manière en cause le droit fondamental des travailleurs de se mettre en grève.
Durant cette mission de deux jours à Genève, j’ai eu l’occasion de rencontrer le directeur général du BIT et d’autres personnalités. Ils ont constaté que contrairement à ce qu’affirment certains syndicalistes, je consolide et j’élève la position du syndicalisme. Pour ne citer qu’un exemple, la loi du travail en ligne avec les dispositions constitutionnelles stipule qu’aucun employeur n’a le droit de porter préjudice à ses employés en pratiquant une discrimination fondée sur le sexe, la caste, l’opinion, etc.
J’ai aussi décidé d’ajouter l’appartenance à un syndicat dans le nouveau texte de loi sur le travail. Ainsi, aucun employeur ne pourra sanctionner un travailleur parce qu’il fait partie d’un syndicat comme cela a été le cas pour Rehana Ameer. Nous avons aussi inclus dans la loi la possibilité pour la cour d’ordonner à un employeur de réembaucher un travailleur limogé.
Les experts internationaux et ceux du BIT m’ont félicité… Selon eux, je vais dans la direction recommandée par l’organisation. Un expert sur la liberté syndicale au BIT considère d’ailleurs que Maurice peut servir d’exemple à d’autres pays. Tout cela pour vous dire que contrairement à ce qu’avance le syndicaliste Ashok Subron, nous n’attaquons pas la liberté syndicale et le droit de faire grève.
Pouvez-vous faire l’historique des amendements que vous vous proposez d’apporter aux lois du travail ?
Tout part d’une demande syndicale dès le premier jour de mon entrée en
fonction en tant que ministre du Travail en 2010. Ces projets d’amendements figuraient dans le programme gouvernemental et il y a eu une requête syndicale pour corriger des lacunes dans la loi de 2008. Les syndicats pensaient que les employeurs faisaient une utilisation abusive de ces lacunes pour limoger leurs employés en prenant pour prétexte des causes économiques.
C’est vrai que certains patrons ont abusé de cette loi. Cette dernière fonctionne très bien dans les pays comme l’Allemagne ou l’Autriche. Elle stimule la croissance et augmente la création d’emplois. Cependant à Maurice, certains patrons abusent de certaines dispositions de cette législation pour se débarrasser de leur travailleurs.
Les syndicats ont voulu que des corrections soient apportées à cette législation et nous avons commencé en 2010 les consultations sur la nécessité de corriger les abus observés. J’ai pour ma part voulu corriger les abus des employeurs concernant les contrats à durée déterminée. C’est-à-dire ceux de 11 mois qui leur permettent de se séparer d’un travailleur pour le réembaucher ensuite.
Certaines personnes sont employés éternellement sur la base d’un contrat à durée déterminée… Elles n’ont par conséquent aucune fiche de paie et ne peuvent contracter un prêt à la banque.
Elles ne peuvent assurer le bien-être de leur propre famille ou construire une maison.
Je propose des changements fondamentaux dans la loi. Certains syndicalistes trouvent que nous allons dans la bonne direction. D’autres estiment qu’il n’est pas nécessaire de commenter ce qui est positif mais de mettre l’accent sur ce qui, selon eux, est négatif non pas pour les travailleurs mais pour les syndicats. Or, ma priorité n’est pas le syndicalisme mais les travailleurs. Je veux qu’après l’adoption de ces amendements au Parlement, les travailleurs sortent gagnants, fassent une avancée et se sentent plus en sécurité. Je ne veux plus que les gens continuent d’être licenciés pour des raisons économiques fictives.
Les nouveaux amendements proposés prévoient également des amendes plus sévères pour les employeurs portant préjudice à leurs employés sur la base de la discrimination, entre autres. Ils prévoient également une plus grande transparence dans les bulletins de vote en vue d’organiser une grève. Je suggère que ce soit le secrétaire permanent du ministère du Travail qui supervise le dépouillement de ces bulletins. Après les premières consultations avec les syndicats et les employeurs, j’ai changé de position sur plein de choses parce que je suis reconnaissant envers les syndicalistes qui ont pris la peine de venir me voir et ont fait des contre-propositions constructives. Je partage leurs appréhensions et je veux faire l’effort nécessaire pour accepter leurs propositions. Ainsi, les conventions du BIT estiment que les travailleurs non syndiqués peuvent négocier collectivement après avoir élu leurs représentants auprès du patronat. Cela se fait dans plusieurs pays. Cependant, les syndicats ont été unanimes à dire que cela n’est pas bon pour Maurice qui a ses spécificités et que certains employeurs risquent d’abuser de la situation. Je ne suis pas plus royaliste que le roi. Si les représentants des travailleurs estiment que c’est dangereux je ne vais pas insister sur cette proposition. Je suis prêt à apporter des changements fondamentaux aussi longtemps qu’il y ait un dialogue constructif.
Comment est née cette crainte syndicale sur le risque que les amendements proposés mettent en péril le droit de grève ?
C’est un message faux et dangereux qu’Ashok Subron veut faire passer. Il y a une disposition légale qui dit qu’à ce jour si un travailleur veut se mettre en grève, il a le droit de faire une grève illégale sans passer par les procédures, la déclaration d’un litige, la commission « conciliation and mediation » dans la mesure où il entreprend une action pour la première fois. Son patron ne peut le limoger. La grande majorité des travailleurs mauriciens ne se sont jamais mis en grève dans leur carrière. Par conséquent, s’ils se mettent en grève ce sera pour la première fois. Or, la loi prévoit déjà que les travailleurs peuvent se mettre en grève à condition que leur action ne soit pas illégale.
Qu’est-ce qui fait qu’une grève soit légale ou illégale ?
Pour avoir recours à la grève, il faut auparavant avoir déclaré litige en référant le problème à la Commission of Reconciliation and Mediation. Celle-ci va alors essayer de trouver une solution. Au cas où il n’y a aucun accord, le syndicat a le droit de demander un scrutin parmi les employés sur le recours à la grève. L’employeur et le syndicat peuvent d’un commun accord référer l’affaire aux Employment Relations Tribunal pour arbitrage. Si les travailleurs ne sont pas satisfaits, ils peuvent se mettre en grève. En d’autres mots, il y a des procédures légales à suivre avant de se mettre en grève. Je n’ai aucun problème par rapport à cela. Pouvoir se mettre en grève est un droit fondamental pour les travailleurs. J’ai un profond respect pour les droits fondamentaux des travailleurs. Maurice adhère à ces droits en tant qu’État. Cependant, on note une anomalie dans nos législations. Celle-ci se trouve dans l’Employment Rights Act. L’article 9 (2) de cette loi stipule que : « No worker shall cease to be in continuous employment of an employer for reason of his participation for the first time in a strike which is unlawful. » Il y a donc deux positions conflictuelles dans nos lois du travail. Une qui stipule qu’on n’a pas le droit de déclencher une grève illégale et une autre, le contraire ne serait-ce que pour la première fois. Or, Ashok Subron a envie d’utiliser cette anomalie, qui doit être corrigée, pour organiser une grève générale dans le port, dans le transport et le secteur sucrier au mois de mai.
Les travailleurs de tous ces secteurs se sont déjà mis en grève dans le passé…
Ils l’ont fait dans les années 1970. Beaucoup de ces travailleurs ont pris leur retraite. Actuellement, la majorité des employés ne se sont jamais mis en grève. Il y a toute une génération de travailleurs qui peuvent se mettre en grève pour la première fois sans être sanctionnés. Ashok Subron sait qu’il peut paralyser ce pays uniquement à cause de cette clause de l’Employment Rights Act au détriment de la création d’emploi et de la préservation de l’emploi et de la protection du pays économiquement dans un contexte où l’économie européenne et mondiale souffre encore de la récession. Au lieu de nous consolider de manière à devenir une nation économique forte pour l’avenir, il est prêt à amener le pays à la dérive. Je suis convaincu qu’il faut changer cette clause.
Qu’allez-vous mettre à la place de cette clause ?
J’amenderai la clause concernée pour dire que si vous voulez vous mettre en grève, il faudra le faire de façon légale. Il faut déclarer un litige, passer par la Commission de conciliation et de médiation, le vote des travailleurs concernés… On ne peut profiter d’une anomalie légale pour détruire un pays. C’est cela que certains considèrent comme une attaque aux droits fondamentaux des travailleurs et au droit de grève. Or, le BIT considère que, si je vais dans cette direction, je ne fais rien d’autre que remettre les pendules à l’heure.
Ne se peut-il pas que les travailleurs trouvent les procédures en vue de l’organisation d’une grève légale trop longues et trop lourdes ? N’y a-t-il pas une voie du milieu ?
À aucun moment, les syndicats ne m’ont pas fait de demande en ce sens. Personne ne m’a dit jusqu’ici que le chemin et les procédures menant à une grève légale sont encombrants. De plus, aucune protestation n’a été faite auprès du BIT. Celui-ci n’a jamais de revendications car les procédures prévues dans nos législations sont en parfaite conformité avec les conventions sur les droits d’association et le droit de la grève.
Y a-t-il une raison spécifique pour laquelle les législateurs ont inclus une clause concernant la grève illégale dans la loi ?
Je ne comprends pas pourquoi c’est là. Pour moi, c’est une erreur. You cannot make something unlawful acceptable. Si c’est illégal, c’est illégal ! On ne peut pardonner quelqu’un qui commet un crime pour la première fois. Un délit est un délit quelque soient les circonstances. On ne peut soutenir qu’un employeur n’a pas le droit de virer un travailleur qui participe à une grève légale – ce qui est normal – et par ailleurs, dire que qu’un employeur ne peut licencier un employé qui prend part à une grève illégale, cela n’a pas de sens.
Si j’avais fait quelque chose qui allait à l’encontre des intérêts des travailleurs, je n’aurais pas été consulté le BIT. Tout ce que je propose est en ligne avec les recommandations du BIT.
Quels sont les autres amendements proposés ?
Je précise que tous les amendements proposés l’ont été aux termes des consultations. Si la GWF-JNP veut passer par le Premier ministre, elle est libre de le faire… Si elle ne veut pas me rencontrer c’est son choix. Toutes ses propositions ont déjà été discutées avec les syndicats. Beaucoup de syndicalistes ont choisi la voie de la raison. D’autres ont opté pour une autre voie.
Je ne peux avoir des consultations avec Ashok Subron parce qu’il a dit publiquement qu’il ne veut pas me rencontrer, mais rencontrer le Premier ministre. Tout ce qu’il a soumis à Navin Ramgoolam est exactement ce qui avait été discuté entre Reeaz Chuttoo, Atma Santo, Jane Ragoo, Deepak Benydin, etc, et moi. Inutile donc de revenir sur les discussions qu’on a déjà eues. Je dois maintenant aller vers le cabinet afin d’obtenir l’approbation avant de diffuser les améliorations que je compte apporter aux amendements proposés initialement.
Je peux vous dire que les amendements portent sur des mesures plus sévères contre le harcèlement sexuel. Nous comptons aussi réglementer le travail de nuit. Actuellement aucune loi n’interdit à un employeur de faire travailler un employé tous les jours le soir. Il faut qu’il y ait un maximum de nombre d’heures pour exercer la nuit. La personne doit être rémunérée judicieusement. Il doit disposer d’un jour de repos. Un travailleur n’est pas un outil pour fabriquer de l’argent. Il a une famille, une vie. On ne peut pas forcer une femme enceinte de travailler le soir avant et après sa grossesse. Après avoir employé un travailleur sur une base contractuelle durant 24 mois, il doit automatiquement pouvoir devenir un travailleur permanent et disposer d’un contrat à durée indéterminée. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Un travail contractuel est un travail précaire. Il faut le convertir en un travail qui donne aux travailleurs une visibilité long terme. Ce qui lui permet d’avoir une sécurité au travail. Nous nous pencherons aussi sur le processus d’institution de comité disciplinaire de manière à ce que ce soit juste vis-à-vis du travailleur. Il doit avoir des règles et nous devons nous assurer que ce comité soit juste.
Il y a aussi la réembauche des travailleurs qui ont été virés injustement. Nous nous proposons de créer un protection and promotion of employment board. L’Employment Tribunal veillera à ce qu’il n’y ait pas d’abus dans le licenciement des travailleurs. J’ai choisi le juste milieu qui permet d’assurer la création d’emploi, l’investissement et qui empêche les employeurs de faire des abus et de compenser adéquatement lorsqu’il s’avère nécessaire.
Est-ce que dans votre démarche vous prenez en compte aussi bien les travailleurs syndiqués que ceux qui ne le sont pas ?
Tout à fait, nous prenons en considération aussi bien les travailleurs syndiqués que non syndiqués. Concernant les travailleurs syndiqués nous accorderons une grande latitude aux syndicats pour qu’ils fassent leur travail. J’avais initialement proposé d’amender le pourcentage de travailleurs nécessaire pour reconnaître un syndicat. À la demande des syndicats, j’ai décidé de ne pas le faire et de le maintenir au niveau de 30 %. Je n’accepte pas que les gens utilisent des arguments non fondés pour effrayer les travailleurs.
Le Premier ministre a lancé un appel cette semaine aux établissements hôteliers de ne pas limoger les travailleurs au bas de l’échelle…
Il a parfaitement raison. À partir des amendements qui seront présentés au parlement, une compagnie ne pourra plus limoger les petits travailleurs et ceux qui ont servi leur entreprise pendant de longues années. Tous les éléments doivent être mis en place pour s’assurer qu’une compagnie préserve l’emploi. C’est dans ce contexte que nous mettons sur pied un protection and promotion of employment board. Si les travailleurs n’ont pas été virés pour une raison économique, ils devront être compensés pleinement.

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