INTERVIEW : L’éducation de la police est vitale pour que la loi atteigne ses objectifs, selon Me Raouf Gulbul

Le Police and Criminal Evidence Bill (PACE), visant à garantir les droits fondamentaux de nos citoyens, a été présenté au Parlement aujourd’hui. Lors de sa participation l’année dernière à la présentation du premier draft de ce projet de loi, Me Gulbul avait attiré l’attention sur certains aspects qui, selon lui, constituaient des disturbing features. Si aujourd’hui lors de la présentation du deuxième draft, il dit noter avec satisfaction que les recommandations du Bar Council ont été considérées par l’Attorney General et salue l’initiative d’apporter une nouvelle loi pour garantir les droits fondamentaux d’un prévenu. Dans l’entretien qui suit, Me Gulbul attire toutefois l’attention sur certains aspects de cette loi qui devront être revus si l’État souhaite vraiment apporter un changement. Cette loi, souligne-t-il, peut exister et devenir une réalité, uniquement si l’on éduque ceux qui sont tenus de l’appliquer. L’homme de loi fait ici référence à la police. Me Gulbul est d’avis qu’il faut impérativement donner de nouveaux moyens à la police et de les éduquer dans la façon de mener des enquêtes afin que cette loi atteigne ses objectifs.
Quelle est la situation actuelle lors des arrestations et des fouilles ?
Selon la Constitution de Maurice, la police a le droit d’arrêter une personne qu’elle estime, upon reasonable suspect, a commis un délit ou est sur le point d’en commettre un. La Constitution garantit aussi les droits fondamentaux des individus qui ne peuvent être arrêtés sans raison valable. Selon les Judges Rules, si un suspect est arrêté, la police a le devoir de l’informer de ses droits et des charges retenues contre lui et de le traduire devant un magistrat. Nous sommes dans un pays régit par une Constitution, ce qu’on appelle la Rule of Law et la police est tenue de faire appliquer la loi. Ces prescriptions figurent dans la Constitution, les Judges Rules, la Court Act et la jurisprudence. Maurice est différente des pays où règne la dictature et où les gens sont arrêtés et ne sont même pas traduits en cour. Notre loi prévoit que si une personne est arrêtée, elle a droit à un procès devant la justice.
Par ailleurs, la police n’a aucun droit de procéder à une fouille sur une personne sauf si, upon reasonable suspect, elle estime qu’elle est sur le point de commettre une arrestable offence. Selon la Section 9 de la Constitution, nul n’a le droit de fouiller la demeure d’une autre personne. Seule une décision de la Cour délivrant un mandat de perquisition peut donner le droit à la police de fouiller le domicile d’un suspect. Pour ce faire, la police doit également produire, sous serment, des raisons valables en vue de l’obtention du mandat de perquisition.
Qu’est-ce que le Police and Criminal Evidence Bill ?
Ce qui a été présenté à l’Assemblée aujourd’hui est un deuxième draft de ce texte de loi. En mars 2012, l’Attorney General avait soumis au Bar Council le premier draft du PACE Bill afin que ce dernier puisse faire part de ses recommandations. En présence de l’Attorney General, les membres du Bar Council, y compris moi-même, avaient eu l’occasion de s’exprimer sur cette nouvelle loi. Je dois dire qu’à ce moment, j’avais beaucoup de réserves quant à certaines clauses de cette loi qui, selon moi, étaient contraires à la Constitution. L’Attorney General avait pris l’engagement de les revoir et un an après, il y a eu en effet beaucoup de changements, les clauses anticonstitutionnelles ont été enlevées et je pense que l’initiative de Me Varma de prendre en considération les recommandations du Bar Council mérite d’être saluée. À mon avis, cela relève d’une grande importance car non seulement cette nouvelle loi affectera les suspects et les accusés mais aussi les avocats et le déroulement des procès en Cour. D’ailleurs, je souhaite que de telles lois impliquant plusieurs parties doivent pouvoir bénéficier de la consultation des stakeholders avant d’être votées.
Quelles sont les garanties que cette loi protège les droits fondamentaux des prévenus ?
Ce projet de loi contient des dispositions afin que les droits d’une personne arrêtée soient respectés. Si cette loi est une très bonne initiative, il y a, par contre, plusieurs aspects qui ont été négligés, selon moi, et ce sont là des choses qui vont justement contribuer à ce que les droits fondamentaux des prévenus soient bafoués. Je pense qu’il faut avant tout miser sur l’éducation de la police. Nous sommes dans un système où la police ne respecte pas la loi. Dans la précipitation pour trouver l’auteur du délit, les policiers ont souvent tendance à oublier les procédures et les normes dans un pays de droit. À titre d’exemple, ce texte de loi évoque la présence de l’enregistrement par vidéo des procédés de l’enquête afin de s’assurer que le suspect n’est pas malmené par la police. Il importe de souligner que ceci concerne uniquement les enquêtes une fois que la personne arrêtée a été conduite au poste de police. Mais qu’en est-il du moment que la personne est arrêtée jusqu’au moment où elle est conduite au pste de police ?
Le Police and Criminal Evidence Bill prévoit que la police dispose d’une heure après l’arrestaion du suspect pour le conduire au poste de police. C’est justement là qu’il est vital que les policiers soient éduqués au fait qu’ils ne peuvent commencer l’interrogatoire d’une personne dès son arrestation. Selon moi, il s’agit là d’une lacune du PACE qui ne fait pas provision pour une telle situation. De par mon expérience en droit criminel, je peux dire qu’il y a eu dans le passé plusieurs allégations sur des policiers, qui avant de conduire le suspect au poste de police, se sont arrêtés dans des champs de canne pour l’interroger. Je suis d’avis que cette loi devrait mettre l’accent sur les devoirs d’un policier de ne pas poser des questions et d’attendre d’être au poste de police pour commencer l’interrogatoire.
J’insiste sur le fait que cette loi ne suffit pas en elle-même. Il faut miser sur l’éducation de ceux qui vont l’appliquer et cela concerne la police.
Cette loi contient-elle de nouvelles dispositions pour les arrestations et les fouilles…
Selon la Section 8 (1) de ce texte de loi, qui parle du mandat de perquisition, la Cour pourra désormais autoriser la police et des specified persons à procéder à une fouille au domicile d’une personne. Mais qui sont ces specified persons ? Est-ce un membre d’une organisation, d’un ministère ou d’une institution ? Ce sont des dispositions bien vagues qui peuvent avoir des conséquences graves. À mon avis, on ne peut autoriser une autre partie que la police à procéder à une fouille chez une personne, au cas contraire, cela ne garantirait aucunement le respect des droits fondamentaux des individus. C’est la police qui enquête, et c’est à elle seule qu’appartient la responsabilité de fouiller un suspect.
Parlons de la section 17 qui prévoit que la police ne peut désormais procéder à une arrestation sur des simples allégations. C’est bien mais cela ne veut pas dire que la police ne peut arrêter un individu car elle pourra toujours le faire si elle arrive à démontrer qu’elle a mené une enquête approfondie. Actuellement, si X est arrêté pour possession de gandia et soutient qu’il l’a achetée de Y, sur la base de ces allégations, Y est tout de suite appréhendé. Avec le PACE, en principe, cela devrait se passer autrement. Mais dans la pratique, pensez-vous que la police dira à Y qu’elle mène une enquête approfondie pour déterminer s’il doit faire l’objet d’une arrestation ou pas ? À mon avis, les policiers devraient plutôt disposer de nouveaux moyens en vue de mener des enquêtes et il faudrait les éduquer à mener une enquête approfondie avant de procéder à une quelconque arrestation. Il est temps de mettre un terme à ces méthodes archaïques employées dans le cadre des enquêtes. Nous devons avoir une force policière moderne si nous souhaitons que le PACE obtienne sa juste valeur.
Dans le passé, des personnes ont été détenues mais trouvées innocentes après. Le PACE vient-il changer cela ?
La section 28 de ce texte de loi évoque les arrestations basées sur des informations provisoires. À Maurice, très souvent, la police arrête une personne sur la base d’informations provisoires. L’affaire dure deux ans et par la suite la Cour trouve qu’il n’y a aucune raison d’engager des porsuites contre le prévenu. Encore faut-il que pendant tout ce temps cette personne ait été en liberté provisoire. Une fois l’affaire close, elle ne pourra même pas avoir recours aux dommages. C’est un système qui ne peut plus durer. Combien de personnes ont souffert de mauvaise réputation et ont vu leur compte en banque gelé ou ont même perdu leur emploi à cause de ces arrestations faites simplement sur des informations provisoires. Ce qui est dommage c’est qu’en voulant régulariser cette pratique, le Police and Criminel Evidence Bill laisse une fois de plus la porte ouverte aux policiers pour faire la pluie et le beau temps. Le PACE accorde un délai de six mois à la police pour qu’elle mène son enquête. Ce délai peut être prolongé si la police démontre qu’il lui faut plus de temps. N’est-ce pas contradictoire que d’accorder un autre délai indéfini à la police. Si nous maintenons le système actuel, ce sera un retour à la case départ. Je suggère qu’il ne faudrait plus accorder un autre délai indéterminé ; pourquoi pas six mois de plus pour que la police boucle son enquête. Si au bout de ces douze mois, rien n’est fait, alors toute accusation devra être rayée contre la personne détenue. Par ailleurs, conserver des objets trouvés sur le détenu pour les produire deux ans après en Cour est ridicule. Comment peut-on toujours se fier à un système qui veut qu’un portable ayant été saisi deux ans auparavant puisse servir comme exhibits en Cour. La store room de la police est devenue un dumping area où tout ce qui a été saisi dort pendant des années pour au final ne servir à rien.
Comment éduquer la police ?
Ce n’est surtout pas un senior de la force policière qui pourra le faire. Il a lui-même besoin d’être formé. Dans cette démarche, il nous faut voir plus loin. Je crois fermement que si la police sollicite l’expertise des avocats de la défense, elle en sortira gagnante. Pourquoi la police a-t-elle tendance a exclure les avocats de la défense alors qu’ils sont les mieux placés pour les former sur ces aspects de la loi. De plus, je j’estime qu’il est temps d’exiger le Continuous Development Programme pour les policiers.
Voteriez-vous donc pour le Police and Criminal Evidence Bill ?
Ce texte de loi est une bonne chose mais il faudrait amendés les points précités pour qu’il réponde aux aspirations d’un pays de droit. Avec ces amendements, et surtout l’accent sur l’éducation de la police avant tout, je voterai certes pour une telle loi.

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