INTERVIEW: Maurice a de plus en plus de difficultés à surmonter ce contexte difficile, déclare Gilbert Gnany

Gilbert Gnany, Chief Strategy Officer de la MCB, est aujourd’hui une autorité en matière d’analyse économique et financière du pays. Dans cet entretien accordé vendredi au Mauricien entre deux rencontres avec les représentants de Moody’s actuellement à Maurice, il observe que « Maurice a de plus en plus de difficultés à surmonter ce contexte économique difficile ». Il relève que les prévisions de croissance ont été revues à la baisse. « Tout porte à croire que le taux de croissance sera de l’ordre de 4 % en 2011. Au niveau de la MCB, notre estimation préliminaire pour 2012 est de 3,7 % on a no-change scenario. Pour le moyen terme, nous entrevoyons un taux dans la fourchette de 3,5 % à 4,0 %, ceteris paribus ».
Gilbert Gnany exprime également quelques appréhensions quant à la capacité de l’économie à soutenir la création d’emplois et de la richesse dans les années à venir. Pour lui, il faudra continuer à se battre pour maintenir notre classement au vu du rythme imposé par plusieurs pays particulièrement dynamiques en termes de l’amélioration de leur environnement des affaires. Gilbert Gnany attribue la perte de deux places par Maurice dans le classement de Doing Business à l’essoufflement de l’élan réformateur engagé depuis quelques années. Il plaide également en faveur d’un prix et d’une rapidité de la connectivité internet plus accommodants « car c’est un key enabler des gains en productivité across sectors ».
Maurice se situe à la 23e place du dernier classement “Doing Business”, perdant ainsi deux places depuis l’édition précédente. À quels facteurs attribuez-vous ce changement ?
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce changement. D’abord, comme noté précédemment, la méthodologie du classement a été sensiblement modifiée. Subséquemment, le classement de Maurice a souffert de l’essoufflement de l’élan réformateur engagé il y a quelques années, ce qui a conduit à notre 23e position dans la présente édition. Ainsi, nous avons été dépassés par d’autres économies, qui ont mis en oeuvre plusieurs mesures afin d’améliorer leur climat des affaires. À titre d’exemple, la Macédoine et la Lettonie ont introduit des changements positifs dans 4 des 10 critères pris en considération selon le rapport. Même si nous demeurons le pays le mieux classé de l’Afrique sub-saharienne, on devrait s’inquiéter que le rapport de 2012 indique que Maurice n’a initié aucune réforme pendant l’année écoulée, alors que 36 des 46 économies africaines couvertes ont, elles, amélioré leurs réglementations des affaires. De plus, nous avons été modestement notés par rapport au “raccordement à l’électricité” – un nouveau critère introduit cette année. Maurice a également perdu quelques rangs par rapport à la “création d’entreprise”, “le transfert de propriété”, “la protection des investisseurs”, “l’exécution des contrats” et le “solutionnement de l’insolvabilité”.
Quelles sont les particularités de “Doing Business” au vu de la panoplie de classements internationaux ?
Le classement du rapport Doing Business, une publication conjointe de la Banque Mondiale et de l’International Finance Corporation, jouit d’une très forte crédibilité internationale et se distingue des autres classements internationaux du fait qu’il évalue la réglementation des affaires et la protection des droits de propriété en fournissant une base de données objective pour comprendre et aider à améliorer l’environnement réglementaire. En sus de se distinguer grâce à sa couverture étendue de 183 économies, le classement utilise des indicateurs quantitatifs selon un certain nombre de critères couvrant notamment la création d’une entreprise et le paiement des taxes et impôts. Auparavant, aucun ensemble compréhensif d’indicateurs n’était disponible à l’échelle mondiale pour suivre et analyser l’impact de ces facteurs spécifiquement microéconomiques sur l’activité des entreprises au cours de leur cycle de vie. De plus, le rapport Doing Business s’appuie sur une collection et une analyse de données détaillées, basées sur des informations fiables, complémentées par les autorités publiques, des universitaires, des praticiens du privé et des groupes d’évaluation. Il importe aussi de noter que des améliorations sont constamment apportées à la méthodologie et à la base de données du rapport Doing Business depuis son lancement il y a maintenant 8 ans.
Vous dites que la méthodologie appliquée aux indicateurs de Doing Business a encouru quelques modifications. Quelles en sont les portées ?
Doing Business est un classement évolutif, qui est modifié chaque année afin d’affiner les résultats. L’indice global correspond à la moyenne des classements sur 10 indices synthétiques, chaque indice étant affecté du même coefficient ; il s’agit donc d’une moyenne arithmétique de ces indices synthétiques. Aussi, un calcul rétroactif des données, qui tient compte des changements de méthode et des corrections de données pour chaque pays, facilite une comparaison objective à travers le temps. Pour la récente édition, les domaines couverts ont été étendus et prennent maintenant en compte un indicateur sur le raccordement à l’électricité. Une formulation élargie a aussi été adoptée pour certains des critères existants, comme “la fermeture d’une entreprise”, “le paiement des taxes et impôts” et “l’obtention de prêts”. D’autre part, le critère sur “l’embauche des travailleurs”, quoiqu’étant toujours mesuré, n’a pas été utilisé pour la comptabilisation de la notation des pays de l’édition en cours. Cet indicateur important sera probablement réintroduit l’année prochaine après une modification en profondeur.
Comment estimez-vous l’influence des différents classements sur l’attrait de notre pays aux yeux des investisseurs étrangers ?
Des classements comme le Global Competitiveness Index, l’Index of Economic Freedom et Doing Business – où Maurice se positionne en haut de l’échelle et est citée en exemple pour l’Afrique sub-saharienne – encouragent la concurrence entre les économies en ce qu’il s’agit de la liberté économique, la compétitivité et la mise en place d’un environnement “business friendly” et efficient. De tels classements jouent un rôle important pour la réputation et la visibilité de notre pays comme une destination d’investissement privilégiée et rassurent les investisseurs sur notre volonté de réforme économique, notre cadre favorable à la création d’entreprise et au commerce transfrontalier, tout en préservant les droits des investisseurs et les droits de propriété. Ils revêtent une importance accrue de par notre dépendance sur le flux d’investissements étrangers et le partage du savoir-faire qui l’accompagne.
Cependant, il n’en demeure pas moins que ces classements sont relatifs et indicatifs ; de ce fait, ils constituent un facteur parmi de nombreux autres que prend en considération un investisseur étranger. Ainsi, si nous prenons l’exemple de Doing Business, nous notons qu’en général, les indicateurs utilisés ne mesurent pas explicitement tous les aspects de l’environnement des affaires, comme la stabilité macroéconomique, la qualité des infrastructures, la solidité des institutions, la proximité des marchés, les compétences professionnelles de la main-d’oeuvre locale, le niveau de corruption, la réglementation de l’investissement étranger ou la solidité du système financier. Alors que ce sont des indicateurs qui impactent sur les entreprises et comportent une pertinence non-négligeable dans le choix d’un investisseur. S’il est vrai qu’il existe une corrélation positive entre réforme de la réglementation et son impact au niveau de la profitabilité des entreprises, on ne peut pas, pour autant, parler de causalité d’un point de vue statistique.
De plus, la décision d’investir ou de désinvestir dans un pays ne se limiterait pas à une chute de quelques places dans le classement de Doing Business. L’investisseur informé se basera, entre autres, sur une analyse approfondie des retours d’investissement, notamment à long terme, en sachant pertinemment bien qu’une évolution dans ces classements d’une année à une autre ne tient pas compte des changements ou réformes enclenchés par un pays sur la durée.
Maurice ambitionne d’être parmi les 10 pays les plus mieux classés dans la facilitation de la pratique des affaires des entreprises. À votre avis, quelles sont les conditions et réformes essentielles requises pour que Maurice atteigne cet objectif ?
D’abord, il faut mettre en exergue que Doing Business est un classement avec ses particularités propres, qui couvre des pays à différentes étapes de leur développement économique. Les 10 premiers sont tous des pays avancés où la facilitation des affaires est un concept bien ancré, ce qui leur confère un avantage certain. Il est donc difficile pour un pays hors-OCDE d’intégrer le Top 10, même avec une approche réformatrice agressive.
Et Maurice dans tout cela ?
Il faudra continuer à se battre pour maintenir notre classement au vu du rythme imposé par plusieurs pays particulièrement dynamiques en termes d’amélioration de leur environnement des affaires. Par conséquent, une approche cohérente et consultative qui mettrait en exergue les déficiences identifiées dans le récent rapport est requise ; celle-ci comblerait les lacunes notées en matière de réglementations et de procédures relatives au “solutionnement de l’insolvabilité” (en termes de délai, coût et taux de recouvrement), le “transfert de propriété” (en termes de procédures, délai et coût) et “l’obtention de prêts” (en termes de fiabilité des droits légaux et de couverture de l’information sur le crédit).
De ce fait, il est essentiel de renforcer la capacité des autorités à implémenter les réformes nécessaires avec rapidité et efficience. Dans ce sens, la récente initiative de mettre sur pied un Joint Business Facilitation Committee est un pas dans la bonne direction. En effet, une approche holistique pour la mise en oeuvre des réformes favoriserait notre avantage concurrentiel et éviterait de placer un lourd fardeau sur nos entreprises. L’objectif ultime des initiatives préconisées devrait être de favoriser l’efficience à tous les niveaux. À ce titre, il est important de rehausser la qualité des services publics, ce qui, entre autres, requiert une refonte des organismes para-étatiques. De plus, we need to stay ahead of the curve avec plus d’emphase sur un système qui soit rules based, à l’opposé de pouvoirs discrétionnaires.
On entend souvent les dirigeants gouvernementaux dire que malgré la situation internationale, Maurice connaît une croissance supérieure à 4 %. En tant qu’observateur avisé, quelle est votre évaluation de la situation économique du pays ?
L’économie locale a démontré un certain degré de résilience face aux problèmes économiques successifs au niveau international. Néanmoins, et la plupart des analyses tendent dans cette direction, Maurice éprouve de plus en plus de difficultés à surmonter ce contexte difficile. D’ailleurs, les prévisions de croissance ont été revues à la baisse. Ainsi, tout porte à croire que le taux de croissance sera de l’ordre de 4 % en 2011. Au niveau de la MCB, notre estimation préliminaire pour 2012 est de 3,7 % on a no-change scenario. Pour le moyen terme, nous entrevoyons un taux dans la fourchette de 3,5 % à 4,0 %, ceteris paribus. La performance pour les prochaines années dépendra évidemment de l’évolution de nos principaux marchés. Nous espérons cependant que la récente conclusion d’un nouvel accord sur la crise de la dette européenne amorce une sortie de crise globale. Toutefois, même s’il faut se réjouir des progrès substantiels accomplis à ce niveau, il faudrait une application in toto des réformes déjà acceptées sans oublier qu’il y a encore un certain nombre de décisions difficiles à prendre. Mais il s’agit d’une étape importante à quelques jours de la réunion cruciale du G20 à Cannes.
Pour en revenir à Maurice, on peut nourrir, compte tenu des prévisions de croissance du PIB déficitaires comparées au taux de 6 % préconisé pour atteindre les objectifs socio-économiques précédemment fixés, quelques appréhensions quant à la capacité de l’économie à soutenir la création d’emplois et de la richesse dans les années à venir. Une source majeure d’inquiétude demeure le repli de l’investissement privé, qui aujourd’hui ne représente que 18 % du PIB, ce qui est très loin des 24 % requis pour un développement durable (basé sur nos analyses et soutenu par d’autres études, notamment celle du FMI). Fait encore plus inquiétant, l’investissement privé non-résidentiel connaîtra une contraction en termes réels de quelque 9 % en 2011, ôtant ainsi plus d’un point de pourcentage à la croissance économique. D’ailleurs, si les réformes appropriées ne sont pas rapidement introduites, l’investissement domestique privé par rapport au PIB devrait maintenir une tendance négative – une baisse estimée entre 0,6 % et 1,7 % pour la période 2012/2014, par rapport au baseline actuel. Dans ce contexte, il est primordial de restaurer la confiance, l’intangible asset déterminant pour créer le déclic nécessaire à notre relance économique ; la confiance demeure donc le mot clé.
Cet avis est d’ailleurs partagé par des institutions internationales ainsi que de nombreux observateurs locaux, qui ont aussi souligné l’effet défavorable des quelques mixed signals envoyés récemment au niveau de la politique gouvernementale. D’autres sources d’inquiétude qui méritent une attention particulière s’articulent autour des imperfections du marché du travail, la compétitivité de nos secteurs d’exportation, le déficit sur le plan des infrastructures publiques et la gestion sous-optimale des entités para publiques.
Cette semaine sera dominée par la présentation du budget. Quelles sont les principales mesures que devrait prendre le Grand argentier dans le cadre de la situation actuelle de l’économie mondiale ?
Au vu de l’actuelle conjoncture internationale dominée par la crise d’endettement de l’Europe et prenant en considération la portée des défis économiques et des objectifs de développement du pays, il est urgent de relancer la dynamique réformatrice. En ce sens, comme évoqué précédemment, il est impératif de relancer l’investissement privé pour la création d’emplois et la génération de la richesse, en s’appuyant sur une étroite collaboration entre le secteur public et privé et les partenaires sociaux afin d’affiner la résilience de Maurice. À cet effet, des mesures doivent être enclenchées pour la mise en place d’un cadre propice aux affaires, afin d’améliorer la compétitivité et la productivité de notre économie.
On dit que le budget n’est qu’un exercice comptable. Comment concilier cela avec les mesures économiques et fiscales que vous préconisez ?
Tout en étant conscient que le budget est un exercice d’arbitrage entre divers objectifs quelquefois contradictoires, il serait souhaitable d’adopter des mesures pragmatiques à court terme afin de contrer les chocs contextuels, tout en favorisant la mise en place de pro-growth strategies orientées vers l’optimisation de la capacité interne de production du pays. Cette approche doit évidemment être animée par des principes de base, comme la cohérence et la clarté des messages en vue d’éviter l’envoi de mixed signals aux investisseurs, une concordance des initiatives préconisées, et, finalement, une mise à exécution rapide et soutenue des réformes. De plus, la diversification de l’économie et de nos marchés d’exportation doit être accélérée, tout en consolidant nos piliers traditionnels, en s’appuyant sur des mesures adéquates pour rehausser la compétitivité de nos secteurs. À titre d’exemple, il faut s’assurer que le prix et la rapidité de la connectivité internet soient plus accommodants, car c’est un key enabler des gains en productivité across sectors. D’autre part, la politique fiscale devrait prendre en considération la nécessité de relancer la croissance tout en l’associant à un renforcement de la viabilité budgétaire à travers un contrôle rigoureux des dépenses pour éviter les gaspillages et une amélioration de la collecte de l’impôt. En parallèle, tout en composant avec la trajectoire du taux d’inflation avec une baisse anticipée l’année prochaine, on devrait adopter une politique monétaire appropriée et complémentaire à la politique fiscale, soutenant ainsi la croissance. En ce qui concerne les conditions nécessaires pour une économie plus robuste, flexible et compétitive, nous sommes tous d’accord que la qualité des infrastructures publiques doit être améliorée et la capacité d’implémentation des projets rehaussée.
En attendant, le ministre des Finances a déjà identifié les quatre piliers sur lesquels reposera le Budget 2012, notamment la croissance économique, la protection sociale, la reforme du système fiscal et la mise en place des mesures pour contrer les répercussions de la crise économique en Europe et aux États-Unis. Mais, nous demeurons dans l’expectative d’une orientation économique solide, pragmatique, accompagnée de mesures concrètes, avec un calendrier strict au niveau de leur mise en oeuvre et prônant une approche volontariste face à l’adversité, tout en espérant que les signes positifs envoyés par les récentes décisions prises pour renforcer le fonds européen de stabilité financière et amorcer une sortie de crise de la dette souveraine européenne soient suivis de mesures similaires au niveau des décideurs du G20.
Le budget, au-delà de sa dimension comptable, demeure l’outil crucial dans la définition de notre stratégie économique. Compte tenu de l’actuelle conjoncture internationale incertaine, cet exercice budgétaire sera d’autant plus important pour renverser la vapeur et contrer les downside risks.
———————————————————————————————————————————
Chairman du nouveau Statistics Board
Chairman of the newly set-up Statistics Board, Gilbert Gnany holds a Masters in Econometrics from the University of Toulouse and a “DESS” in Management/Micro-Economics from Paris-X. He is currently the Chief Strategy Officer of the MCB Group while acting as Advisor to the Board of Directors. Previously, he had a two-year stint as Senior Advisor on the World Bank Group’s Executive Board where he was responsible for issues relating mainly to the IFC and to the private and financial sectors. Prior to joining the World Bank, he was the MCB Group Chief Economist after having been the Economic Advisor to the Minister of Finance. During his career, he has been involved in various high-profile boards/committees. Amongst others, he chaired the Stock Exchange of Mauritius and the Statistics Advisory Council, and has been a member of the Board of Governors of the Mauritius Offshore Business Activities Authority. Furthermore, he is currently the Chairman of the newly set-up Statistics Board and is a member of the IMF Advisory Group for sub-Saharan Africa.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -