INTERVIEW: Utiliser la plate-forme artistique pour instaurer un dialogue interculturel, déclare Amanda Mouellic

Amanda Mouellic est la nouvelle directrice culturelle de l’Institut français de Maurice depuis trois semaines, succédant à Élise Mignot dont le mandat est arrivé à son terme. Elle arrive à Maurice après avoir connu une riche carrière dans l’univers théâtral et de la littérature française en Australie, en Argentine et en Afrique du Sud, entre autres. Elle nous parle de son principal projet à Maurice : « Utiliser le médium et la plate-forme artistique pour instaurer un dialogue interculturel et voir comment ces cultures peuvent se rencontrer et qu’est-ce que cela va créer ».
Votre arrivée n’était pas annoncée ?
Non, il n’y a pas eu d’annonce officielle parce qu’Yves Alain Corporeau était à Paris. J’ai pris mes fonctions le lundi 5 septembre. Élise Mignot est arrivée au terme de son contrat et a fini ses fonctions le jeudi 1er septembre.
Vous arrivez donc à Maurice après avoir connu une riche expérience dans les pays du Sud puisque vous avez été en poste en Australie, en Afrique du Sud et en Argentine ?
Oui, on va dire cela. J’ai une formation littéraire avec une maîtrise de Lettres modernes spécialisée en littérature francophone et comparée. J’ai ensuite fait une formation théâtrale de comédienne et de metteur en scène. J’ai étudié principalement au Conservatoire de Saint-Germain et aux ateliers du Sudden à Paris. J’ai fait un Master de mise en scène au Victorian College of the Arts à Melbourne, ville où je suis restée pendant plus de cinq ans.
J’y ai monté une compagnie de théâtre et j’ai travaillé en tant que metteur en scène en essayant de faire connaître les écritures contemporaines françaises à travers des écrivains comme Joris Lacoste. Je me suis intéressée aux dramaturges contemporains australiens. J’ai également monté de premières pièces écrites par de jeunes dramaturges australiens. Il y a eu toujours ce double volet d’être inscrit dans ma culture d’origine tout en me tournant vers la culture des pays dans lesquels j’étais affectée et de faire en sorte que les rencontres se produisent.
Est-ce qu’il y avait des dramaturges francophones en Australie ou avez-vous travaillé avec des anglophones ?
Il y a des dramaturges anglophones et j’ai fait venir des dramaturges francophones en Australie. J’ai organisé des résidences qui ont permis d’écrire, d’adapter et monter des pièces. On a fait une première de Joris Lacoste dans un petit théâtre à Melbourne et la pièce a été ensuite jouée au théâtre de la nationale de la Colline à Paris. C’était une première. On a par la suite traduit la pièce en anglais de manière à permettre aux Australiens de la voir. On a travaillé avec des acteurs australiens qui ont eu à apprendre un peu de français. Il a fallu également l’adapter pour le public australien afin que le message passe. Il y a eu donc un travail d’écriture pour le dramaturge. Je me suis occupée de l’adaptation et de la mise en scène pour moi. Les acteurs australiens ont amené à découvrir un univers et à le prendre en charge de manière à le donner au public local. C’est ce genre de travail qui m’intéresse : c’est-à-dire faire des passations avec nous comme passeurs de manière à instaurer le dialogue entre deux, trois ou quatre cultures et des univers différents. Il s’agit d’utiliser le médium et la plate-forme artistique pour instaurer un dialogue interculturel et voir comment ces cultures peuvent se rencontrer et qu’est-ce que cela va créer. Il est certain que cela va créer quelque chose de différent.
Tenant en compte votre parcours, il nous semble que vous symbolisez cette plate-forme d’autant plus que vous êtes à l’aise aussi bien dans l’univers anglophone que francophone ou hispanophone…
En fait ma mère est australienne, j’ai la double nationalité, j’ai étudié en Australie. J’ai ce bagage d’être au carrefour des deux… Après l’Australie je suis allée en Argentine. L’Argentine c’est encore autre chose. J’ai monté un festival international de théâtre entre l’Argentine et l’Afrique du Sud. Ce fut mon premier contact avec le continent africain. Des compagnies d’Afrique du Sud sont venues jouer en Argentine et une compagnie argentine est allée jouer en Afrique du Sud avec la même formule : ateliers, résidences avec les universités, les jeunes acteurs et les passations pour voir comment on travaille en Afrique du Sud et en Argentine respectivement. On a aussi fait venir des musiciens argentins qui ont accompagné des pièces sud-africaines. On a créé des passerelles. Cela nous a permis de voir ce qui se passait lorsqu’on met deux pays ensemble et de voir comment ils communiquent. C’est beaucoup plus facile à faire par le médium de l’art. C’est une communication qui va au-delà de la parole et au-delà des codes du quotidien et sociaux. On est dans une autre sphère. C’est comme si les codes disparaissent. La communication entre les gens est beaucoup plus fluide.
On avait même des acteurs sourds et muets qui sont venus animer un atelier à l’intention des jeunes Argentins à l’université. Ils ne pouvaient pas communiquer par la parole, tout passait par le corps. Des acteurs sud-africains faisaient passer par le corps des informations aux acteurs argentins. C’était merveilleux. Ce qui se passait était extraordinaire. Tout à coup tout le monde comprenait tout le monde dans le silence sans rien dire et juste par le corps. Il faut le vivre pour le comprendre.
Vous allez sûrement pouvoir donner libre cours à vos talents à Maurice…
Je l’espère. J’ai encore tout à découvrir. Je suis arrivée il y a deux semaines seulement. Je sais qu’ici c’est complètement multiculturel et que toutes les communautés sont représentées avec leur histoire, leur religion, leur culture et leur langue. Tout le monde parle deux ou trois langues, c’est incroyable. Le fait de parler plusieurs langues, cela ne se trouve pas dans tous les pays. Il y a un terrain multiculturel qui porte à cela, déjà dans notre programmation on va croiser des choses. L’IFM l’a fait déjà. On va donner la parole aux artistes d’origines et de communautés différentes. C’est un lieu où toute cette richesse mauricienne existe et s’exprime. C’est essentiel pour moi de continuer cela. De continuer à faire de l’IFM une plate-forme qui permet à tous de s’exprimer, de montrer et de dire ce qu’ils ont à dire dans leur langage. J’aimerais développer ici des rencontres et des croisements.
Avez-vous été en mesure de faire un état des lieux à Maurice ?
Pas encore. Il faut prendre le temps d’observer, d’écouter, de rencontrer, de parler pour pouvoir ensuite faire un état des lieux. J’ai déjà rencontré pas mal de gens. Mon objectif est de dessiner une programmation pour 2012. Je dispose des quelques mois à venir pour observer et voir ce qui se passe, qui sont les acteurs, comprendre un peu mieux Maurice et réfléchir comment organiser une programmation par rapport aux lignes que j’ai envie de défendre et comment elle peut s’inscrire dans la communauté mauricienne dans le pays.
Quelles sont vos attentes ?
Je souhaite diffuser de plus en plus des formes de résidences et des plates-formes d’échange entre les deux îles et que ces plates-formes d’échanges donnent lieu soit à une création commune, soit à des rencontres qui vont développer des créations communes.
Ce qui est très important pour l’IFM c’est d’être un tremplin, de permettre à des connexions, des rapports et des réseaux de se créer. Aux artistes de continuer à partir de là leur aventure afin que nous puissions tourner, accueillir, lancer de nouveaux talents, leur donner des réseaux, les structures pour qu’ils puissent continuer à créer sans nous et qu’on puisse accueillir d’autres personnes. Notre vocation est de dénicher et de donner la voie. C’est important de laisser la place aux nouveaux et à nous d’aller regarder ce qui se passe et de comprendre ce qui est en train de se créer, de leur donner la plate-forme et faire qu’en sorte qu’ils puissent à partir de là aller ailleurs. Avec Îles Courts, festival qui existe depuis cinq ans, l’année dernière, une dizaine de réalisateurs mauriciens sont partis à Clermont-Ferrand, au plus important festival international du court métrage. C’était la première fois que les Mauriciens présentaient un film à un festival international. C’est l’exemple parfait de notre vocation à l’IFM : mettre en oeuvre une programmation, dénicher des talents, les aider à produire leur film et à partir de là, ils sont sur la scène internationale. Ce qui leur permet d’avoir des contacts.
Et dans le domaine culturel…
Les secteurs de la musique et la littérature sont très développés à Maurice. Ils sont très porteurs. Il y a énormément de talents en littérature et en musique. Il y a moins de visibilité dans les arts du spectacle et du cinéma. Il y a moins de réalisateurs mauriciens, moins de choses qui sont créées. C’est là où il faut aller creuser, voir ce qu’il y a et développer. Peut-être qu’il faudrait faire venir des réalisateurs des techniciens ou des dramaturges français, pour aller à la rencontre des acteurs mauriciens, faire des résidences, des formations, de sorte que quelque chose puisse se créer. En même temps, les Français repartiraient chargés d’une aventure complètement différente. Venir à Maurice travailler avec des gens, cela peut générer une inspiration afin de créer à partir de là une pièce en France. Notre rôle est d’être la passerelle et faire en sorte que ces rencontres aient lieu et débouchent sur quelque chose.
Est-ce que ces rencontres se limiteront entre la France et Maurice ou est-ce que d’autres pays seront impliqués ?
Notre charte définit l’Institut français et non pas l’Institut international de Maurice. Elle vise surtout à favoriser des échanges bilatéraux entre la France et Maurice. On peut s’ouvrir à une plate-forme régionale avec une ouverture sur l’océan Indien. On peut développer avec Madagascar et peut-être avec l’Afrique du Sud. On peut essayer de faire des choses régionales. On travaille beaucoup avec la Réunion. La région est un domaine à creuser. Au niveau international ce serait formidable mais ce n’est pas encore d’actualité.
Ne pourrait-on pas développer des relations avec des pays francophones ?
On a plus de chance de réussir au niveau régional parce qu’on peut faire bouger les gens plus facilement. Dès qu’on veut aller plus loin c’est beaucoup plus difficile d’amener les gens, de les faire venir chez nous. Cela coûte plus cher. Et il y a toute logistique comme les visas qui ne sont faciles à obtenir pour tous les pays. Il y a des obstacles qui sont là et qui sont des impondérables. Au lieu d’aller lutter contre les obstacles qui existent, ce sera plus intéressant de développer des choses où c’est possible. À partir de là on pendra de plus en plus d’ampleur et on pourra viser autre chose.
Maurice est un chantier multiculturel. Il y a sans doute beaucoup de choses à faire ici…
L’opportunité et la chance qu’on a d’être à Maurice font qu’on n’est pas obligé d’aller chercher partout ailleurs. On a des échantillons du monde qui sont là sur place. On pense explorer cela. Pourquoi faire venir des gens d’Inde, de Chine ou d’ailleurs alors qu’on a des échantillons de cultures sur place.
Maurice est très active au sein de la Francophonie, cela ne constitue-t-il pas un avantage ?
Oui tout à fait, il est intéressant de faire vivre toutes les cultures qui portent la langue française. C’est d’ailleurs le cas pour l’Inde où on a tous les artistes de partage dont Krisna qui a déjà exposé ici et qui exposera au mois d’octobre. On développera un partenariat avec lui. Un de ses films a été sélectionné pour le festival Îles Courts. C’est vrai qu’il y a dans la programmation des artistes de culture hindoue, chinoise, créole…
La langue française transcende toutes les communautés à Maurice…
Oui, c’est vrai que toutes les communautés sont porteuses de cet héritage culturel français. C’est extraordinaire déjà. Cela veut dire qu’il y a une appropriation de la culture française.
Les frontières culturelles sont parfaitement perméables. Ce qui est aussi intéressant à Maurice c’est qu’il y a le phénomène d’acculturation. On vit très près les uns des autres et même si on reste un peu plus proche de sa communauté d’origine on est influencé par la culture des autres. C’est ce qui fait qu’il y a autre chose qui naît. La culture indienne n’est pas la même qu’en Inde, c’est aussi le cas pour ceux originaires d’Afrique, d’Europe ou de Chine. Il y a un melting pot. Chaque individu est le résultat de ce croisement permanent d’influences. Nous avons l’impression que durant la journée les individus sont transformés par toutes ces influences et lorsqu’on rentre chez soi on a toujours l’impression d’avoir appris quelque chose. On est transformé par ce contact. C’est cela que j’aurais aimé faire vivre.
Votre carrière a évolué au cours des années. Comment vivez-vous ce changement ? La scène ne vous manque-t-elle pas ?
J’ai l’impression que c’est une évolution logique de mon parcours. Quand je suis partie en Argentine par exemple, c’était comme metteur en scène pour un festival. À la suite de cela, je me suis tournée vers la production et de retour à Paris, j’ai travaillé au centre Pompidou. Ce n’était pas du théâtre mais autre chose encore. C’était plus le domaine de l’éducation. Il s’agissait d’un programme d’accompagnement à l’art contemporain destiné aux jeunes qui sont éloignés de la culture. À Bruneï, j’étais à l’Alliance Française et de là, je suis arrivée à Maurice. Mon parcours a été fait à travers des rencontres et des opportunités que j’ai saisies. Cela ne met pas en arrêt mes activités créatives. Je trouve au contraire du temps pour écrire ou jouer ; c’est ponctuel. Par exemple, il y a quelques mois, j’ai joué dans une pièce à Paris créée par une compagnie qui était en résidence en Russie.
On vous verra peut-être faire du théâtre à Maurice ?
Oui, peut-être. C’est possible. Je n’ai pas l’impression d’être cloisonnée. Ce n’est pas à cause de ce que je fais en ce moment que je vais arrêter le théâtre. Les choses vont et viennent, cela dépend du moment.
Vous écrivez aussi
Au passage. Un petit peu. J’ai écrit une pièce de théâtre qui n’a jamais été jouée mais qui a été mise en lecture et en espace. Et puis, il y a des carnets de voyage. Ce sont des traces de vie. Quand on voyage beaucoup, on n’a pas de base solide. On est un peu nomade. Avoir ces repères aide à tisser une toile.
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