JEAN CLÉMENT CANGY: Le séga dans l’histoire

C’est une tranche de notre patrimoine musical que l’ancien journaliste Jean Clément Cangy sauve de l’oubli avec Le Séga / Des origines… à nos jours. Un ouvrage de référence qui se destine à la postérité.
Il fredonne Sa ki apel ou ena toupe avant l’entretien. Un séga de Roger Augustin, père de Jean-Claude Gaspard, précise Jean Clément Cangy, pour ceux qui ne le sauraient pas. L’ancien journaliste propose Le Séga / Des origines… à nos jours et retrace un cheminement de l’esclavage à aujourd’hui, en passant par Ti-Frer, Jacques Cantin, Maria Varlez, dite Maria Séga, Nancy Dérougère, Double K…
Le séga est présenté selon plusieurs déclinaisons : “séga-la-côte”, “séga salon”, “séga typique”, “séga taverne”, “séga lotel”, “séga lakour”, “séga dan lari”. Hommage est aussi rendu aux ségatiers et ségatières. Référence faite à Loïs Cassambo et Louis Joseph Gabriel (Fanfan).
Le Séga / Des origines… à nos jours relève du travail journalistique, avec la parole donnée à plusieurs intervenants, à l’instar de Marclaine Antoine. Un des derniers griots de Maurice, aux dires de Jean Clément Cangy. “Il a acquis beaucoup de connaissances, notamment sur le séga, transmises à l’oral de génération en génération.”
Des savoirs immémoriaux que Marclaine Antoine tient notamment du grand griot de Rivière du Rempart. Un certain Nelzir Ventre, qui lui-même transmet ce savoir légué par ces aïeux. Marclaine Antoine chante ainsi les effroyables incursions perpétrées en Afrique, avec pour seule fin celle d’alimenter le commerce de la traite des esclaves :
Mo mama na pa plore, na pa sagrin
Souy to lizie mo pe ale
Premie koud fizi ou wa tande
Wa gagn nouvel ki mo finn mor
Mo mama, si mo finn mor
Mo tia kontan mo memwar met
Dan la fore
Pou tou zenn fi zenn zan ki a pase
Zot va met enn fler lor mwa
Mo piti to pe ale pran kouraz
Kitfwa enn zour to va retourne
Si to destin finn fer pou to mor dan lakaz
Non to pa pou mor dan lasenn
Mo mama si mo finn mor
Mo sagay met dibout dan la krwaze
Kan mo zanfan vinn gran zot a kone
Ki zot papa ti enn ero…

Ainsi apprend-on que Nelzir Ventre racontait, lors de veillées, d’étranges histoires d’un animal mi-homme, mi-oiseau : Zozo Morocco. Il chantait des ségas gros-pilé, accompagné par un long bambou; guérissait des tambaves et des foulures, alors que des personnes en transe avalaient des charbons brûlants. L’auteur rappelle que primitivement, le séga revêtait une dimension empreinte de mysticisme, et l’on invoquait les esprits, dont le fameux Babani. Les ségatiers apparaissent également comme de grands improvisateurs.
Marclaine Antoine a aussi connu Alphonse Ravaton (Ti-Frer). Cet homme, considéré comme le père légendaire du séga, ne savait ni lire ni écrire. Tous ses ségas dansent dans sa mémoire, au gré des soirées et des représentations dans des bal bobes, éclairés à la lampe de pétrole. Le premier morceau enregistré grâce à la maison Damoo fut Tamasa. Le premier 78 tours réalisé à Maurice, relève Cangy.
Il cite plus loin le journaliste Pierre Renaud, toujours à propos d’Alphonse Ravaton : “Ti- Frer, c’est le séga. Non pas cette musiquette d’un soir, mais ce cri dans la nuit mauricienne, qui dit l’amour, la misère, la trahison, qui dit la vie. Longtemps encore, nous entendrons cette voix un peu rauque, ou un peu égratignée, nous chanter une île Maurice que certains savent sauver de la disparition.”
Parmi les grands du monde du séga, Loïs Cassambo et Fanfan sont cités. À Mahébourg, Fanfan enchante enfants et adultes, avec ses histoires et des ségas de son cru, au nombre desquels on recense Tchombo li la, Kawal Kreol, Ki zoli zoli, Mamzel kontan riyé et 400 canons, 300 revolver.
400 kanon 300 revolver
Gard Fanfaron finn zwenn
Gard lari Moka
Toulede finn zwenn ansam
Pou bat vakabon
Tansion vakabon
Setaki ar so zouti…

À Petite Rivière, Loïs Cassambo flamboie la ravanne, lors de ségas dan lakour, notamment les samedis. Les Cassambo, dont Josianne (Zanfan Ti Rivier), enregistrent un album en 1981 avec pour titres phares : Sofé ravann, Sega foutan, Séri coco, Zégui masinn, Tangalé, enregistrés en plein air, dans leur cour, à Petite Rivière. Depuis, Tangalé a été repris par une kyrielle d’artistes.
Cyril Labonne figure parmi les innombrables noms cités dans l’ouvrage. On retient de lui Alouda Limonad, sorti en 1968. Il fut l’un des premiers à intégrer le circuit hôtelier. Il souleva également la question des droits d’auteur et popularisa le séga un peu partout en Europe. Alouda Limonad est durablement inscrit dans la mémoire collective.
Se ne pa serin ki gazouye
Se ne pa serin ki gazouye
Se ne pa serin ki gazouye
Se mon am ki mont dan lezer
Alouda limonad glase
Alouda limonad frape
Alouda limonad vann dan bazar…

Notons que les couplets Mo al dan konsey minisipal / Ramgoolam pa donn sigaret furent à l’époque tout bonnement censurés par la MBC. Rencontrant le principal concerné, Cyril Labonne évoqua cette censure avec lui. La MBC finit par rétablir ce séga dans son intégralité. Le livre rappelle que Seewoosagur Ramgoolam aimait le séga et était proche des ségatiers. SSR comptait parmi les amis de Ti-Frer.
Soulignons que l’ouvrage ne manque pas de déployer un large éventail de ségatiers. Une liste bien trop longue pour tous les citer dans ces colonnes. Retenons néanmoins Jean-Pierre Mohabeer (Coulouce), qui causa un vif émoi dans la population avec son Séga Goblet ou encore Angela, qui puise sa substance dans le blues. Une chanson qui d

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