JEUNES DIPLÔMÉS EN PRISON: Traumatisme certifié

Plus de 60% de la population carcérale est âgée de 18 à 35 ans. La délinquance juvénile est en hausse et les prisons accueillent de plus en plus de jeunes avec un niveau d’éducation élevé. Promis à un avenir brillant, ces derniers ont chuté et se relèvent difficilement du traumatisme de la prison.
Après de brillants résultats au collège, Avinash a bénéficié d’une bourse pour entamer des études tertiaires à l’étranger. Il décide de revenir en vacances au pays pour se ressourcer avant de reprendre ses études pour concrétiser ses grandes ambitions professionnelles. Mais il est arrêté avec de la drogue et est condamné à quatre ans de prison. Krishna, lui, a été libéré, il y a quelques mois, après avoir passé deux ans en prison pour émission de chèque sans provision. Le jeune homme est détenteur d’un HSC.
Dans les prisons mauriciennes, il existe aujourd’hui de plus en plus en plus de jeunes avec un bagage académique très honorable qui se retrouvent incarcérés. Plusieurs étaient promis à un tout autre avenir.
Tentations.
Pour Cadress Rungen, Principal Hospital Officer à la prison, “plus de 60% de la population carcérale est âgée entre 18 et 35 ans. Nombreux sont des éléments potentiels du pays, qui étaient promis à un bel avenir.”
Mais pour des affaires de drogue ou des délits en apparence banals, de plus en plus de jeunes chutent. Parfois très lourdement. Cela ne surprend pas Cadress Rungen, qui trouve que “l’environnement dans lequel grandit la jeune génération est un espace ouvert à toutes sortes de tentations, les unes plus agressives que les autres. Souvent, c’est par ignorance que ces jeunes se retrouvent impliqués dans ces types de délits.”
Imran Dhannoo, du Centre Idrice Goomany, partage son avis. Il estime que la tentation et l’influence sont les premières causes d’un rajeunissement chez les consommateurs de drogue. “Ces jeunes évoluent dans une société difficile. Ils vivent une adolescence qui est hautement influencée par les médias.” Citant d’autres facteurs pouvant mener un jeune à commettre une offense criminelle, Imran Dhannoo évoque le phénomène de frustration ou encore la démission parentale.
L’arrivée de ces jeunes en prison interpelle beaucoup les observateurs et les personnes habituées à l’univers carcéral. Réputée pour un endroit très dur, voire impitoyable, la prison ne fait de cadeau à personne, surtout pas à ceux qui n’ont jamais été préparés à l’affronter. Après avoir côtoyé des criminels endurcis et subi les règles qui gèrent la vie carcérale, Avinash et Krishna en sont sortis traumatisés.
La loi du plus fort.
Avinash se souvient de sa première nuit en cellule. C’était traumatisant, confie-t-il. “Le matelas sur lequel je dormais était dans un état pitoyable. Je me faisais bouffer par toutes sortes de bestioles.” Pour s’en sortir, il lui a fallu se forger un caractère, “car là-bas, c’est la loi du plus fort qui règne. Bann-la fini par kraz ou latet si ou amenn rol frel-frel. Kas zwe enn gran rol. Samem lakle tou zafer. Kan mo ti fek rantre, enn mwa mo pann al twalet. Telma tromatize toulezour. Kapav vinn fou kan sorti laba.”
Issu d’une famille modeste, Krishna, dont le père est enseignant, raconte qu’il ne manquait de rien. Le jeune homme était très attaché à son petit confort familial. À la maison, c’était maman qui faisait tout. Elle lui servait à manger, lui repassait ses vêtements…
Son emprisonnement a constitué un virage à 360 degrés. Il était exposé à un environnement autre que celui dans lequel il avait grandi. “C’était une autre façon de vivre, une autre façon de penser, une autre façon de se comporter. Rien n’était comme à la maison.”
Avinash a également vécu dans le confort avant d’être pris dans la spirale de la drogue. En 2003, il rentre au pays pour des vacances mais est victime d’un grave accident de la route juste avant son départ. Deux personnes sont tuées, et il doit rester alité pendant des mois. Désespéré, il trouvera la “solution” à sa détresse par l’intermédiaire de ses anciens camarades de collège. “Ils m’ont fait goûter à ma première dose d’héroïne alors qu’ils étaient venus me rendre visite à la maison.” Il ne pourra plus sans passer… jusqu’au jour où il est arrêté pour détention et consommation de drogue. “Quatre ans de ma vie. C’est ce que m’a coûté mon moment d’égarement. Je ne m’attendais pas à un tel retournement de situation. Je me suis tout simplement laissé influencer par les amis.”
Réhabilitation.
Imran Dhannoo et Cadress Rungen considèrent l’emprisonnement d’un jeune comme le dernier recours en matière de réhabilitation. “Ce n’est pas un endroit pour eux. Ce lieu est réservé à ceux qui commettent l’irréparable”, souligne Imran Dhannoo. Il est soutenu par Cadress Rungen, qui aurait préféré “un système de précaution et de prévention qui pourrait éviter ce genre de situations. Au lieu de mettre un jeune derrière les barreaux, la loi devrait favoriser les services communautaires et d’autres moyens de réhabilitation”.
C’est pour permettre à ces jeunes de mieux s’adapter à leur nouvel environnement mais aussi pour qu’ils puissent se reconstruire, même en étant en prison, que divers programmes de réhabilitation ont été mis en place. Avinash qualifie le Lotus Center de soutien primordial pour les détenus. “C’est un endroit où nous apprenons à privilégier les bonnes choses de la vie. Les cours que nous suivons nous font prendre conscience de nos erreurs.” Krishna parle du centre comme “une initiative positive, qui m’a permis de remonter la pente et ne surtout pas baisser les bras quand j’étais en prison”.
Le commissaire des prisons, Jean Bruneau, encourage lui aussi ces projets de réhabilitation mis en place par la prison. “C’est l’épreuve à réussir pour s’assurer d’un changement de comportement de la part du détenu. Une fois ce pas franchi, le jeune a toutes ses chances de réussir une fois qu’il retrouve sa liberté”. Car le vrai travail, dont la réinsertion, commence une fois que l’ex-détenu se retrouve dans la société, souligne Cadress Rungen.
Calvaire.
Cette impression d’être toujours jugé par la société, Krishna la vit quotidiennement, bien qu’il estime avoir payé sa dette. Il raconte : “Quand je marche dans la rue, les gens me dévisagent du regard, comme si j’étais un criminel. Il m’est déjà arrivé d’entendre des critiques à mon sujet durant une rencontre religieuse.”
Alors qu’Imran Dhannoo parle de l’importance de l’encadrement familial après une peine de prison, Avinash, qui habite chez ses parents, raconte son calvaire. Sa mère et son père ne le considèrent plus comme le petit génie de la famille. “Dans leurs regards, je vois qu’ils sont déçus. Ils ne supportent plus de me voir à la maison, à squatter la chambre de télé.” Avinash, au chômage depuis trois ans, s’est rendu à plusieurs entretiens, sans jamais être retenu. “Ils me parlent tous de certificat de moralité, comme si ce morceau de papier pouvait justifier mes compétences. Il semble que mes certificats ne valent plus grand-chose aujourd’hui.”
Pour franchir l’étape de la deuxième chance, Avinash estime que le soutien des ONG concernés lui serait très favorable. Or, raconte le jeune homme, “kan monn al tap zot laport, zot inn dir mwa repase apre, ouswa vinn dan zot bann kozri. Se ki zot pa konpran, se ki kozri pa pou ranpli mo vant”.

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