Joe Lesjongard : « Nous vivons les pires moments de l’industrie touristique »

Dans cet entretien accordé par le ministre du Tourisme, Joe Lesjongard, au Mauricien, il souligne qu’« au niveau du ministère et du gouvernement, nous sommes conscients que nous vivons les pires moments de l’industrie touristique ». Ayant présidé au comité responsable de la réouverture des supermarchés et des boutiques, il fait le point sur la situation et évoque la possibilité d’introduire le Drive-through dans certains hypermarchés et supermarchés.

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Joe Lesjongard, vous avez piloté avec d’autres collègues la réouverture des supermarchés et des boutiques. Après l’étape délicate de la semaine dernière, quelle est votre évaluation de la situation ?

Comme vous le savez, depuis la propagation du coronavirus dans le monde, avant même que notre pays soit affecté, le Premier ministre préside une cellule de crise composée de plusieurs ministres afin de prendre les mesures nécessaires pour protéger la population. Nous analysons la situation quotidiennement, et à partir de là, le Premier ministre délègue les responsabilités aux différents ministres. Nous faisons tout pour gagner cette guerre contre le virus. Notre pays est sous le couvre-feu sanitaire depuis le 23 mars et cette mesure a été prolongée jusqu’au 15 avril.

Le couvre-feu sanitaire apporte beaucoup d’implications. Le coronavirus a plongé le monde et notre pays dans une totale incompréhension. On a procédé au « lockdown » complet pour diminuer le risque de contamination parmi la population. On devait prendre les décisions afin que l’approvisionnement de la population se fasse dans les meilleures conditions. C’était une décision qui avait plusieurs implications, incluant le respect des normes sanitaires.

Vous avez présidé deux comités sur la distribution des vivres pour les personnes les plus vulnérables et la réouverture des supermarchés et les boutiques. Où en est-on sur le terrain ?

Le Premier ministre et le gouvernement ont travaillé sans relâche afin que tout se fasse dans la discipline. Il m’a confié ces deux responsabilités. Au fil des jours, on comprenait aussi que la majorité de la population commençait à manquer de vivres. Notre priorité était avant tout de trouver la meilleure formule pour que nos citoyens qui vivent dans des situations difficiles puissent avoir les commodités nécessaires.

Je dois saluer particulièrement les officiers de mon ministère et des organismes tombant sous mon ministère, la CSU, les collectivités locales, la sécurité sociale, le secteur privé et tous ceux qui ont travaillé d’arrache-pied pour l’exercice de distribution de vivres et la réouverture des supermarchés. Dans un premier temps, nous avons commencé par approvisionner les plus vulnérables. Le premier plan était d’approvisionner ceux sous le registre du SRM de la National Empowerment Foundation, et nous avons acheminé les vivres pendant les trois premiers jours à ces familles. Après nous avons démarré la seconde étape de distribution pour ceux bénéficiant de la « carer’s allowance » de la Sécurité sociale. Je dois dire que ces deux exercices se sont déroulés sans problème majeur et à la satisfaction de ces bénéficiaires.

Et la dernière décision, c’est de permettre à la population de pouvoir s’approvisionner. Nous avons rouvert les supermarchés et les boutiques sur la base d’un plan défini et qui avait été approuvé par la cellule de crise. Et comme je l’ai annoncé dans le « daily press briefing » du National Communication Committee, nous avons défini le groupe de consommateurs selon l’ordre alphabétique. S’il est vrai que pendant le premier jour, il y a eu un rush et un non-respect du « social distancing », par contre, les deux jours suivants, il y a eu un apaisement et plus de discipline. Je dois remercier tous ceux et celles du service public et du privé qui nous ont pleinement aidé afin que la population puisse s’approvisionner.

Est-ce que les supermarchés ont joué pleinement le jeu ?

Le comité institué par le Premier ministre, et qui comprenait plusieurs de mes collègues ministres, avait travaillé en toute collaboration avec la Chambre de commerce et d’Industrie et les représentants des supermarchés et autres opérateurs du secteur.
Au sein du comité, nous étions conscients de la gravité de la situation sanitaire. Nous avions plusieurs contraintes, notamment au niveau de la chaîne de distribution, du manque de ressources humaines à plusieurs niveaux et de la logistique nécessaire. Avec la volonté et la solidarité de tout un chacun, on a pu ouvrir les supermarchés et les boutiques. Par contre, je dois déplorer l’attitude de certains commerçants, qui abusent de cette situation pour augmenter le prix de certains produits.

Et les consommateurs ? La discipline a-t-elle été de rigueur ?

J’accepte le fait que le premier jour ait été compliqué. Nous avons tous pris connaissance d’une certaine indiscipline aux abords des supermarchés sur les réseaux sociaux et à travers la presse. Nous devons comprendre aussi l’état d’esprit de nos citoyens. Le pays était sous le couvre-feu sanitaire depuis une dizaine de jours, et ce n’est pas évident pour un humain de rester chez soi pendant tout ce temps. Et ce n’est qu’après un certain nombre de jours que les consommateurs pouvaient sortir et faire leurs achats. On avait lancé un appel pour plus de discipline et le respect des consignes imposées par le gouvernement. Heureusement que les jours suivants, il y a eu plus de discipline et qu’on a respecté davantage les normes sanitaires.

Quelles sont les améliorations qui peuvent être apportées ?

Il y a plusieurs propositions qui ont été avancées. Nous travaillons sur des possibilités d’améliorer le système avec un esprit ouvert. S’il y a lieu de venir avec d’autres mesures, nous n’hésiterons pas à le faire. Six jours après l’ouverture des supermarchés et des boutiques, il y a une baisse de 50% dans le temps d’attente des consommateurs et nous constatons qu’après leurs achats, les consommateurs rentrent chez eux. Nous nous concentrons sur d’autres possibilités pour améliorer le système. En premier lieu, améliorer le « Online Shopping ». Nous comprenons mieux les contraintes, notamment en termes de ressources humaines et de logistique. Deuxièmement, nous discutons avec la Chambre de commerce et de l’industrie pour introduire le « Drive-thru » dans certains hypermarchés et supermarchés. Cela permettra aux consommateurs de passer moins de temps aux supermarchés, tout en restant dans leur véhicule.

L’ouverture des boulangeries reste un point de contentieux. Ne pourrait-on pas autoriser l’ouverture tout en s’assurant que les boutiques et supermarchés soient approvisionnés et que les protocoles de sécurité soient respectés ?

Selon nos informations, les boulangeries livraient déjà une bonne partie aux supermarchés et aux boutiques. Nous avons aussi pris connaissance, lors des discussions dans le comité que je préside, que les boulangeries étaient d’accord de livrer aux supermarchés et aux boutiques. Et c’est aussi à partir des informations sur le non-respect des normes sanitaires que la décision avait été prise que les boulangers continuent la fabrication et livrent la totalité aux supermarchés et dans les boutiques.

Au chapitre touristique, y a-t-il une réflexion sur la possibilité de relancer l’industrie dans les mois qui viennent ?

C’est la désolation. Le secteur touristique et plusieurs autres secteurs de l’économie mondiale passent la période la plus sombre de leur histoire depuis des décennies. Je pense que c’est la période la plus difficile pour le monde entier. Il y a eu une évolution du virus depuis sa découverte, en décembre. Au début, c’était seulement la Chine qui était affectée, mais aujourd’hui, le monde entier est touché. Nous vivons une crise sanitaire, une crise économique, et personne, ni aucun gouvernement, n’a vraiment le contrôle de la situation. Il est impossible de faire une estimation ou une prévision actuellement, puisqu’il y a trop d’éléments variables chaque jour. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale sont unanimes à dire qu’il n’y a aucune visibilité en ce qui concerne l’économie mondiale.
Dans le secteur touristique, que ce soit au niveau du ministère ou du gouvernement, nous sommes conscients que nous vivons les pires moments de l’industrie. Nous travaillons sur une stratégie pour être prêt quand le monde sortira du confinement. Une stratégie qui devra certainement être améliorée au fil des événements et d’une meilleure compréhension de la situation.

Un travail se fait-il avec les hôteliers pour jeter les bases de la relance ?

C’est dans un esprit de partenariat et en travaillant en équipe que nous sortirons de cette crise et jetterons les bases de la relance. Nous sommes en pourparlers avec l’Association des hôteliers pour retenir les services d’un organisme expert en communication de crise afin de décliner une première stratégie. Ceci dit, avec le ciel aérien qui est toujours fermé, le monde qui est toujours à genou, avec plus d’un tiers de la population mondiale en confinement, je pense que nous ne devons pas brûler les étapes afin d’optimiser nos ressources économiques et humaines.

Des commentaires généraux sur l’économie et la politique, tenant compte des commentaires faits et des appréhensions exprimées par l’opposition… ?

En ce moment de crise, le monde politique a un rôle important à jouer. Dans le système politique local, nous avons un gouvernement et une opposition. Aujourd’hui, le peuple mauricien ne fait pas cette différence. Nous sommes tous égaux face au coronavirus, riches ou pauvres, politiciens, journalistes, membres du gouvernement ou de l’opposition… Nous sommes tous dans le même bateau. S’il faut ramer pour sortir de cette tempête mondiale, nous devons tous ramer pour que le bateau avance afin de sortir de cette crise. Ceux qui rament dans le sens opposé auront à assumer leurs responsabilités devant le peuple et devant l’histoire de notre pays.

Tous les gouvernements du monde font face pour la première fois à une telle crise sanitaire et, parallèlement, à une crise économique. Certains pays d’Afrique ont malheureusement connu le virus Ebola, qui a été dévastateur. Nous avons créé toutes sortes de richesses, toutes sortes de technologies de pointe et, aujourd’hui, le constat, malgré tout cela, c’est que nous sommes tous à genou face à ce virus. Je pense qu’il est temps que nous repensions à notre existence. Certes c’est un long débat, mais il faudra revoir ce modèle économique mondial et l’évolution de notre société.

Je pense que le monde n’a jamais vécu une telle situation depuis la Deuxième Guerre mondiale. Cette semaine est la Semaine sainte pour les catholiques et, dans quelques jours, ils célébreront la Pâques. Dans l’actuelle situation du monde, la Pâques de cette année sera un moment de partage, d’intenses prières dans le monde. Elle sera aussi familiale et faite dans la simplicité. Devant cette pandémie qui s’abat sur nous, notre foi est l’ultime moyen de lutter contre le virus.

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