JOËL TOUSSAINT (collectif “Victimes du Subutex France-Maurice”) : « Un processus législatif incomplet a institué un trafic de Subutex »

La famille de Katia Terminet, 21 ans, une Française détenue à Maurice depuis près de deux ans pour importation de Subutex, appelle à la mobilisation aujourd’hui devant le Quai d’Orsay à qui elle demande de « tout faire » pour obtenir la libération de la jeune femme. Cette affaire bénéficie d’une large couverture de presse en France depuis plusieurs mois. « Seul l’État français peut intervenir pour nous maintenant », estime Nanou Berrouag, une tante de la jeune femme dans une déclaration rapportée par l’AFP hier. « Ma nièce est innocente et comme elle de nombreuses jeunes filles sont trompées ou manipulées, alors que ce trafic de Subutex entre la France et Maurice a toujours existé », soutient-t-elle. Le Mauricien a interrogé cette semaine Joël Toussaint, porte-parole du collectif “Victimes du Subutex France-Maurice”.
Vous êtes le porte-parole de la branche mauricienne du collectif “Victimes du Subutex France-Maurice”. Pouvez-vous nous expliquer le pourquoi de ce collectif ? Pourquoi cette mobilisation pour défendre des “passeurs” français ?
Le collectif “Victimes du Subutex France-Maurice” est né de l’initiative d’une maman dont la fille s’est retrouvée incarcérée à Maurice après qu’on eut découvert du Subutex dans sa valise au moment où elle débarquait à Plaisance. Cette fille a coopéré avec la police pour expliquer comment elle a été piégée par une personne d’origine mauricienne et qu’elle ne savait même pas qu’elle transportait ledit produit, et bien entendu elle ne pouvait se douter du caractère illicite du Subutex dont elle n’avait pas connaissance. Cette fille est en attente de son procès depuis plus d’un an et avec elle d’autres ressortissants français qui, de diverses manières, se sont retrouvés, à des degrés divers, impliqués dans le trafic et utilisés comme “mules”. Maintenant, il s’avère, d’une part, que les procédures de police sont telles que l’on est en droit de s’interroger sur le respect des droits fondamentaux pour ces prévenus et, d’autre part, il est évident que la législation mauricienne demeure incomplète puisqu’elle a choisi d’ignorer la vocation thérapeutique du Subutex. C’est ce qui explique ma mobilisation personnelle qui, je le reconnais, surprend certaines personnes qui m’ont connu fermement engagé contre le trafic de drogue et qui savent aussi que je suis un des membres fondateurs du premier centre de désintoxication de l’île. Je tiens à rassurer ces personnes quant à la constance de mon engagement. Il leur importe de comprendre que je suis particulièrement horrifié des effets pervers d’un processus législatif incomplet. Je suis aussi un professionnel de la communication et de l’information, donc apte à réaliser que l’ignorance populaire et la démagogie politique forment un couple infernal. Ce couple s’est penché sur le berceau des législations ayant trait aux stupéfiants et il en résulte cette situation invraisemblable : ce processus législatif incomplet a, en réalité, institué le trafic de Subutex.
Maurice est un État de droit, n’est-il pas normal que les personnes associées au trafic de Subutex, considéré comme une drogue illicite, soient interpellées ? La loi mauricienne ne devrait-elle pas s’appliquer au même titre pour les Mauriciens comme pour les Français présents sur le territoire mauricien ?
Cela ne souffre d’aucune dispute. Ce qui est en cause c’est le fait que le Subutex ait été uniquement classifié comme drogue et que sa vocation thérapeutique ait été totalement occultée. Il incombe aux législateurs mauriciens de prendre la mesure de leur omission et de corriger leurs manquements. Ceci dit, s’agissant des lois qui devraient s’appliquer également aux Mauriciens comme aux ressortissants étrangers, il s’avère que nous faisons face à une discrimination manifeste. À titre d’exemple, tous les prévenus qui sont “on remand” ont droit à la visite de leurs proches, ce qui n’est pas le cas pour les ressortissants étrangers. Pour ce qui est des prévenus français dans le cadre des affaires liées au Subutex, ils ne font l’objet d’aucune charge formelle à ce stade. Et, c’est le Parquet qui est le dindon de la farce puisque, tant que l’enquête de la police n’est pas terminée, il ne peut pas loger de charge formelle. On se souviendra que, lors de l’audience de septembre, la police a objecté à la libération sous caution d’Aurore Gros-Coissy, en affirmant sous serment qu’elle venait de formuler (plus d’un an près) une requête à Interpol pour retracer la personne mise en cause par la prévenue. Or, il est connu qu’il n’existe pas de traité d’extradition entre la France et l’île Maurice et, par conséquent, le Parquet aurait sans doute refusé que l’on use d’une telle tactique dilatoire. Quoi qu’il en soit, il s’avère que les proches des ressortissants français se trouvent à 10 000 kilomètres et ne peuvent rendre visite de la même manière aux détenus. J’ai ainsi été mandaté par la famille Gros-Coissy pour rendre visite à leur fille et j’ai donc posé une demande en ce sens auprès du Commissaire de police. Ce dernier ne nous a pas apposé de refus, il a fait pire : il nous a informés que notre demande serait considérée une fois que l’enquête de la police serait complétée. Et cela fait plus d’un an que son enquête piétine ! C’est ahurissant je vous le concède, mais il en est ainsi. Je me demande dans quelle mesure le Premier ministre est conscient que ces pratiques ont lieu sous sa tutelle et sous son autorité.
Avez-vous l’impression que la mobilisation organisée à l’initiative du collectif porte atteinte à la réputation de Maurice à l’étranger ?
Je suis un professionnel de la communication et des relations publiques et je ne peux pas honnêtement prétendre ignorer l’impact négatif et les incidences quant à la réputation de la destination touristique. C’est bien de cela que vous voulez précisément parler ? Je ne crois pas, cependant, qu’il soit juste d’en attribuer la responsabilité à la mobilisation citoyenne. Il faut être honnête et reconnaître que ce sont les abus procéduriers des fonctionnaires de police et ceux de la justice qui produisent cette situation qui nous vaut un tel discrédit. En ce qui me concerne, j’assume parfaitement ma part de responsabilité : j’entends démontrer que tous les Mauriciens ne sont pas des personnes sans scrupule et que certains d’entre nous ont appris des anciens que nous sommes responsables de ceux qui sont chez nous. Je suis convaincu qu’il y a encore beaucoup de Mauriciens qui, comme moi, se réclament de ces valeurs-là et je crois que nos législateurs gagneraient à s’en inspirer.
Il semble que les législateurs français ne traitent pas le Subutex de la même manière que les législateurs mauriciens ?
En effet, le Buprénorphine, qui est le nom pharmaceutique véritable du Subutex, fait l’objet en France d’un programme de prescription médicale à des fins de sevrage ou de prévention de risques associés à la toxicomanie. À Maurice, nous avons le protocole méthadone qui en serait l’équivalent. Le Subutex aurait dû faire l’objet d’un protocole similaire. Sa classification comme drogue n’a fait qu’ouvrir une avenue à de nouveaux trafiquants qui exploitent les victimes d’un trafic parallèle, notamment ceux qui sont devenus dépendants de l’héroïne. Ainsi, au lieu de résoudre la question de la dépendance à l’héroïne, les toxicomanes ont été, en réalité, orientés vers une nouvelle filière mafieuse qui s’est positionnée sur ce substitut à l’héroïne. Et c’est bien cela qui est pervers.
Avez-vous l’impression que les Français ne sont pas informés sur le statut légal du Subutex à Maurice alors que ceux trouvés en possession de cette drogue sont passibles de 40 ans de prison ?
C’est bien pour cela que je vous parle de l’ignorance populaire et de la démagogie politique. La majorité des Français ne savent pas ce que c’est que le Subutex et les Mauriciens n’en savent guère plus. Dans notre pays prompt à singer tout ce qui vient de Singapour, il faudrait peut-être que nos parlementaires apprennent à reconnaître le “no-nonsense” qui tient lieu de principe aux élus singapouriens. Parce que c’est comme une lapalissade : si vous voulez que des gens soient informés, il vous faut leur transmettre l’information. Il n’y a pas lieu de faire de grandes écoles pour comprendre cela. Et nos amis Singapouriens font effectivement preuve de responsabilité en informant leurs visiteurs bien avant qu’ils ne débarquent de l’avion. Vous trouverez votre information sur internet avant de vous rendre chez eux. Le ministère Français des Affaires étrangères a émis aussi une notification seulement depuis juin dernier. L’État mauricien n’estime toujours pas que cela relève d’un acte responsable.
Est-ce que les membres du collectif rencontrent les détenus français régulièrement ? Est-ce qu’ils ont accès à leurs hommes de loi ? Après tout, ne sont-ils pas suivis par les autorités consulaires françaises à Maurice ?
Pour comprendre ce qu’il en est des droits des prévenus français, il nous faut mettre les choses en perspective. Oui, ils ont accès à des avocats à Maurice mais, là encore, il convient de montrer l’extrême vulnérabilité dans laquelle se retrouvent les familles des victimes. Combien de ces familles ont sollicité et payé des honoraires à des avocats en France qui ne plaideront jamais un quart de seconde à Maurice ? Me Moirt est venu d’emblée réclamer une motion de libération sous caution. Mais, n’allons pas embarrasser davantage cet homme dont le bénévolat pour cette affaire exprime l’exceptionnelle qualité. Pour ce qui est du suivi des autorités françaises, je me contenterais de rappeler aux responsables du Quai d’Orsay qu’ils sont loin du compte en prétendant que ces affaires relèvent du droit commun.
Il semble qu’il n’y ait pas d’accord d’extradition entre Maurice et la France. S’ils sont trouvés coupables, les détenus français auront donc à purger leur peine ici. Êtes-vous satisfait des conditions de détention à Maurice ?
Il y a d’autres considérations avant même celle de la culpabilité éventuelle de ces personnes. Quand on se prétend un État de droit, on commence d’abord par respecter ses dispositions constitutionnelles et notre Constitution prévoit, outre la présomption d’innocence, que vous ayez droit à un procès dans un délai raisonnable. Dans le cas de Katia Terminet et de Mathieu Blondeau, nous en sommes à plus de vingt mois de détention provisoire sans charge formelle, dans le cas d’Aurore Gros-Coissy nous en sommes à quatorze mois, sans aucune charge formelle. Pour ce qui est des conditions de détention, les autorités françaises et européennes doivent veiller à un ensemble de dispositions prescrites pour leurs citoyens. Je peux vous dire que nous aurons bientôt des députés européens qui vont s’enquérir de la manière dont on s’est assuré de la conformité de ces conditions de détention. Nous saurons alors s’il convient d’en être satisfait.
Que propose le collectif aux gouvernements mauricien et français ?
De se ressaisir. Nous proposons aux élus et aux responsables institutionnels de nos deux pays de s’engager dans la voie de la responsabilité. Il faut qu’ils assument leurs manquements et s’engagent à les corriger au plus vite. Tout le monde est perdant dans cette affaire. Il y a des morts et des avenirs brisés ; des familles endeuillées à Maurice et des familles amputées en France. Aujourd’hui les citoyens des deux États viennent dire qu’il faut y mettre un terme.

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