José Moirt (Affirmative Action) : « La réforme électorale ne remet pas en question la majorité artificielle »

L’avocat José Moirt, membre de l’Ong Affirmative Action, commente la réforme électorale. Pour lui, cet exercice n’est qu’un calcul de plus permettant aux partis politiques traditionnels d’en tirer les meilleurs profits. Il s’intéresse à la formule dite « scientifique » et qui détermine les candidats aux élections par leur appartenance ethnique selon un ratio de 36:16:9:1. Celle-ci détermine une majorité « artificielle », dit-il, soulignant qu’aucune réforme proposée jusqu’ici n’a remis cette formule en question. Pour lui, la réforme qui fait débat aujourd’hui est tout simplement « électoraliste ».

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Quelle est votre opinion du projet de réforme présentée par Pravind Jugnauth ?

Toute réforme suppose qu’on vient améliorer le système déjà en place. Or, je ne vois rien, dans les propositions de Pravind Jugnauth, qui vient améliorer les choses en profondeur. Je vais d’abord analyser le présent système en faisant référence au document “Constitutional and Political Legacies”, provenant du Public Records Office de Londres.

Ce document vient révéler comment, dans la Constitutional Conference de 1965, on est arrivé au présent système électoral. Il est dit que le « colonial office was playing it cool » vis-à-vis des représentants mauriciens à la conférence, et ce parce que les Anglais voulaient tout simplement avoir Diego Garcia. L’indépendance n’était pas une « issue ». Et ils ont obtenu Diego Garcia en donnant à Ramgoolam le système qu’il demandait. Le document dit : « The final shape of political system ensured the return of Ramgoolam to power at the time of independance. The British government ensured this to obtain its own part of Bargain. » On a donc eu un système électoral qui assurait le retour de Ramgoolam au pouvoir. C’est clairement un système qui ne cadre pas avec la démocratie. Cela a été fabriqué pour favoriser les hindous. Disons les choses telles qu’elles sont.

Que voulez-vous dire par un système favorisant les hindous ?

Cette question de favoriser la communauté hindoue, je l’ai dit plusieurs fois. Il y a une formule, que certains appellent scientifique, qui a été adopté aux élections de 1967. C’est le 36:16:9:1. Un genre de ratio déterminant le nombre de candidats par communauté. Soit 36 hindous, 19 de la “population générale”, neuf musulmans et un chinois. C’est cela qui explique que, depuis 50 ans, on a eu que des Premiers ministres Vaish.

Tous les partis traditionnels, toutes les alliances, ont respecté cette formule à la lettre. En plus, tous les experts qui ont commenté la réforme électorale n’ont pas touché à ça. On a adopté cette formule pour créer une majorité artificiellement et on ne veut pas y toucher. Il y a une seule personne qui en a parlé indirectement, c’est Rama Sithanen, dans son document de réforme. Il vient parler de « simulation of the likely list of the three-four main political parties ». Comment peut-il faire des simulations ? C’est parce qu’il connaît la formule que tout le monde va respecter. Peu importent les alliances. Même s’ils partent seuls aux élections, ils vont respecter cette formule-là.

Le problème avec cette formule, c’est qu’on va se retrouver avec des circonscriptions dominées par une certaine communauté. Par exemple, aux Nos 2 et 3, il y a toujours trois musulmans. Les candidats ne sont pas représentatifs de la circonscription, car il y a d’autres minorités qui vivent dans ces circonscriptions-là. On a créé une majorité artificiellement. Voilà pourquoi ils sont contre un recensement ethnique. La formule risque de tomber par elle-même.

La formule dont vous parlez serait donc tenue secrète par les partis politiques ?

La preuve du 36:16:9:1 se trouve dans le Hansard du 4 juillet 2014, où  Xavier-Luc Duval avait soulevé la question lors des débats parlementaires sur le « mini-amendement ». Il dit, entre autres : « The model Parliament that I just mentioned: 36, 16, 9 and 1, would be used in conjunction with the 1972 census.  You have the 1972 census which gives you the actual number of each of these four communities and, of course, there is a calculation that is made, an arithmetic calculation, nothing fancy, nothing difficult; an arithmetic calculation that you make to find out which community according to the 1972 census is under- represented and that is where the first best loser goes.  Again, you would do the same calculation and that is where second best loser goes and the third calculation. »   

Et on vient maintenant parler de redécoupage. Ça aussi c’est de l’hypocrisie. On a utilisé la formule pour être au pouvoir depuis 50 ans et 50 ans après, on vient parler de redécoupage électoral alors qu’on sait très bien que cela ne peut être fait « piece-meal ». Soit on accepte le rapport de l’Electoral Boundaries Commission en entier, soit on le rejette. Tous les débats qu’il y a actuellement autour de la réforme électorale ne sont qu’une mise en scène politique. Même Sithanen a confirmé cela. Dans son propre document, il vient dire : « The aim is to offer a principle and practicle compromise that that could be potentially be used as a discussion document to reach an acceptable reform agenda, among the different political actors. » Donc, ce n’est qu’une mise en scène pour avoir un prétexte officiel pour ne pas réformer quoi que ce soit. Pour garder le statu quo. Parce que cela sert les intérêts de ces quatre partis politiques. Et si on vient à le changer aussi, ce ne sera que pour eux. Ce n’est pas moi qui le dis, mais l’expert. En réalité, tout ce dont ces partis discutent en ce moment, c’est d’une réforme électoraliste. Cela vient confirmer le Videm Democracy Report 2018, qui a rétrogradé Maurice d’une démocratie libérale à une démocratie électorale. Donc, actuellement, Maurice n’est pas une démocratie, mais une « particracie ». Ce sont les partis politiques qui décident tout, ce sont les partis politiques qui manipulent tout, ce sont les partis politiques qui profitent de tout le système…

Le pouvoir n’est-il pas entre les mains du peuple ?

Oui, mais n’oublions pas qu’il y a une proposition qui dit que, dorénavant, ce sont les leaders qui décideront qui doit entrer au Parlement ou pas. C’est un grand pas en arrière et, comme je l’ai dit, cela vient confirmer le Videm Democracy Report 2018. Comment peut-on faire des propositions aussi farfelues ?

En gros, pour vous, cette réforme n’en est pas une ?

C’est une réforme électoraliste, comme je l’ai dit. Ils essayent d’utiliser le prétexte de la réforme électorale pour trouver des arrangements électoralistes, c’est tout. Ce n’est pas un vrai débat. Ce n’est pas sérieux. Beaucoup de bruits… Comme on le dit, le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit. Voilà pourquoi depuis des années, il n’y a jamais eu de réformes électorales et il n’y en aura pas tant que ces quatre partis politiques seront là.

Je vais revenir sur les « concluding remarks » du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unies. Le comité se dit préoccupé « about the persistent constitutional classification of the population, which does not fully reflect the identity of the various groups present ». Le comité a demandé « countrywide consultations in order to bring about a change of the persistant constitutional classification of the population ». Est-ce que ce qui se fait actuellement est « countrywide » ? Non, c’est que pour les politiciens. Récemment, j’étais dans une rencontre à Bel-Air et quelqu’un a dit : « Kan mo tann koz politisien, mo vant brouye. » Le peuple en a ras le bol de ces politiciens. Eux, ils sont en train de débattre, de monopoliser l’espace public. Ils ne se rendent pas compte que la population n’en a que faire car elle sait qu’ils sont en train de raconter des histoires.

Revenons au rapport. Concernant les « inter-ethnics relations », le comité se dit préoccupé par les « hierarcal structures of ethnics and casts linger in the state party » et recommande que Maurice intensifie ses efforts pour une « inclusive society that cherishes diversity and equality and put an end to manifestations that pertain de racial or cast-based superiority ». Finalement, le comité se dit préoccupé par le fait que « political participation is not reflective of the various components of the state party’s population and that political participation and representation are highly influenced by ethnic belonging ». Le comité recommande « to expedise the process of electoral reforms » et réitère les recommandations de 2012 « to effectively address obstacles to participation in political life ».

Le comité demande également, pour le prochain rapport en 2021, de donner des statistiques « on political representation in the government, parliament, judiciary and law enforcement, by ethnic origin and sex ». On verra bien ce qu’ils vont dire en 2021. On dit qu’on n’est pas d’accord avec le recensement ethnique. On a le droit de ne pas être d’accord. Mais l’État mauricien étant signataire de la convention contre la discrimination raciale, il a des obligations à respecter. Qu’on soit d’accord ou pas.

Et à part le comité, la Constitution également parle de « adequate and fair representation ». Tout le monde met l’accent sur le « fair », mais le mot « adequate », personne n’en parle. Est-ce que cette formule dite scientifique que j’ai mentionnée plus tôt est « adequate » ?. Dans la circonscription No 10 par exemple, il y a eu, depuis l’indépendance, la plupart du temps, deux candidats hindous et un musulman, ou des fois trois hindous. On appelle ça « fair and adequate representation » ? On crée une suprématie artificielle et puis on vient chercher des méthodes pour corriger cela. Il faut commencer par le commencement. Et nous, chez Affirmative Action, tout ce qu’on dit, c’est : de même qu’on veuille légiférer pour les femmes, de même on devrait légiférer pour que les partis politiques mettent trois candidats de la même communauté.

Pour revenir à la question des femmes, je reviens à Rama Sithanen – puisque c’est lui l’expert. Il dit : « We need a parliament and a cabinet that look like the Mauritian nation and 50.6% of Mauritius is women.» Quand on parle des femmes, on parle de statistiques. Mais quand on parle de communautés, pas question de statistiques. Pourtant, c’est beaucoup plus facile de faire la différence entre un homme et une femme, sans statistiques. Alors il faut arrêter avec cette hypocrisie-là. Pour justifier leur opposition aux statistiques, on parle de mauricianisme. Mais tout ce qui est « isme » relève d’une idéologie. On vient imposer une idéologie sur la population. Mais comment peut-on avoir le mauricianisme ? C’est parce qu’il y a notre multiethnicité, notre multiculturalité, notre multireligion qu’on peut parler de mauricianisme. Le mauricianisme est une compote de fruits alors qu’en vérité, Maurice est une salade de fruits. On se mélange, mais chacun garde sa couleur, sa saveur. Le Dr Jonathan Ravat parle de mauricianisation. Ça veut dire que c’est un processus.

Dans une démocratie, quand les politiciens ne sont pas en train d’assumer leurs responsabilités, les citoyens doivent le faire. C’est ce qu’on appelle la responsabilité politique du citoyen. En démocratie, le peuple est souverain. Donc, c’est à la population d’amener la réforme qu’il veut. Et moi, je veux que la population, la société civile et les syndicats s’organisent pour présenter une liste de candidats aux élections. Parce que ces politiciens qu’on a ne travaillent que pour leurs intérêts personnels et familiaux. Nous ne pouvons compter sur eux. Il faut prendre notre avenir en main.

Affirmative Action va soumettre des propositions pour la réforme ?

Comme je l’ai dit, pour nous, ce n’est qu’une mise en scène. On n’a pas le temps de participer dans des mises en scène. On laisse ça aux politiciens. Nous, on est en train de silloner le pays. On a repris notre pèlerinage pour faire comprendre aux gens qu’on ne peut pas dépendre de ces politiciens. Nous devons assumer notre responsabilité politique en tant que citoyens. Car si on ne fait rien, aux prochaines élections, on se retrouvera avec la formule scientifique en marche et les mêmes résultats qu’on a eus depuis 50 ans. L’avenir du pays est entre les mains de la population. Aux prochaines élections générales, ce sera à nous de jouer.

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