José Rose : « L’histoire orale de Chamarel doit être reconnue »

Le Nyabhingi Tabernacle de Chamarel, lieu de culte des rastas, doit être détruit sur ordre de la cour. Le juge a tranché en faveur de Case Noyale Ltd, propriétaire du terrain. Mais pour José Rose, il s’agit d’une « perversion de l’histoire » car les rastas sont des descendants d’esclaves marrons ayant toujours habité le village. Il plaide pour que l’histoire orale de Chamarel soit réhabilitée et revendique le droit d’avoir un lieu spirituel.

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Pourquoi l’Association socioculturelle rastafari (ASCR) revendique-t-elle un droit sur le Triangle de Chamarel ?

Nous revendiquons avant tout un droit à la spiritualité. Les rastas ont toujours occupé le Triangle et nous y avons notre Nyabhingi Tabernacle, où nous procédons à nos rituels. Aujourd’hui, un ordre de la cour nous oblige à évacuer les lieux parce que légalement, le terrain appartient à Case Noyale Ltd. La compagnie projette d’y aménager un parking. Or, pour nous, le Triangle doit être préservé car nous considérons que c’est le dernier vestige des esclaves marrons. C’est pour cela que nous nous réunissons là pour nos rituels depuis toujours. Le tabernacle a été construit il y a dix ans mais les rastas ont toujours été là. Nous savons tous que les esclaves marrons se réfugiaient à Chamarel, car l’endroit était inaccessible. Notre priorité aujourd’hui est de préserver le Triangle, comme un lieu de mémoire. Que ce soit en collaboration avec Case Noyale Ltd ou les autorités.

Vous n’êtes donc pas en guerre contre Case Noyale Ltd ?
Le plus important pour nous n’est pas qui détient le titre de propriété, mais que le patrimoine soit préservé. Depuis l’époque coloniale, les Blancs détiennent trois quart des terrains à travers le pays. S’ils ont réussi à bâtir leur empire, c’est grâce à la sueur des esclaves. Nous disons que le moment est venu pour la reconnaissance. L’histoire de Chamarel doit être reconnue. Les rastas, descendants des esclaves, ont toujours été à Chamarel. C’est donc normal qu’ils aient là leur lieu de spiritualité. Dans chaque pays où il y a des descendants d’esclaves, il y a un Nyabhingi Tabernacle. Pourquoi pas ici ? Nous ne sommes pas anti-Blancs, ni anti-capitalistes, nous voulons simplement de la reconnaissance.

Avez-vous déjà fait une demande auprès des autorités pour un terrain à cet effet ?
Depuis que nous nous sommes rassemblés, avec les frères de Chamarel, nous avons fait plusieurs applications auprès du ministère des Terres. Cela remonte à des années. À chaque fois on nous dit qu’on considérera notre demande et puis… rien. Avec la tournure des événements, nous pensons demander une rencontre avec le nouveau ministre des Terres et faire une nouvelle application si nécessaire. Car beaucoup de groupes socioculturels ont obtenu des terrains de l’État pour divers projets. Nous avons nous aussi droit à un lieu de culte.

Ce lieu doit nécessairement être à Chamarel ?
Comme je l’ai déjà dit, Chamarel est un lieu de résistance et de marronnage. Les rastas ont toujours été là. Auparavant, la population de Chamarel était éparpillée dans plusieurs endroits, dont La Digue et les Terres de couleurs. Quand les descendants des colons sont venus, ils ont rassemblé tout le monde au centre, dans le village, et ont pris les terrains autour. À cette époque, les Noirs n’avaient pas droit à la terre. En tout cas, nous n’avons pas l’intention d’évacuer les lieux. Il faudra trouver une solution.

Combien de personnes fréquentent le Nyabinghi Tabernacle de Chamarel ?
Il y a environ 200 à 300 personnes qui viennent sur les lieux pour les prières. Nous recevons également la visite de touristes. Mais nous avons des frères et sœurs dans d’autres régions de l’île. Nous savons que nous avons leur support ainsi que celui de la communauté créole dans son ensemble.

Comment se passe une session de Nyabhingi ?
Chaque premier samedi du mois, nous célébrons une tribu. Nous nous réunissons au tabernacle vers 18h pour une nuit de prières. Il y a beaucoup de femmes et d’enfants qui viennent y assister. Pendant la cérémonie, nous faisons la prière Nyabhingi, nous lisons la Bible et nous brûlons notre encens… Nous prenons aussi le temps de partager et chantons des louanges. C’est un moment très spirituel.

Pensez-vous que ce soit l’utilisation de la marijuana lors de ces rituels qui dérange ?
Il ne faut pas être hypocrite à ce sujet. L’herbe est naturelle et nous le brûlons comme encens pour nos rituels. Si on devait brûler autre chose, nous ne respecterions pas nos rituels. Aujourd’hui, beaucoup de personnes se prononcent en faveur de la légalisation. Bien sûr, nous sommes pour. Notre société est gangrenée avec des substances chimiques. Je ne suis pas en train de dire que tout le monde doit fumer de l’herbe mais qu’il y ait un cadre pour ceux qui le font. Quand j’avais 18 ans, j’allais chez Pakistan, à Port-Louis, et je payais Rs 10 pour un pouliah de gandia. Je pouvais m’asseoir sur place et fumer sans être inquiété. Il y avait des policiers et des avocats qui fréquentaient aussi le lieu. Mais aujourd’hui, ce n’est plus pareil. Depuis que le Brown Sugar est arrivé à Maurice, on a diabolisé la marijuana. Beaucoup de jeunes sont emprisonnés pour un joint et lorsqu’ils quittent la prison, ils deviennent des caïds. Aujourd’hui, avec le synthétique, nos cités sont en décadence. Il faut donner aux rastas leurs droits à la consommation de l’herbe. La Jamaïque et bien d’autres pays ont aujourd’hui un cadre pour l’utilisation de la marijuana. N’oublions pas que l’herbe a aussi des vertus thérapeutiques. J’espère que Maurice va aussi suivre l’exemple. Il est temps de reconnaître les droits des rastas.

Quelle sera la prochaine étape pour le Triangle de Chamarel ?
Nous allons faire appel du jugement de la Cour suprême. Nous sommes déjà en contact avec nos hommes de loi. Il y a également un avocat spécialisé en droits humains, basé en Angleterre, qui a signifié son intention de nous soutenir dans cette bataille. Nous allons aussi nous battre pour que l’histoire orale de Chamarel soit reconnue. Car si Le Morne est aujourd’hui inscrit au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, c’est grâce à l’histoire orale. Il n’y a aucun livre, aucun document des archives qui certifie que les esclaves marrons s’y réfugiaient et qu’ils ont sauté de la montagne pour échapper à l’esclavage. Mais cette histoire nous a été transmise année après année grâce à l’oralité. J’avais d’ailleurs fait partie de l’équipe qui avait rédigé le premier dossier du Morne pour l’Unesco et nous avons mis l’accent sur cet aspect. Idem pour Chamarel. Nous savons tous que les esclaves marrons venaient s’y réfugier. Il est temps que cela soit reconnu. Je demande également à la justice de reconnaître l’histoire orale.

Pensez-vous que le lieu spirituel que vous revendiquez est compatible avec le développement touristique à Chamarel ?
Le Triangle se trouve dans un endroit de Chamarel qui n’a jamais été développé jusqu’ici. C’est pour cela que nous disons que c’est le dernier vestige du marronnage. Pour ce qui est de la compatibilité, je crois que quand il y a de la volonté et du dialogue, on peut toujours trouver une solution. Il y a quelques années, la compagnie Emtel avait prévu d’ériger une antenne au Triangle. Nous avons contesté cela, car nous estimons qu’il faut préserver les lieux. Avec la collaboration du conseil de district notamment, nous avons pu trouver un terrain d’entente et Emtel a placé son antenne plus loin.

Pour ce qui est du tourisme, je crois que nous avons beaucoup à partager aussi avec les touristes. Nous avons nos pratiques culturelles, nos connaissances traditionnelles, notamment en ce qui concerne les plantes médicinales… Cela peut être une occasion de revaloriser notre histoire, l’histoire de Chamarel. Je pense que les touristes seraient intéressés de découvrir tout cela. Après tous les domaines que nous avons dans le village aujourd’hui, pourquoi pas un Domaine des marrons ?

Vous voulez rétablir la vérité ?
En cour, le juge nous a demandé de parler de notre culture. Nous avons répondu que nous avons perdu notre culture ancestrale. C’est cela la vérité. Nous avons été “désafricanisés”. L’Église nous a endoctrinés en faisant croire que nos pratiques relevaient de la sorcellerie. La contribution des esclaves au développement du pays doit aussi être reconnue. Les Africains ont construit de grands bâtiments en pierres qui tombent en ruine ou qui sont vandalisés. L’ancienne prison a été aménagée pour abriter la World Hindi Secretariat. On a enlevé une grande porte en bois massif pour la remplacer par une porte en aluminium. On est en train de massacrer notre patrimoine.

 

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