Joseph Guy Rozemont, un mortel pas comme les autres

DEVARAJEN KANAKSABEE,

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Leader du Front Socialiste

On a parlé de Guy Rozemont. On a écrit sur Guy Rozemont. On a beaucoup pleuré sur cet homme adulé par tout un peuple. Larmes de joie et de tristesse ont parsemé son passage ! C’était avec lui et ces grands tribuns de l’ère difficile de la colonisation que s’établissait véritablement cette communion avec une population assoiffée de liberté et de sauveurs. Il s’agissait d’une idole des pauvres et de la classe ouvrière mais certaines tranches de sa vie ne sont demeurées qu’au fin fond des mémoires des hommes… Je vais vous faire part d’une anecdote sur cette inoubliable personnalité qui n’est connue que d’une poignée de gens. « Sa ki apel militan koltar, pa tou lanpoiz… ».

Dans les années 50, se trouvait dans le quartier nord de Port-Louis, à l’angle des rues Calicut et Governor, Restaurant Reynolds. En passant, il est dit que cette région avait abrité des esclaves du Sénégal, où ils parlaient le wolof. D’où l’appellation Camp Yoloff ! Ce n’est certainement pas un hasard s’il y a bon nombre d’édifices aux murs monumentaux en pierre érigés depuis les premières heures de la colonisation française par des tailleurs de pierre venus spécialement de Pondichéry pour cette mission construction; et une pléiade de noms de rues des environs nous rappelle les occupations des pays colonisateurs. Passons !

Rozemont, Seeneevassen et quelques-uns de leurs proches amis politiciens fréquentaient assidûment ce resto populaire de la capitale. Et très souvent, après les sessions parlementaires ou en d’autres occasions, ces deux icônes du peuple se donnaient rendez-vous chez Reynolds pour « tap enn ti zafer ». Rozemont n’aimait pas les “gajak” déposés dans les vitrines; il avait plutôt un penchant pour les repas préparés par Madame Reynolds, notamment lentille rouge et rougaille poisson salé. En ce temps-là, Guy Rozemont vantait déjà la caraille créole, succulente à plus d’un titre.

Vu que feu Jocelyn, le fils du restaurateur, était notre ami, cela nous ouvrait les portes pour faire la fête sans tabac et sans alcool jusqu’à fort tard la nuit dans l’arrière-cour du restaurant, où poules, coqs, canards et chats dormaient dans des arbres. La ‘cérémonie’ se déroulait sous la supervision de sa mère et on jouait au bridge, aux échecs, au scrabble et s’adonnait à la photographie. On lançait aussi la boutade du père de Jocelyn : « Si zot fime, fim bon mark pou mo pa gagn repros…» On n’a jamais parlé de politique partisane, de religion ou de communauté. Dans ce superbe pub en bois au toit en tôle, étaient accrochées à une poutre trois belles photos en noir et blanc joliment encadrées. C’était des personnalités politiques importantes, à savoir Renganaden Seeneevassen avec une guirlande au cou, Joseph Guy Rozemont avec un tonneau sous les bras et John Fitzgerald Kennedy, l’air souriant et pensif. La photo de JFK, elle, fut accrochée bien après.

Guy Rozemont et Renganaden Seeneevassen après les élections de 1953

Tous les férus de la politique locale savent que l’adversaire de Rozemont était le rédacteur en chef du Cernéen, Noël Marrier d’Unienville (NMU), qui ne ratait jamais une occasion de le ridiculiser, bien souvent en l’humiliant avec un petit fût de vin comme seule compagnie pour donner à Guy Rozemont l’image d’un soûlard, qui ne paraîtrait donc pas comme la personne idéale pour représenter la population en notre auguste Assemblée… NMU roulait pour l’oligarchie sucrière et le gros capital. Donc, cela explique tout.

Guy Rozemont ordonna au propriétaire du restaurant de retirer sur le champ sa photo en lui intimant en ces termes menaçants : « Ta Reynolds, to met mo foto anpandan dan to tavern san mo permision ! » Tremblant de frayeur, le père de feu Jocelyn monta sur un “stool”, chaise sans dossier très en vogue dans les tavernes d’antan, pour retirer la photo mentionnée avant de la lui remettre. Retirant la photo du cadre, Guy Rozemont écrivit sous celle-ci un mot qui m’est resté gravé dans la mémoire.

« À Noël Marrier d’Unienville,

Noël Marrier d’Unienville s’était trompé de récipient; la chopine étant trop petite, le tierçon m’allait mieux. Signé Joseph Guy Rozemont. »

Quelle élégance, en particulier à l’égard d’un adversaire par excellence ! Sa belle signature avait pâli avec le temps et un vieil homme, artiste de la famille, M. Sew, l’avait restaurée. La famille Leung Soon se plaisait à nous raconter cette histoire et nous mourions tous de rire quand M. Reynolds Leung Soon, aujourd’hui âgé de 98 ans et habitant Quatre-Bornes, disait qu’on a eu peur que Guy Rozemont nous poursuivît en justice. Tout juste après, ce dernier rendit la photo à M.Reynolds Leung Soon et lui demanda gentiment de l’accrocher à nouveau, et cela avec une pointe de fierté. Malheureusement, ce resto très cosy n’est plus opérationnel car un incendie l’avait complètement détruit en 1988 en emportant dans son sillage les trois photos.

 

L’histoire doit beaucoup à Rozemont et personne n’a trouvé un quelconque intérêt à ériger une statue grandeur nature de lui pour célébrer sa mémoire. En passant, comment ne pas s’étonner devant l’imagination fertile de Rozemont quand il argumentait avec les responsables d’un mouvement d’ouvriers chrétiens qui lui faisait des reproches et mettait des bâtons dans les roues de son Parti Travailliste.

Aujourd’hui, les adversaires politiques auront répondu à coups de jurons accompagnés d’appellations honteuses. Guy Rozemont devrait faire école et demeure une référence en matière de rhétorique politique.

Je dédie cet article à notre ami Jocelyn Leung Soon, cet adolescent du collège John Kennedy qui avait jadis initié de nombreux jeunes à de fécondes activités. Il est décédé en 2011 d’une tumeur cérébrale en Angleterre. Jocelyn était d’une générosité sans bornes. Des fois, quand il remportait le prix d’un concours organisé par le quotidien The Nation, « nou ti met enn koste e nou al fer enn ti “party” Chez Pekin ».

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