JUDICIAIRE: Le DPP Office placé sous tutelle de l’Attorney General

Changement fondamental de structure du judiciaire soulevant un tollé au sein du barreau. Le conseil des ministres a entériné une décision éliminant d’un trait de plume l’indépendance de l’Office of the Director of Public Prosecutions (ODPP). Ainsi, dans le cadre de cette restructuration avalisée lors des délibérations ministérielles d’hier, le Bureau du DPP sera placé sous la tutelle de l’Attorney General’s Office comme un département, comme c’était le cas avant 2009. Une autre décision majeure concerne le transfert de l’Assets Recovery Office de la responsabilité de l’Office of the Director of Public Prosecutions pour se retrouver sous l’égide de la Financial Intelligence Unit en attendant l’avènement de la Financial Crime Commission.
Ces décisions, qui représentent une « operasion koup lezel » du Bureau du DPP, ont soulevé une vague de protestations du barreau dans la soirée d’hier vu que « la nouvelle structure n’est qu’un retour en arrière sur le plan du judiciaire ». Après la réunion du conseil des ministres d’hier, l’Office of the Director of Public Prosecutions est transformé en un « distinct department of the Attorney General’s Office » avec le Solicitor General en tant que Supervising Officer et le Chief Legal Secretary comme l’Accounting Officer de l’Attorney General’s Office. Le bureau du Parliamentary Cousel est également intégré à l’Attorney General’s Office.
Les premières réactions dans les milieux du barreau devant ce move controversé affectant un des piliers de la démocratie, le judiciaire, sont des plus négatives. Des hommes de loi s’offusquent du fait que cette décision ne fait nullement partie du manifeste électoral de l’Alliance Lepep et encore moins du programme gouvernemental 2015/2019, lu par le président de la République et qui fait actuellement l’objet de débats à l’Assemblée nationale.
Alan Ganoo, ancien Attorney General et président du MMM, met l’accent sur l’élimination de l’indépendance du Bureau du DPP avec sa mise sous autorité sous l’Attorney General’s Office. Il souhaite que les auteurs de ce changement ne fassent pas l’amalgame entre la personnalité et l’institution du DPP dans la conjoncture. « Je pense que l’île Maurice, avec sa réputation de démocratie et d’État de Droit, doit lutter pour que la bonne gouvernance soit une réalité. Nous devons bien réfléchir car depuis des années, le Bureau du DPP opère en toute indépendance et non pas sous le joug de l’Attorney General’s Office », fait comprendre ce membre du Front Bench du MMM.
« Une première réflexion s’impose. Cette mise sous tutelle est une entorse à l’indépendance du DPP, qui est pivot d’un État de Droit. Cette institution ne peut être inféodée à une autorité politique. Par ricochet, c’est également une entorse à l’indépendance du judiciaire. Il ne faut oublier que l’Attorney General est soit un candidat élu d’un parti politique soit une nomination politique », ajoute Alan Ganoo, qui s’interroge ce qu’aurait pu être advenu du VarmaGate, avec l’ancien Attorney General Yatin Varma comme un des protagonistes, si une telle structure était alors en place.
L’ancien Attorney General du MMM revient sur les Checks and Balances qui existent dans la Constitution relativement aux pouvoirs du DPP, dont les décisions demeurent sujettes à des révisions de la Cour. « Ce point fondamental a été Canvassed dans un jugement du Privy Council. Il y a encore le fait que la Law Reform Commission avait dans son rapport en 2009 attiré l’attention sur le caractère anticonstitutionnel de voir le Bureau du DPP sous le contrôle de l’Attorney General’s Office. Ce qui a poussé les autorités à adopter la formule en place jusqu’ici. Le rapport Mackay a également fait des observations pertinentes à ce sujet », dit-il en se demandant envers qui les officiers du DPP seront dorénavant accountable.
« Ar ki zot pou bizin rend kont ? » se demande Alan Ganoo, qui trouve qu’au lieu de prendre cette mesure, qui soulèvera un tollé, le gouvernement aurait dû s’engager dans la voie d’une formalisation de la transparence avec des amendements à la loi pour garantir des explications du DPP au sujet de ses décisions. « Valeur du jour, les communiqués du DPP sur des événements majeurs ne relèvent que d’un acte volontariste car aucun texte de loi n’impose cette obligation. Demain, un autre DPP peut mettre un terme à cette pratique », a-t-il conclu.
Me Yousuf Mohamed, Senior Counsel, un des Long-Standing Members of the Bar, était sous l’effet du choc quand Le Mauricien l’a interrogé à ce sujet en début d’après-midi. « Vous m’apprenez une nouvelle choquante. On a voulu réduire le rôle du DPP. Cela n’augure rien de bon pour l’avenir de Maurice. C’est triste. Je ne suis pas d’accord avec cette démarche et je pense que l’ensemble de la profession partage mon avis à ce sujet », a-t-il souligné.
De son côté, le chef de file du Labour à l’Assemblée nationale, Shakeel Mohamed, n’a pas voulu en croire ses oreilles. « Le DPP doit pouvoir garder son indépendance aux termes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance des institutions sous la Constitution. La situation actuelle n’est peut-être pas la meilleure. Hier également n’était pas une bonne solution. Peut-être qu’une réforme s’impose. Mais il nous faut une concertation au lieu de prendre des décisions à la légère. Il faut éviter à tout prix le soupçon », dit-il.
Du côté de l’Office of the Director of Public Prosecutions, la décision N° 7 du communiqué émis hier après la réunion du conseil des ministres représente une véritable douche froide, en s’appuyant sur des extraits du rapport de Lord Mackay de 1998 au sujet de la transition à l’effet que « the Director of Public Prosecutions in the State Law Office should constitute a separate department reporting to and managed by the Director of Public Prosecutions and with no responsibilities except those relating to prosecution ».
« La décision gouvernementale remet en cause l’indépendance d’un bureau qui a une garantie constitutionnelle », a déclaré au Mauricien hier soir le DPP Satyajit Boolell. Il rappelle son bureau a un rôle primordial dans le but de soutenir l’État de Droit.

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