JUDICIAIRE – LETTRE OUVERTE DE M. ROBERT AHNEE: L’exigence d’une introspection

L’ex-juge/DPP, Robert Ahnee, n’est pas Monsieur Tartempion.  Et ses écrits ne peuvent ni ne doivent, par conséquent, être traités avec légèreté.  En fait, sa lettre ouverte, parue dans la page Forum du Mauricien du 8 avril 2013, exige de l’ensemble des acteurs du judiciaire une véritable introspection. Bien au-delà d’un éventuel ‘jeune magistrat inexpérimenté’.  Pour ne pas limiter l’enjeu et dépouiller l’exercice de son utilité.
Cet enjeu, quel est-il? Un judiciaire se voulant renforcer la confiance qu’il inspire et face auquel tous les justiciables  se sentiraient égaux et convaincus de procès équitables. En amont, les différentes institutions (CID, ADSU, ICAC, etc) traquant ceux commettant des délits et s’efforçant de réunir les preuves irréfutables d’une culpabilité. Ces institutions sont composées majoritairement d’éléments honnêtes sans qui la société basculerait dans l’anarchie. Ceux-là méritent nos vifs remerciements et notre indéfectible soutien.
Mais petit couac : quelquefois des enquêtes pêchent par une absence d’éléments scientifiques ou sont entachées d’allégations de brutalités policières auxquelles sont très sensibles les membres d’un jury (l’affaire Michaela Harte ne l’a-t-elle pas amplement démontré ?).
Et faisons l’impasse sur le fait que des dossiers à charge contre des suspects sont volés dans des postes de police, qu’un policier facilite l’évasion d’un prisonnier contre un pot-de-vin de Rs 25,000.-, que des policiers font le happy hour au poste, etc. Concurremment certains garde-fous ont vu leur crédibilité remise en cause. A tort ou à raison. Le National Human Rights Commission (NHRC) ou le Police Complaint Commission (PCC) en sont deux exemples. Alors, le citoyen, perplexe, sourcille…
L’autre maillon, notamment le Parquet, inspire la confiance, renforcée surtout depuis sa louable initiative d’expliciter ses rulings.
Vient ensuite la profession légale réunissant avoués et avocats de la défense.  Ici aussi, la plupart de ceux-là ont fait de l’éthique et de l’intégrité leur premier commandement. Mais revers de la médaille: le citoyen lambda s’interroge: des hommes de loi se retrouvent – trop souvent hélas –  dans le box des accusés. Certains ont mêmes été cassés.  Son Honneur Eddy Balancy – un sitting judge – enfonce le clou quand il soutient : «Il est possible qu’il existe une petite minorité d’hommes de loi véreux… » (Week-End, 14 octobre 2012). Le mot « couac » n’est plus de mise, nous sommes là confrontés à un véritable problème ! Le froncement de sourcils cède la place à un frisson…
Mais continuons: en aval, une affaire est désormais devant une cour de justice. Les jugements qui y sont rendus font le plus souvent honneur à ce noble métier. Il existe de surcroît des check and balances permettant à un condamné de faire appel à une cour supérieure.  Implicitement, la présomption d’infaillibilité d’un magistrat ou d’un juge s’en trouve rejetée. Structure absolument saine.  Et effectivement, il arrive que des jugements soient cassés. Les raisons sont nombreuses et variées: ici un magistrat commettant l’irrégularité de ne pas expliquer à l’accusé ses droits constitutionnels, là un juge ignorant la requête d’un accusé pour disposer d’un avocat, ou niant à un avocat le temps nécessaire pour la préparation de la défense de son client, etc.
Mais, élément saillant méritant d’être mis en exergue: ces jugements cassés ne sont pas toujours ceux d’un ‘jeune magistrat inexpérimenté’.  Quelquefois, ils concernent des juges de la Cour Suprême. Comme dans ce litige fort médiatisé où le Privy Council renverse la décision de deux juges en soutenant, retenez votre souffle,  que «the Court created an impression of unfairness  and bias » avant de réclamer un nouveau procès devant des juges différents.  Certes errare humanum est mais eu égard à leur expérience et au prestige dont ils jouissent  du fait même du poste (suprême) qu’ils occupent, ceux-là personnifient la rigueur intellectuelle dans l’analyse des faits. Et face à l’ampleur du désaveu le justiciable, en plein désarroi, s’interroge…
Son Honneur Eddy Balancy dans l’interview précitée montre le chemin à emprunter pour apporter les réponses: «J’ai toujours été en faveur de la communication du judiciaire vers le public.  Si d’aventure je devenais chef juge, je tiendrais en ligne de compte, d’une part, la réserve du juge et, de l’autre, le devoir du judiciaire d’informer.»
Nous entrerions là de plain-pied dans un des dispositifs essentiels à toute démocratie: le tribunal de l’opinion publique, tout en prenant  soin d’éviter le piège d’un trial by the press et où la pierre angulaire demeure la présomption d’innocence. Exaltant.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -