L’ÎLE MAURICE AU 18È SIÈCLE : Quand les courses hippiques furent deslocalisées à Mon Choisy

Pour contenir la propagation de la maladie, le gouvernement colonial britannique devait prendre des mesures drastiques et impopulaires. Les réunions publiques étant interdites, la population avait beaucoup de peines à organiser les rassemblements y comprisles cérémonies religieuses. La remise des prix du collège Royal — fonction incontournable pour l’élite de l’époque — tenue dans un premier temps à huit clos et à laquelle devait assister le Gouverneur dut finalement être annulée. Fuyant le Champ de Mars, à Port-Louis, le Mauritius Turf Club se résigna à organiser ses courses hippiques à Mon Choisy dans le Nord. On s’y rendait alors par voie maritime, en bateaux à vapeur, péniches et petites pirogues depuis le port, en calèches tirées par des chevaux ou desboeufs et, carrément, à pied pour les mieux lotis des amateurs.  
Invitation à garder leprogramme !
On retrouve dans le journal Le Vrai Mauricien,fondé par M. Bouic et qu’imprimait The Merchant and Planters Gazette, du 9, rue de La Poudrière, un avant-propos savoureux sur la façon dont se déroulaient les courses de chevaux sur l’hippodrome de Mon Choisy.  
“Les courses, mortes cette année au Champ de Mars, ont ressuscité à Mon Choisy. Seront-elles moins brillantes? On affirme qu’elles seront très intéressantes, attendu que quatorze fringants coursiers se disputeront le Choisy’s Plate, le Grand-Baie’s Plate, la Pointe aux Piment’s Plate, etc. J’engage les collectionneurs à garder précieusement le programme des courses de Mon Choisy.(…)“Les générations futures apprendront sans doute avec bonheur qu’il y a eu un Grand-Baie’s Plate. Et si, dans cent ans, le rêve de quelques anglophobes n’est plus compris à Maurice, les petits enfants de nos enfants resteront rêveurs devant cet assemblage de mots: ils y trouveront, c’est sûr, un vestige de la littérature décadente ou un vague souvenir de Volapuk”, écrivit le chroniqueur du journal. “Le club n’a pas été tendre pour les jeunes filles: le Maiden Plate a été remplacé par le Mon Choisy’s Plate. Allons, tant mieux, et vive Nénesse, alias Apollon, alias Antino ! Le spectacle, pour sûr, ne manquera pas de pittoresque. Je vois d’ici la grande plaine Constantine, d’une foule bigarrée et élégante, venue de tous les points de l’île.
Au loin, la sombre verdure des filaos, se détachant sur le vert clair des immenses champs de cannes. Et là-bas, tout là-bas, la mer bleue battant avec un bruit monotone ses houles frangées d’argent, et berçant de fragiles esquifs ou de lourds steamers.
Mesdemoiselles, c’est de la poésie exquise que vos lèvres purpurines boiront avec volupté. En ville, les courses étaient pour vous un prétexte à croquer, de vos dents, les pralines roses et les bonbons cristallisés. A Choisy, le rêve enamouré remplacera ces petites douceurs! Et pendant un moment, vous serez heureuses, heureuses”,écrivit-il encore.  
De la première journée de courses à Mon Choisy, le samedi 26 septembre 1891, Le Vrai Mauricienfit le compte-rendu suivant : “Il a fait samedi une brise épouvantable, ce qui a beaucoupcontrarié ceux qui s’étaient rendus aux courses de Mon Choisy en péniches. Le Guayacan, vapeur chilien, est parti à 10h45 du Port et a mouillé à près de 4 milles de la Pointe aux Canonniers, à environ une heure (13h). Ce vapeur marchait comme un sabot.
Le débarquement des voyageurs n’a pu être pu être terminé qu’à 2h de l’après-midi. Aussi, beaucoup de ceux qui avaient pris passage à bord de ce vapeur ont-ils préféré retourner chez eux en voiture, voire en péniche.Les courses ont été assez nulles, ainsi qu’on a pu le voir par le compte-rendu publié par les journaux. Il s’est passé, à deux mille de terre, une scène qui, pour être comique, n’en était pas moins des plus graves. Le capitaine Rault de l’Evelina, déjeunait en compagnie de nombreux convives, lorsqu’on entendit appeler au secours, d’une manière des plus pressantes. Le capitaine monta sur le pont et aperçut non loin de lui, une embarcation du vapeur chilien, montée par deux rameurs, trois militaires et un confiseur. Ce dernier, les yeux hors de la tête, s’agitait comme un désespéré. A voir ses manches retroussées jusqu’au dessus des coudes, au aurait pu le croire en train de confectionner des pralines ou d’autres dragées. Il n’était point cependant à ses fourneaux, quoique la situation chauffait d’une façon terrible. Le bateau coulait bas tout bonnement, les planches s’étaient disjointes en raison du trop long séjour qu’il avait fait sur ses portemanteaux avant de reprendre la mer. Il va sans dire que le capitaine Rault jeta une corde à ces personnesqui montèrent et mit à leur disposition une embarcation pour les conduire à terre. Le bateau, ainsi allégé, a pu être vidé et est ensuite retourné à terre.”  
Des pigeons voyageursefficaces
En ces temps d’une Ile Maurice quasi-préhistorique, l’hippodrome de Mon Choisy étant situé à 45 kilomètres de la capitale, sans liaison télégraphique, Port-Louis était informé du déroulement de la journée chaque vingt minutes. Et ce furent des pigeons qui transmettaient les précieux aérogrammes. Les volatilesappartenaient à la Société Colombophile de St-Denis. Les quatre pigeons-voyageurs employés simultanément pour la mission furent en fait  d’une remarquable efficacité puisque, dès les premières vingt minutes, Le Vrai Mauricienfut en mesure d’informer ses lecteurs — et, sans doute aussi, les zougadéres de l’époque — que c’était le cheval Marpessaqui avait enlevé la Mon Choisy’s Plate en temps favorable devant Bacchus, Boltéet Vasco. Ce fut lors de la deuxième mission des pigeons que les organisateurs de la journée hippique signalèrent au journal que le vapeur Guayacanétait arrivé, l’Evelinaaussi et que leBelle Etoileavait… coulé, que ses deux hommes avaient été recueillis par l’Evelinamais que rien n’avait pu être fait pour sauver le bateau !  
Le Vrai Mauricienn’eut que d’éloges pour les propriétaires de la société colombophile dionysienne qu’il remercia en ces termes: “Nous sommes heureux de pouvoir adresser nos sincères félicitations à MM. Camille Sumeire et P. Perretier pour le succès qu’ils ont remporté en faisant parvenir des aérogrammes au moyen de pigeons voyageurs.
Tous les pigeons qu’ils ont lâchés à Mon Choisy, samedi, sont retournés à leurs colombiers en ville et c’est ainsi que nous avons été à même de publier, samedi, le résultat des premières courses”.  

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