La carte Sobrinho de Gurib-Fakim

  • Vendredi après-midi, lors d’un point de presse bouclé en temps record, Pravind Jugnauth confirme la démission d’Ameenah Gurib-Fakim de la présidence de la République
  • Dans la soirée de ce même vendredi, sur son compte Twitter, la présidente en instance de départ rétorque : « It has been reported that I’m resigning. I’m still in office »
  • À l’Hôtel du gouvernement, la date butoir du 15 mars est avancée comme celle du départ d’Ameenah Gurib-Fakim de la State House
  • La question de l’immunité de la présidente de la République à la fin prématurée de son mandat intéresse l’enquête de l’ICAC sur l’octroi de l’Investment Banking and Corporate Advisory Licence au clan Sobrinho le 25 novembre 2016

La carte Sobrinho d’Ameenah Gurib-Fakim intéresse plus d’un. Certes, il y a les dépenses encourues par la présidente de la République avec la Platinum Card de la Barclays du clan Sobrinho, avec des limites de Rs 1 million entre septembre et décembre 2016. Au sujet de cette carte, il n’y a aucun litige. D’ailleurs, la présidente a confirmé devant un parterre de diplomates étrangers, mercredi après-midi à la State House, avoir pris avantage de ces facilités bancaires et de les avoir remboursées depuis avril dernier. Mais l’autre carte Sobrinho, toujours entre les mains de la présidente de la République en instance de départ, représente « lamone sanzé », comme on le dit si bien en kreol mauricien, s’apparentant plus à des arguments sur le plan politique dans cette sinistre affaire au plus haut sommet de l’État. Ce qui pousse certains à se mettre sur leurs gardes contre une riposte d’Ameenah Gurib-Fakim, qui fait encore preuve de combativité. En dépit des retombées négatives, la presse internationale, toutes langues confondues, reprenant dès vendredi soir la nouvelle de la démission de la présidente de la République « amidst financial and shopping scandal », elle passait à la contre-offensive en utilisant son compte Twitter pour marteler le message « J’y suis ! J’y reste ! » Ce qui intrigue plus d’un observateur politique est ce qui semble être une volte-face du Premier ministre et leader du MSM, Pravind Jugnauth. Jusqu’à vendredi matin, il affichait une nette détermination de faire partir la présidente en boudant même le tête-à-tête hebdomadaire de la State House. Puis, dans le sillage de l’ultime entretien de vendredi, il devait changer de posture en accédant à un sursis pour la démission convenue après la fête nationale du 12 mars, refusant d’apporter de précisions sur le calendrier agréé « in the Office of the President of the Republic. »
À 24 heures de l’arrivée du Chief Guest pour le 50e anniversaire de l’indépendance et du 26e de la République, le président de l’Inde, Shri Nath Kovind, les relations entre la State House et la Government House sont loin d’être au beau fixe. Pour preuve, le message posté sur le compte Twitter vers 22 h vendredi. La contre-attaque d’Ameenah Gurib-Fakim est plus que frontale. « Truth will come out when the inquiry is over. It has been reported that I’m resigning. I’m still in post », souligne-t-elle, alors que la presse internationale, dont la BBC et le Times of India, reprenaient la teneur du point de presse du Premier ministre au sujet de l’annonce de sa démission de la State House avant la reprise des travaux de l’Assemblée nationale le mardi 27 courant.
Le post sur le compte Twitter prend à contre-pied les arguments mis en avant par ceux tentant de concrétiser en cours de semaine cette démission en douceur de la présidente de la République. Un départ arrangé éviterait à Ameenah Gurib-Fakim des procédures d’impeachment sous la section 30 de la Constitution avec la mise sur pied d’un Constitutional Tribunal à la faveur d’une motion pilotée par le Premier ministre à l’Assemblée nationale. « Il vaut mieux partir en évitant la voie du déshonneur de l’impeachment et des travaux de ce tribunal », avait fait comprendre l’entourage de la présidente lors des tractations dans la nuit de jeudi à vendredi. Tout indique qu’elle s’était laissée convaincre par cette thèse, à la condition de pouvoir s’entretenir officiellement avec le Premier ministre une dernière fois vendredi matin.
Cette demande fut agréée, le Premier ministre se pointant à la State House à 9h40 ce vendredi. À l’Hôtel du gouvernement, et surtout au Speaker’s Office, on se préparait pour accuser réception de la lettre de démission. Mais c’état mal jauger de la stratégie d’Ameenah Gurib-Fakim, qui est parvenue à négocier un sursis pour son départ alors que, depuis mardi dernier, les ponts étaient irrémédiablement coupés entre la Government House et la State House. Aucun ministre présent au lancement du livre sur le Réduit mercredi après-midi au Château. Et surtout, pas de tête-à-tête hebdomadaire. Pour les plus futés, l’excuse pour justifier ce dernier épisode serait que cette rencontre pourrait s’avérer superflue en l’absence de délibérations hebdomadaires du Conseil des ministres, vendredi. Pourtant, ce même jeudi, le Premier ministre avait convoqué une Special Cabinet Meeting.
Bombe à retardement
Ce durcissement de ton était survenu après une rencontre au sommet presque inédite mardi après-midi. Entre une réunion du comité ministériel pour l’organisation des cérémonies du 12 mars et le lancement de ces mêmes manifestations à la Place d’Armes en début de soirée, Pravind Jugnauth et le N°2, Ivan Collendavelloo, s’étaient rendus à la State House pour transmettre le souhait du gouvernement de voir Ameenah Gurib-Fakim partir avant le 12 mars. Les rares bribes d’informations qui ont transpiré indiquent que cette dernière avait adopté un ton des plus virulents pour affirmer qu’elle n’a rien à se reprocher dans cette affaire, tout en effleurant le fait que la générosité du clan Sobrinho ne lui était pas réservée exclusivement, laissant la porte ouverte à des undertones et aussi le fait que la carte Sobrinho pourrait être à une bombe à retardement.
La conclusion de ce round est que la présidente de la République n’a nullement l’intention d’obtempérer aux directives du Prime Minister’s Office. Même son de cloche, jeudi après-midi, pour la mission de la dernière chance confiée au Minister Mentor, sir Anerood Jugnauth. Difficile de se prononcer sur la carte qu’elle a abattue vendredi matin pour retourner une situation de démission en une de « Madam-la pa pou alé zordi. » Le Premier ministre, affichant une mine des plus accablées politiquement face à la presse, a refusé de divulguer les détails de cet accord pour un sursis, le temps des célébrations du 50e anniversaire.
D’aucuns affirment que la date agréée pourrait être le 15 mars, le tweet de la soirée du 9 étant susceptible de donner une autre interprétation au frame of mind d’Ameenah Gurib-Fakim. Elle s’appuie sur les conclusions d’une enquête à venir to clear her name. Mais quelle forme prendra cette enquête ? Difficile à dire, car plus elle passe du temps à occuper ses fonctions à la tête de l’État, plus la pression politique s’accentuera sur le Premier ministre et l’Hôtel du gouvernement. Déjà, le ton de dénonciation du gouvernement donné par l’opposition depuis vendredi soir ira crescendo et surtout après la trêve du 12 mars.
De son côté, l’entourage d’Ameenah Gurib-Fakim tient un langage plus nuancé. « Elle se prépare à partir très tranquillement de la State House. Elle est passée par des jours extrêmement éprouvants. C’est bien triste pour elle. » « Pusqu’elle a décidé de partir, il ne faudra pas s’attendre à la voir remuer des vagues », confiait-on, hier matin, dans son entourage, en évitant de se prononcer sur the way forward de la présidente de la République, qui était pressentie pour intervenir lors d’un forum international en Azerbaïdjan dès mercredi prochain.
Curiosité de l’ICAC
Au sein de Lakwizinn de l’Hôtel du gouvernement, la tournure des événements en fin de semaine est encore « plus embarrassante » politiquement. « Initialement, la présidente avait réussi le tour de force de réunir en un seul bloc gouvernement et opposition dans la démarche de la faire partir de la State House. Mais le sursis négocié vendredi aura l’effet contraire, avec Pravind Jugnauth se retrouvant in the line of fire de l’opposition. Le problème de la présidente reste encore entier, même si Madam-la finn pran langazma ki li dakor pou li alé. Mé nou pa koné kan ! » fulmine-t-on en privé.
En dépit de tout accord susceptible d’entourer les modalités de départ du Réduit, une épée de Damoclès pèse sur la tête d’Ameenah Gurib-Fakim. L’Independent Commission Against Corruption (ICAC) a déjà diligenté une enquête sous les dispositions de la Prevention of Corruption Act sur l’octroi à Alvaro Sobrinho d’une Investment Banking Licence le 26 novembre 2016. La coïncidence de la période portant sur les tractations pour l’obtention de cette licence émise par la Financial Services Commission (FSC) et de celle des dépenses présidentielles encourues avec les facilités de la Platinum Card du clan Sobrinho devrait aiguiser la curiosité des limiers de l’ICAC en vue de déterminer s’il y a des relations de cause à effet dans cette d’affaire, d’autant que la guerre des courriels du mois d’avril 2017 confirme des interventions, pour ne pas dire des ingérences, de haut niveau en août 2015 pour faciliter et accélérer l’octroi des permis par la FSC à des fonds sous le contrôle d’Alvaro Sobrinho, à savoir PASET Fund et l’ASA Fund.
Au cas où l’enquête de l’ICAC, qui se fait dans la discrétion jusqu’ici, est menée à terme, il n’y a aucun doute qu’Ameenah Gurib-Fakim doit des explications son engagement en tant que chef de l’État auprès du régulateur des services financiers. « Il n’y a pas à sortir de là », affirment ceux qui suivent le dossier d’Alvaro Sobrinho. Mais reste à savoir si l’immunité accordée à la présidente en exercice sera toujours valable à son départ de la State House. Même si dans certains milieux l’on préfère s’appuyer sur une interprétation de la loi à ce sujet, d’autres maintiennent qu’il n’y a aucun obstacle à l’audition under warning d’un ancien chef d’État dans une affaire avec des zones d’ombre de ce genre.
Pour preuve, ils citent la convocation par le Central CID de l’ancien président Kailash Purryag à peine deux mois après son départ du Réduit. Il avait été interrogé aux Casernes en juillet 2015 dans le cadre de la Navin’s Coffers Saga des Rs 220 millions suite à des allégations portées contre lui par l’astrologue de Navin Ramgoolam. Comme quoi, la carte Sobrinho peut ouvrir des comptes auxquels l’on ne s’attendait pas…

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