A LA CHARTREUSE : De l’abattoir à l’abreuvoir

Une chose est sûre : aucun de ses animaux ne finira en steak ou en saucissons. Très attaché à ses bovins qu’il a sauvés de l’abattoir, Surya Narayan Das a accueilli dans sa « maison de retraite », Shree Shree Radhe Gopal Godham, située à La Chartreuse, pas moins de 160 boeufs et vaches sur une superficie de 9 arpents. Homme enclin à la spiritualité, passionné « de toute entité vivante », cet habitant de La Chartreuse de 57 ans est recteur dans un collège d’Etat de Quartier-Militaire. A ses heures libres, il donne le maximum de son temps à ses bêtes qu’il considère comme « sacrées ».
Le temps est pluvieux en ce début d’après-midi de vendredi dans le petit village tranquille et peu fréquenté de la Chartreuse situé entre Dubreuil et Belle-Rive. À l’élevage bovin de Surya Narayan Das, boeufs, vaches laitières et veaux, dont certains souillés de boue, broutent paisiblement l’herbe du pâturage, pendant que d’autres s’avancent vers les barrières de pâtures pour chercher de la nourriture dans les bacs qui y sont disposés. Malgré la fange qui les couvre, ils sont beaux. Certains sont plutôt maigres, hormis la grosse bosse que portent naturellement les « vraies vaches laitières » (Surya Narayan Das, dixit) sur le dos, les différentes races de l’élevage présentent une maigreur qui saute aux yeux avec les côtes visibles et les os qui pointent au niveau de l’échine. Les périodes de vaches grasses seraient-elles rares ici ?
Malgré leur aspect étique, dans leurs magnifiques pupilles brunes ne se lit aucune crainte : aucune réminiscence du « voyage » en camion qui les menait vers l’abattoir, ce couloir de la mort des bovins… Attendrissants, ils se laissent même caresser le museau. Plus loin, à l’intérieur du bâtiment d’élevage, un employé, aidé d’une dame âgée vêtue d’un sari, broie, à l’aide d’un petit moulin mécanique, des tiges de canne pour nourrir les ruminants. Il y flotte une odeur de bouse de vache. Autour des mangeoires et des abreuvoirs en béton, les « résidents » à cornes, attachés à une courte corde, apprécient ce que leur donnent leurs bienfaiteurs. « Certains sont attachés pendant qu’ils se nourrissent, autrement ils refusent de manger. Ensuite, nous les relâchons », nous explique Surya Narayan Das qui vient tout juste de nous rejoindre après une panne de voiture qui l’a retenu sur la route. Curieux, en même temps trois veaux, bien dodus ceux-là, s’approchent pour qu’on les flatte.
« M’occuper d’eux est un vrai bonheur »
Contrairement à certains éleveurs qui prétendent aimer leurs animaux, mais qui les transportent à l’abattoir, Surya Narayan Das élève ses animaux « comme s’ils étaient ses enfants ». Pour que ces derniers soient à l’abri, il a même installé son modeste domicile au sein de l’élevage afin de mieux veiller sur eux.
« Parmi nos pensionnaires, nous comptons une majorité de vaches. La vache est pour nous sacrée. Dans la religion hindoue, la vache est comme une mère pour nous. Nous nous devons de bien nous occuper d’elle. Contrairement aux élevages industriels, on ne s’en débarrasse pas après qu’elle a servi à donner du lait », explique l’éleveur.
160 « pensionnaires » (mot qui prend ici sa pleine acception, les vaches étant accueillies comme dans un hospice et choyées) sont pris en charge par lui. Il regrette ne pas pouvoir en acheter d’autres, faute d’argent. « Une vache consomme en moyenne 2 balles de nourriture appelée pumak, soit 40 kg par jour ou une soixantaine de balles par mois. Or, nous avons beaucoup de difficultés à trouver le minimum de 30 balles de pumak », regrette Surya Narayan Das. De plus, il doit compter les coûts du fourrage, qui atteignent les Rs 15 000 par mois, et la main d’oeuvre, Rs 35 000.
Depuis dix-huit ans, l’élevage de la Chartreuse n’a jamais bénéficié d’électricité ni d’eau. « Selon les autorités, pour pouvoir en profiter, je dois m’acheter un transformateur qui coûte Rs 350 000. Quant à l’approvisionnement en eau, je dois compter sur l’eau de pluie. Mais cela ne m’a pas découragé pour autant, car malgré tout, je suis heureux d’avoir sauvé ces animaux de l’abattage. Et m’occuper d’eux est un vrai bonheur, car ils renforcent mon bien-être spirituel », dit-il.
« Depuis 18 ans, tou mo kas ale ladan »
Rien ne peut décourager Surya Narayan Das, bien que ses bêtes soient mal nourries. « J’aurais souhaité leur offrir une vie meilleure. Je fais de mon mieux », dit-il. Déterminé à aller jusqu’au bout, il dit qu' »ici, chaque bête est suivie avec soin jusqu’à sa mort ». Pour cela, il n’a jamais lésiné sur les moyens. « Depuis 18 ans, tou mo kas ale ladan », dit-il. Surya Narayan Das ajoute avoir vendu des terrains pour sauver des bovins. « J’ai dépensé au moins Rs 5 M depuis une vingtaine d’années, notamment dans l’achat de ces ruminants », dit-il.
L’histoire de ces bêtes qu’il a recueillies dans ce refuge varie. Il a pu sauver quelques-unes des abattoirs. D’autres, trop âgées pour la traite, partant moins nourricières, lui ont été confiées par des propriétaires qui n’en voulait plus. « J’ai aussi acheté beaucoup de vieilles vaches qui étaient sur le point d’être vendues aux bouchers pour le prix de Rs 2000. Ici, elles jouissent d’une vie tranquille jusqu’à leur mort. Le lifespan de ces animaux est de 25 à 30 ans et ils ne mourront pas avant. De plus, les petits peuvent être nourris par leur maman, sans risque d’être arrachés d’elle pour être tués sauvagement ».
Tout a commencé en 1998, à l’Espérance-Trébuchet où il vivait. À cette époque, Surya Narayan Das, aujourd’hui âgé de 57 ans, était recteur au Montagne-Blanche Secondary School. Un jour, tandis qu’il rentrait du travail, il aperçoit un camion boucherie stationnée devant la maison d’une proche. « Elle voulait la vendre. Moi, j’étais troublé par cette scène, le regard effaré de l’animal : j’ai été pris de compassion. Je ne pouvais concevoir le fait que cette vache qui nous a donné tant de son lait depuis notre enfance allait être abattue. Je voulais la sauver. Elle nous avait nourris, le surplus de son lait qu’on vendait nous a permis d’apporter des provisions à la maison, de financer l’éducation des enfants, et voici qu’on allait le dépecer. J’ai alors négocié avec elle pour qu’elle me la vende. Après un prêt de la banque, j’ai pu acquérir non pas une, mais deux vaches pour la somme de Rs 25 000 ».
Petit à petit, par la suite, il parviendra à constituer tout un cheptel grâce à la vente de ses deux terrains. Et concentrera son activité à la Chartreuse où il vit désormais entouré de ses vaches. Il voue une prédilection particulière à la vache à bosse. « La vache à bosse est une vraie vache laitière. Elle produit ce que l’on appelle le’ A2 milk’, qui est bénéfique pour la santé », lance Surya Narayan Das.
Des satsangs ont lieu le dimanche au refuge où les dévots pendant la cérémonie boivent de l’urine de vache « aux vertus purificatrices ». « Car, à part de fournir du bon lait, ou du mantègue, la vache donne aussi d’autres produits dérivés. L’urine de la vache est très connue pour ses nombreux bienfaits. Nous n’avez qu’à naviguer un peu sur internet, notamment sur le site cowurinetherapy.com et vous serez stupéfait. D’ailleurs, j’en consomme moi-même tous les jours », dit-il.
Surya Narayan Das souhaite que les autorités et la population prennent conscience du sort de ces bovins qui, à cause de leur âge avancé, sont destinés fatalement à l’abattoir. « Les moyens manquent. Nos ‘résidents’ ont besoin d’être convenablement nourris, s’abreuver pour ne pas être déshydratés, aussi être lavés, mais nous n’avons pas suffisamment de moyens », dit-il.
Entre l’appel à l’aide de Surya Narayan Das et le râle saignant (au premier sens du terme) des animaux à l’abattoir, le choix est-il malaisé ?
Contact :5777 51 92

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