La chèvre et le chou

Personne à l’exception de quelques irréductibles ne pouvant désormais plus contester le réchauffement planétaire, le monde s’organise peu à peu vers une lutte dictée à la fois par les mouvements écologistes, les lanceurs d’alertes, les scientifiques et, bien entendu, les Nations unies. Combattre les causes du dérèglement climatique est en effet aujourd’hui le credo auquel il faut impérativement adhérer. D’abord, bien sûr, parce que la hausse des émissions de gaz à effet de serre nous plonge chaque jour un peu plus vers un désastre mondial, et contre lequel aucune frontière ne résistera, mais aussi, au-delà de ce triste constat, parce qu’il convient avant tout pour ceux ayant précipité le réchauffement climatique depuis plusieurs décennies de redorer leur blason.

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Qu’importe, serions-nous tentés de dire, puisque l’objectif est finalement le même. En fait, oui et non, car ce faisant, nous ne cessons d’entendre de véritables inepties, lancées çà et là par les politiques et chefs d’entreprise du monde entier. Ces derniers ne peuvent en effet s’empêcher de détacher systématiquement le réchauffement climatique de ses causes, à savoir notre propension maladive à exploiter la planète à outrance. Autrement dit sans compromettre notre système viral de société, basé sur la production et la consommation. Ou encore, en termes plus simplifiés, sans remettre en cause notre système économique dans son ensemble. Or, s’attaquer aux conséquences d’un problème n’a jamais résolu le problème en lui-même, car ce serait un peu chercher à éradiquer le coronavirus avec du paracétamol. Non, nos décideurs – politiques et économiques – ne veulent « absolument pas » revoir leur copie en matière de développement, leur survie en dépendant largement, comme de bien entendu. Pour autant, ils se doivent, dans le même temps, de distiller dans leurs discours des mesures à relents écolos, histoire bien sûr de s’inscrire dans cette mouvance mondiale. Raison pour laquelle nous les entendons régulièrement nous abreuver de propos où apparaissent (et même souvent dans la même phrase) les termes de « croissance économique » et de « lutte contre le changement climatique ». Sans s’apercevoir (ou plutôt sans vouloir assumer) qu’il s’agit là d’une contradiction.

En s’inscrivant dans cette logique, ils commettent plus qu’une simple erreur, car précipitant l’humanité, mais aussi le reste du vivant, dans une forme d’euthanasie, la douleur en plus. L’on ne peut en effet à tout prix vouloir préserver la chèvre et le chou, auquel cas ce serait oublier que les augmentations drastiques de températures que l’on nous promet avant la fin du siècle trouvent leur origine dans cette même croissance que l’on continue de prôner. À ce titre, il est intéressant de noter qu’au sein même d’instances et de conglomérats portant une part de responsabilité (plus ou moins grande) dans la situation actuelle, certains avouent, en interne ou publiquement (le plus souvent à demi-mot), que ce modèle dont nous jouissons aujourd’hui ne pourra s’éterniser davantage.

Ainsi le très sérieux Guardian publiait-il récemment un article portant sur un rapport confidentiel signé de JP Morgan, pour rappel principal financier mondial des combustibles fossiles. Dans ce document – adressé à ses clients mais qui, manque de bol, aura « fuité » – est ainsi mentionné que la Terre se trouve aujourd’hui « sur une trajectoire non durable ». JP Morgan va même plus loin, indiquant que la politique climatique devait changer, sous peine de « conséquences irréversibles pour le monde ». Bien entendu, il s’agit déjà pour beaucoup d’une évidence, sans compter que ce rapport n’a d’abord, encore une fois, pour objet que d’avertir les membres d’un « certain cercle » quant aux risques économiques engendrés par le réchauffement. Reste que le document pointe du doigt notre responsabilité collective en la matière, et même mieux puisque comprenant de facto les actions mêmes de la holding financière à l’origine de son ébauche. Cela sera-t-il suffisant pour nous faire prendre conscience de notre irresponsabilité à vouloir perpétuer, coûte que coûte, un système dont la chute est assurée ? Il y a peu de chance, hélas ! Au risque de voir bientôt disparaître à la fois la chèvre et le chou.

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