La fabrique mauricienne

BRUNO DUBARRY

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Nous pouvons aisément convenir que nous sommes à un tournant. Dans l’année de son cinquantenaire, Maurice semble en attente d’un nouveau défi pour renouveler ses vœux d’indépendance. Or nos habitudes ont souvent
pour effet de repousser l’échéance dès
lors qu’on s’achemine vers leur propre remise en question. Pourtant les défis sont légion et ne se présentent plus timidement mais tancent sérieusement notre société.

Je suis de ceux qui croient que notre richesse nationale c’est le capital humain, les Mauriciennes et les Mauriciens d’ici et d’ailleurs ; sans négliger les ressortissants étrangers qui ont fait le choix de vivre à Maurice. Cela permet de croire que c’est sur le développement des Mauriciens qu’il faut concentrer nos efforts, tout autant sinon davantage, que sur le développement économique et les infrastructures de communication. Ce sont nos ressources humaines qui devront penser, décider, implanter, évaluer les prochains « chantiers » de développement du pays et adapter nos institutions en conséquence.

Chez nombre de nos compatriotes, l’on trouve un côté à la fois besogneux et talentueux. C’est une bonne base, si l’on accepte de voir la séquence mondiale qui s’ouvre comme fortement empreinte de confusion. Il y a fort à faire pour notre pays. Manque à ces talents, un projet de société qui donnera une vision commune de l’avenir. Un projet qui mènera le pays à sa propre transformation, en mobilisant ses talents précisément.

Il faudra chemin faisant, se délester de ce qui empêche l’excellence et la solidarité de devenir ou redevenir les moteurs de notre réussite sociale. C’est là, le premier défi : réconcilier réussite du pays et réussite de tous.

Excellence
Un pays peut-il offrir un avenir radieux à ses générations futures, s’il se refuse à viser l’excellence ? Tôt ou tard, l’approximation lui sera fatale. Le meilleur antidote est sans conteste de s’administrer une dose d’exigence. En l’espèce, un projet de société qui dès sa conception imposera un niveau exemplaire de préparation et de transparence. Un projet qui tracera le mandat des futurs représentants du pays.

Cet appel à l’excellence ne peut aller de pair avec l’élitisme ou l’exclusion. Maintenir les conditions d’une réussite partielle, au détriment de la cohésion sociale reviendrait à préparer l’échec.

Solidarité
L’époque dans laquelle nous vivons est truffée de ruptures. C’est une époque qui exècre à faire justice aux plus démunis et ceux qui ont connu des accidents de la vie. Doit-on s’y conformer ? C’est-à-dire transmettre des valeurs fondées sur notre foi et notre culture qui placent la générosité et l’amour au sommet de la hiérarchie, tout en prenant soin d’écarter des concitoyens lorsque vient le moment d’agir. Qui peut souscrire à cela ? Et bien, c’est le paradoxe dans lequel évolue notre société. C’est à la fois immoral et ce n’est pas durable.

C’est donc une exigence nationale, que de penser et mettre en œuvre un modèle d’excellence consistant à faire réussir les plus démunis. Le caractère des Mauriciens offrant les meilleures dispositions pour cette œuvre. Si chacun à sa mesure, s’attèle à faire réussir les plus démunis avec la même énergie qu’il déploie pour lui-même ou ses proches, alors Maurice travaillera à se faire une place d’honneur dans ce XXIe siècle.

Elaborer une vision commune: Pratiques renouvelées et représentativité
L’exercice qui consiste à définir une vision commune est un incontournable de toute société qui se respecte. Tant de papiers ont été écrits dans ce sens et plusieurs initiatives citoyennes ont tenté l’expérience. La pratique générale n’est pas à la co-construction entre responsables politiques et société civile. Lorsque les échéances électorales sont passées : peu de dialogue citoyen.

A Maurice nous avons l’exercice national budgétaire ou des négociations tripartites salariales qui effleurent l’esprit d’échange, mais difficile de com- parer cela à la définition d’une vision commune. L’année dernière, était annoncée la création d’un Conseil économique et social de Maurice, c’est précisément dans ce type d’espace que peut se nouer le dialogue gouverné–gouvernant, en- dehors des échéances électorales.

La pratique montre que la vitalité d’une démocratie ne se mesure pas tant par la création d’instances étatiques, que par l’intensité et la qualité des échanges entre citoyens. Pour éviter de tomber dans une discussion technique, disons qu’il y a un risque d’inefficacité dans une politique de l’offre ; quand l’urgence est de créer les conditions optimales pour que se structure la pensée citoyenne. Privilégions le développement des pratiques à la base de la société, plutôt que des instances qui peineront à inclure des principes comme le renouvellement des corps constitués et la représentativité au- delà de critères « socio-culturels » préexistants.

Patriotisme et citoyenneté active
Pour élaborer une vision commune de Maurice, il y a pour préalable : le partage d’une conception aigüe de la justice sociale et environnementale, le courage de changer ce qui est une entrave à sa réalisation.

« Améliorer ensemble » comme credo citoyen. C’est peut-être une formule simple à des problématiques complexes, mais la complexité a le travers de faire disparaître les bonnes volontés. Une approche décentralisée et libérée des logiques de « classement national ». La finalité de ces initiatives devant répondre à des objectifs de durabilité des territoires et d’émancipation des citoyens par la contribution à la réussite collective. De nombreuses activités d’ONG existent, il s’agit de rapprocher les écoles et les entreprises de ce qui se fait pour décupler l’impact des activités et par là même de responsabiliser la société civile dans son ensemble.

En activant davantage la citoyenneté c’est-à-dire prévoir dans la vie des écoles et des entreprises, des mécanismes d’apprentissage à la responsabilité individuelle et collective (modules de formation, tutorat entre élèves, période de stage partagée entre entreprise et ONG, opérations régulières de collecte de déchets, entretien de potagers communs, accompagnement de chantiers d’insertion notamment dans l’habitat communautaire, etc.) qui soient reconnus dans l’évaluation des étudiants et des salariés ; des dispositifs de soutien aux établissements publics et privés permet- tant d’instaurer une prime aux employés sur des critères de performance économique, sociale et environnementale de l’établissement ; soutenir les collectivités dans l’expérimentation de solutions locales à des problèmes sociaux et environnementaux (reconversion économique et cultures vivrières, préservation des espaces verts et côtiers, cantines avec petit-déjeuner dans les zones défavorisées, etc.).

Cette citoyenneté active s’imposerait progressivement à la société mauricienne telle une norme, servant ainsi de terreau pour un patriotisme « quotidien ».

Transformer notre modèle économique et social : un nouveau contrat social
« Toute nation est par définition multiculturelle, le problème politique étant de savoir si la diversité culturelle, en termes de religion, de différences sociales, d’appartenance nationale, est susceptible d’être transcendée par un projet commun. » (1)
Voilà une entame pour la réflexion sur un projet commun. Maurice à travers la complexité de son histoire est admirable. Pourtant d’aucuns pourraient souligner sa fragilité. S’il est malaisé de s’interroger sur la place accordée à ses différentes composantes et les pratiques qui consistent à les
ségréguer dans les textes fondamentaux ; sans doute faut-il mener à son terme une réflexion déjà ouverte à plusieurs reprises, sur son système électoral.

S’il faut tenir compte d’une forme d’équité dans la représentativité des composantes de la société mauricienne, il est en revanche nécessaire de regarder cette dernière dans sa dynamique et d’apprécier les limites du système actuel. Les « étiquettes » attachées aux citoyens selon leurs origines ethniques, peinent à rendre compte de la société mauricienne telle qu’elle évolue. Cela questionne bien la pertinence du Best Loser System tel qu’il se pratique encore – rappelons que des composantes de la société mauricienne ont déjà la possibilité de choisir entre plusieurs appartenances ; alors que penser des unions mixtes et le métissage qui s’ensuit pour les enfants nés de ces unions ?

Avec les générations futures, la question de fond sera moins de se déclarer d’une composante mais plutôt de vivre pleinement sa citoyenneté mauricienne. Le terme « pleine- ment » a toute son importance car de s’interroger cinquante ans après l’indépendance, si l’on se considère avant tout mauricien ou de communauté x ou y, est sinon pernicieux – du moins limitatif et porteur de profondes divisions. Cela apparaît incompatible avec le parachèvement de la citoyenneté mauricienne.

Dès lors, il convient de travailler à un projet de société qui servirait de cadre renouvelé pour penser l’évolution de nos institutions représentatives. Un projet d’envergure nationale, intergénérationnel, multithématique, contributif par essence. La transition écologique pourrait être ce catalyseur car elle englobe tous les aspects du vivant et va dans le sens d’une renaissance de la société mauricienne.

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