La justice à Londres…

 « The Court created an appearance of unfairness and bias ». Telle est l’étonnante conclusion à laquelle sont arrivés les juges du Conseil privé dans le cadre d’un procès en appel intenté par l’ancien Chief Manager de la MCB. Dans leur jugement rendu le 20 décembre dernier, les Law Lords écrivent que « the informed observer could not avoid the conclusion that the way in which the case was conducted was at least indicative of a possible lack of complete impartiality on the part of the Court ». Or, une justice dépourvue de sens d’équité et d’impartialité est tout sauf juste. Par conséquent, les juges britanniques ordonnent que l’affaire soit entendue à nouveau. Que de temps perdu ! Et d’argent aussi !
 Même s’il est pratiquement inaccessible au justiciable lambda, le recours au Conseil privé constitue toujours un moyen efficace de transcender le sens du conservatisme de notre justice et de protéger les droits des citoyens. À Maurice, force est de constater que l’on a trop souvent tendance à faire l’impasse sur un droit constitutionnel fondamental que représente la liberté de l’individu. Ainsi, dans un jugement rendu en décembre 2005 dans l’affaire Hurnam, les Law Lords n’ont pas manqué d’en faire état tout en égratignant au passage les deux juges qui avaient renversé le verdict de l’instance inférieure pour avoir accordé une libération conditionnelle à l’avocat-politicien d’alors. Tout en rappelant qu’une détention prolongée n’est justifiée que dans la mesure où l’intérêt public est véritablement menacé, le Conseil privé avait alors fait ressortir que « the Court fell into error in treating the seriousness of the offence as an all but conclusive reason for refusing bail ».
 Vu que la grande majorité des prévenus ne retiennent pas les services d’un homme de loi, les enquêteurs se retrouvent souvent devant un boulevard de liberté de décider de leur sort et éventuellement de faire ratifier cette décision par une Cour de justice. Pourtant, les officiers de police qui prennent l’initiative d’enlever la liberté à un suspect au tout début d’une enquête, ne sont même pas experts en matière de droits constitutionnels et font très souvent fi de la présomption d’innocence – principe de droit qui avait d’ailleurs servi de fil conducteur au discours de l’ancien Attorney General, Razack Peeroo, lorsqu’il avait présenté la Bail Act en 1999 en mettant l’accent sur le fait qu’une détention demeure l’exception et la liberté, la règle. Une Cour de justice ne doit en aucun cas négliger l’éventualité qu’un des objectifs principaux de l’institution que représente la force de l’ordre est de produire des résultats à tout prix et qu’au final, si un accusé qui aurait passé de longs mois en détention provisoire est acquitté, notre système de justice ne prévoit aucune forme de compensation pour les préjudices qu’il aurait subis si ce n’est que des dommages au civil, et ce à condition qu’il possède des moyens financiers exorbitants pour retenir les services d’un avoué et d’un avocat.
 Les deux accusés qui ont été lavés de tout blâme dans l’affaire Michaela Hart – et ce bien que la police disait détenir un dossier en béton contre eux -, ont été privés de leur liberté pendant une année et demie, perdu leurs emplois et il n’y a aucune garantie qu’ils obtiendront finalement les Rs 75 millions et Rs 80 millions qu’ils réclament respectivement de l’État. Et ce n’est que maintenant que la police mène une enquête scientifique approfondie – l’analyse de l’ADN de tous ceux qui avaient travaillé le jour du meurtre – alors que ces résultats auraient dû déjà être versés au dossier lors du procès aux Assises en juillet dernier.
 Autre jugement du Conseil privé qui a eu un effet de tonnerre dans le domaine légal et allant dans le sens du renforcement des droits des citoyens et des normes de la transparence : celui rendu en avril 2006 remettant en cause le pouvoir discrétionnaire du Directeur des poursuites publiques (DPP). Rejetant d’emblée toute notion d’immunité totale, les Law Lords avaient alors stipulé que les décisions du DPP devraient être « open to challenge and review in the Courts », renversant ainsi deux jugements de la Cour suprême qui avaient préalablement statué le contraire. Mais il faut aller plus loin. Car une gestion dans l’opacité des affaires publiques est incompatible aux normes et exigences d’une démocratie digne de ce nom. Sans pour autant remettre en question l’intégrité et l’impartialité du titulaire de cette fonction, il serait souhaitable que les décisions du DPP soient motivées quand celles-ci font l’objet de controverses. Certes, en novembre 2003, M. Raffick Hamuth avait, sans doute de bonnes raisons de prononcer un non-lieu en faveur du leader du Hizbullah d’alors mais cette démarche avait soulevé, dans certains milieux, pas mal de spéculations d’autant qu’une Cour de justice avait auparavant conclu qu’il y a un prima facie case pour déférer l’accusé aux Assises à la suite d’une enquête préliminaire.
 Soulignons, à propos, que dans une récente affaire de « diffusing false news », la décision du DPP d’entamer des poursuites au pénal contre Showkatally Soodhun tout en épargnant Paul Bérenger a été amplement explicitée dans la presse. Il appartiendrait éventuellement à la Cour de se prononcer sur la validité ou non de ces motifs ; mais d’ores et déjà, l’initiative de Satyajit Boolell mérite d’être saluée. Et il ne peut s’arrêter en si bon chemin.
 Les juges britanniques ont le mérite de nous rappeler de temps à autre les carences dont souffre notre système de justice ; souhaitons que les cours de formation continue destinés à tous les membres de la profession légale, juges et magistrats compris, que préconise la Law Practioners’ (Amendment) Act de 2011, aideraient à remettre les choses dans leur juste perspective.

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