LA MBC : L’histoire d’une longue tutelle tantôt rouge et tantôt orange

Les récents incidents impliquant la MBC et qui ont vu ses journalistes et cameramen chassés de manière violente des activités pourtant publiques de l’Alliance Lepep ont remis en lumière son rôle controversé dans le débat public à Maurice, lequel se cristallise à l’occasion de chaque consultation populaire. Or, la radio-télévision nationale se résume à l’histoire d’une longue tutelle tantôt rouge et tantôt orange dépendant de qui est à l’Hôtel du gouvernement et de sa conception de la démocratie et de la pluralité.
Ceux qui sont plus âgés ont connu de la MBC, de 68 à 82, un audiovisuel moyenâgeux où aucune autre voix que celle des puissants du jour, composés de dirigeants du PTr et du PMSD, n’était autorisée. Aucune trace à la radio ou à la télévision de l’opposition alors qu’elle avait remporté les élections de 76 et que sa victoire avait été confisquée par un arrangement post-électoral PTr/PMSD, pas de passage de chansons engagées, rien qui soit conforme au plus petit respect d’une démocratie parlementaire.
Nous passerons sur le numéro aussi pitoyable que mémorable de ceux qui, à la MBC, eurent la délicate tâche, le 12 juin 82, d’annoncer le premier 60/0 de l’histoire politique mauricienne. La fraîcheur de la campagne de l’alliance MMM/PSM, le générique de ses programmes télévisés intitulé, « Lavi ki pé déroulé » et la découverte des jeunes candidats interdits d’antenne, tout cela annonçait une révolution dans le paysage audiovisuel, mais c’était sans compter les réactionnaires, les passéistes et les fossoyeurs de la démocratie.
Bien que le nouveau MBC Act fût voté en octobre 82 et que sa section 4 stipule de manière explicite qu’elle doit « provide independent and impartial broadcasting services of information… give adequate coverage in its broadcasting programmes to news items, both local and foreign, in the languages specified in paragraph (a) and ensure to the best of its ability that the news bulletins broadcast are accurate and presented in an impartial manner », certains n’entendaient pas abandonner leur mainmise sur la MBC.
Gaetan Essoo, le seul et éphémère apparenté MMM à la Rue Pasteur
Harish Boodhoo, qui officiait comme ministre de l’Information sous le gouvernement PSM/MMM, avait ainsi projeté d’aménager un bureau à Forest Side, mais rencontra une forte résistance de la part du MMM qui observa que c’était contraire à la nouvelle approche vis-à-vis du service public de l’audiovisuel. Ne s’avouant pas vaincu, il usera de sa position pour révoquer le directeur général nommé par le MMM, Gaetan Essoo, le seul et éphémère directeur de la MBC jamais nommé par le MMM.
Cette affaire provoqua une vive secousse au sein du gouvernement qui finit par éclater en mars 1983. Et c’est Basdeo Ramuddin qui agissait comme directeur adjoint qui fut nommé à la tête de la MBC.
Il sera remplacé par un certain Dan Callikan, un membre de ce qui fut alors connu comme la bande des 5 et qui avait fait un grand fracas lors des élections de 83 et qui était composé de Dev Virahsawmy, de Peter Craig, de Harish Boodhoo et du Haut Commissaire indien, Prem Singh.
Après le passage de Dan Callikan et celui, très bref, de Basdeo Ramuddin, le MSM toujours en alliance avec le PTr et le PMSD, place à d’autres affidés politiques qui se succéderont à tour de rôle : Anil Surajbali, relevé par Nando Bodha lorsque c’est un gouvernement MSM/MMM qui sera à la barre, ira prendre un poste de conseiller auprès du Premier ministre, Sir Anerood Jugnauth.
Interruption en direct
Le passage de Nando Bodha à la télévision sera marqué par un incident sans précédent dans les annales de la télévision mauricienne. Un débat télévisé en direct fut brutalement interrompu lorsque des critiques furent portées par certains participants contre le ministre de l’Intérieur, Sir Anerood Jugnauth lors d’un débat télévisé axé sur la nationalité mauricienne. C’était l’époque de l’affaire Paul Orian, Mauricien à qui la nationalité avait été systématiquement refusée par SAJ.
Le poste de directeur général devant un véritable jeu de chaises musicales, c’est ensuite, sous le gouvernement du second 60/0 de 1995, l’histoire d’un tandem inédit Mervyn North-Coombes et Trilock Dwarka qui sera à la barre du service public et augurait des perspectives nouvelles par la MBC, mais c’était toujours sans compter le désir du PTr d’avoir une mainmise totale sur la MBC.
Les choses devaient d’ailleurs très vite s’envenimer entre le président du conseil d’administration Mervyn North-Coombes et Trilock Dwarka, le premier initiant même une Private Prosecution contre le directer pour une affaire alléguée de « forgery ». La politique étant ce qu’elle est, le président finit par être révoqué de son poste.
A l’arrivée du gouvernement MSM/MMM, un nouvel espoir de changement vit le jour. Il décida de la nomination de Shirin Aumeeruddy-Cziffra à la présidence du conseil d’administration et opta pour un appel de candidatures pour le poste de directeur, un exercice qui permit de choisir Hootesh Ramburn qui commença un travail de remise en ordre, mais qui ne fit pas long feu.
En 2002, point d’appel de candidatures et c’est sur Torriden Chellapermal que SAJ portera son choix pour le poste de directeur général. Connu du milieu audiovisuel et homme d’ouverture, son arrivée au sommet de la MBC suscita néanmoins quelques craintes à l’instar de Raj Meetarbhan qui, dans l’Express, n’avait pas hésité à évoquer son passé d’attaché de presse de SAJ et observer que ça « pourrait s’avérer un handicap ».
Avec Torriden Chellapermal, la télévision fut définitivement moins agressivement partisane sur le plan politique, mais s’est toujours le MSM qui avait la haute main jusqu’à ce que Paul Bérenger devienne Premier ministre en octobre 2003 et qu’il décide de laisser la MBC faire son travail, ce qui n’était pas au goût de certains ministres, qui, comme Pravind Jugnauth, alors vice-Premier ministre et ministre des Finances, se plaignaient régulièrement de la couverture que leur accordait la télévision. Las d’entendre ce genre de récriminations et de répéter qu’il n’allait pas s’ingérer dans les affaires de la MBC, le Premier ministre d’alors avait même invité les insatisfaits à adresser directement leurs doléances à la direction de la MBC.
Avec le retour de Navin Ramgoolam en 2005, ce fut le come-back de Bijaye Madhoo à la tête de la MBC et comme c’est de l’histoire récente, nul besoin de rappeler que sa gestion fut très critiquée, non seulement par le public, mais par un rapport du Management Audit Bureau. Il fut débarqué en 2009 au profit de Dan Callikan qui agissait comme le directeur de communication du Premier ministre.
Et c’est en 2010, alors que le PTr était en alliance avec le MSM et le PMSD que la MBC va inaugurer une nouvelle manière de couvrir les campagnes électorales avec reportages sur les rassemblements publics. Le résultat fut que l’opposition dirigée par Paul Bérenger fut présentée sous ses mauvais jours tous les jours de la campagne et le gouvernement systématiquement présenté comme devant terrasser ses adversaires par la mobilisation de ses partisans même au Nos 1, 19 ou 20. Malgré ce parti pris flagrant, le MMM n’avait pas incité ses partisans à s’en prendre aux employés de la MBC, ni ne les avait interdit de couvrir leurs activités publiques.
Le MSM alors au gouvernement n’avait rien trouvé à redire sur ses dérapages antidémocratiques et aujourd’hui qu’il se retrouve dans le camp adverse fait, lui aussi, l’amère expérience de la manipulation d’images et d’une couverture biaisée. Comme quoi, il vaut mieux toujours rêver d’une BBC à la mauricienne surtout sans Dan Callikan et s’y tenir plutôt que de s’accommoder de l’inacceptable dépendant que l’on se trouve, hier, au gouvernement et, aujourd’hui, dans l’opposition.

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