La nouvelle loi sur le Travail : Questions à Pradeep Dursun, Chief Operating Officer : « Business Mauritius n’est pas contre le Workers Rights Bill”

La présentation du Workers Rights Bill au Parlement a été précédée par une controverse. Après son adoption par le Conseil des ministres, ce texte de loi a été revu et sa présentation au Parlement reporté après des protestations émises par Business Mauritius. La semaine dernière, Business Maurititius a mené une opération de communication sur le sujet dans la presse, juste avant la présentation du texte remanié au Parlement. Qu’elles étaient les objections de Business Mauritius par rapport au Workers Rights Bill ? C’est une des questions que nous avons posées à Pradeep Dursun, Chief Operating Officer de Busines Mauritius et spécialiste de la loi industrielle.

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Qu’est-ce que Business Mauritius reproche au Workers Rights Bill, actuellement en discussion au Parlement : qu’il défende les droits des travailleurs ?

— La loi du Travail ne s’applique pas uniquement aux travailleurs, mais a toute une série de personnes concernées par le travail. Le projet de loi en discussion donne l’impression de focaliser sur une catégorie de tous ceux qui sont concernés par le sujet. A cause de notre histoire et de notre peuplement, les lois du Travail sont un sujet très passionné et qui divise à Maurice

 Vous trouvez ? Pour la première fois à Maurice, une grande majorité de syndicats et le gouvernement sont d’accord, dans les grandes lignes, sur le principe du Workers Rights Bill. L’opposition vient du secteur privé, de Business Mauritius.

— Business Mauritius est d’accord sur le principe du projet de loi qui vise à reviser les lois pour la protection des employés. Mais cette protection doit marcher de pair avec le développement du travail et avec de la protection pour un segment de cette catégorie avec ce qu’il faut de flexibilité. Ce qui nous a choqués c’est le manque de consultation adéquat avec tous les partenaires depuis 2015, et par la suite Business Mauritius a envoyé des mémos contenant des propositions et des commentaires dans le cadre de la préparation de ce projet de loi. Nous pensions que tout cela déboucherait sur des réunions formelles quand le texte serait prêt. Cela n’a pas eu lieu.

Mais quand le texte a été adopté par le Conseil des ministres, les commentaires de Business Mauritius ont été pris en compte, au point de provoquer une révision du texte avant sa présentation au gouvernement et même un renvoi de cette présentation…

— Le gouvernement a été sensible quant à la pertinence des points que nous avons avancés. Il est rassurant d’avoir entendu le ministre dire au Parlement, vendredi après-midi, que des retouches y seraient faites et des explications données lors de l’examen en comité du texte de loi. Il y a, effectivement, dans le texte du projet de loi, des incohérences que d’autres parlementaires ont notées et qui méritent des explications ou des éclaircissements. Il faudra donc travailler sur le texte avant qu’il ne devienne le cadre directeur qui va réglementer les relations de travail à Maurice.

D’après ce que j’ai lu dans la presse, Business Mauritius a deux principaux griefs contre les propositions de ce projet de loi : la nouvelle manière de calculer les heures supplémentaires et les contrats à durée déterminée. Quels sont ses arguments ?

— La question pour nous était : ces lois vont-elles dans le sens de la modernisation de l’économie ? Il faut reconnaître que la nature du travail a changé à Maurice : nous ne travaillons plus toute notre vie pour un seul employeur ; nous pouvons en avoir plusieurs, des horaires différents et parfois décalés, et plusieurs systèmes de rémunérations dépendant de la spécificité de l’emploi. Or, sur la question du temps de travail, le texte de loi propose une mesure unique alors qu’il existe plusieurs régimes fonctionnant sur des règlements différents adaptés à des besoins spécifiques. Le ministre a fini par prendre en compte notre argument en disant que les secteurs ayant des régimes spéciaux continueront à fonctionner comme avant avec un amendement. Il y avait également le shift work avec un nouveau régime qui ne respectait plus les spécificités des secteurs. Nous avons trouvé la nouvelle proposition contraignante et avons demandé de faire en sorte que la nouvelle mesure n’ait pas trop de coûts additionnels que les employeurs ne pourront pas supporter financièrement.

Excusez-moi, mais est-ce que tous ces révisions et ajustements n’auraient pas dû avoir été apportés pendant la préparation et la rédaction du texte de loi, pas à la veille de sa présentation au Parlement ?

— Nous avons régulièrement soumis nos remarques et nos suggestions par écrit sur le sujet depuis 2015. Un comité technique a été mis en place par le gouvernement pour revoir ces points, mais nous n’en avons pas fait partie. Parlons du contrat à durée déterminée (CDD), qui fait partie des nouvelles manières de travailler. Dans le domaine des services, nous travaillons souvent avec un client étranger, parfois pour une durée spécifique. Le texte de loi semble vouloir interdire le CDD, ce qui ne correspond pas aux nouvelles manières de travailler.

 Il ne faudrait pas oublier que dans un passé pas trop éloigné, surtout dans le secteur textile, les employeurs utilisait le CDD pour renvoyer les employés le onzième mois et demi avant de les réemployer quelques jours après, en les payant comme des éternels temporaires. C’était un abus flagrant des lois du Travail que les syndicats dénoncent depuis des années.

— S’il y a des employeurs qui ont recours à des CDD pour faire ce que vous dites, nous, au Business Mauritius, nous dénonçons cette pratique. Par contre, aujourd’hui on met en vigueur des législations pour combattre ces abus comme la Portable Pension. Il faut combattre ces abus, mais pas au point d’interdire ou de rendre difficile le CDD, car certains secteurs du monde du Travail seront pénalisés et devront se réorganiser. Prenons le segment Call Centre/BPO, dont les clients proposent des contrats de travail pour des durées déterminées. Si la loi ne permet pas d’employer des Mauriciens pour ce type de CDD, ils iront voir ailleurs et je peux vous dire que la concurrence est féroce dans ce domaine. Il faut comprendre que de plus en plus l’économie mauricienne est assujettie à des pressions extérieures. Dans le secteur des services, les entreprises mauriciennes travaillent avec des clients étrangers et pour ce faire, nous devons avoir une main-d’œuvre flexible et tout l’encadrement légal nécessaire. Le but du gouvernement de protéger les travailleurs est juste, mais il faut savoir faire la balance entre leur protection et la flexibilité nécessaire pour que les entreprises puissent continuer à fonctionner.

Si j’ai bien compris votre propos, Business Mauritius n’est pas contre le principe du Workers Rights Bill, mais se pose des questions sur son application dans certains secteurs à Maurice. Alors pourquoi cette levée de boucliers, ces grands exercices de communications, ces phrases qui font peur comme « c’est une loi qui est susceptible d’avoir des conséquences indésirables sur la productivité, l’attractivité et la compétitivité du pays » ?

— Vous parlez surtout des témoignages de chefs d’entreprise parlant en leur nom. Ce sont eux qui sont derrière leurs fourneaux pour gérer leurs entreprises et qui savent qu’ils auront, à la fin du mois, à payer leurs salaires à leurs employés et à négocier avec la banque pour payer leurs créanciers. Les chefs d’entreprise dont vous avez lu les témoignages sont les mieux placés pour expliquer leurs difficultés et les craintes qu’ils peuvent avoir par rapport à la proposition de loi. Il faut aussi dire que le marché du travail représente 450 000 hommes et femmes dans le secteur privé et 80 000 dans le secteur public. Dans l’ensemble, ces employés vivent bien, ont droit à des augmentations salariales, parfois supérieures au taux légal, et évoluent bien au sein des entreprises. Venir dire que le projet de loi va apporter une amélioration drastique des conditions d’emploi à Maurice n’est pas rendre justice à toutes ces entreprises qui payent les congés maladie et le boni de fin d’année, remboursent les congés non pris et offrent un cadre de travail correct à leurs employés. Tout ce que Business Mauritius demande, c’est que toutes les possibilités et conséquences, aussi bien positives que négatives, soient prises en considération dans tout projet de loi destiné à remettre en question la législation sur le travail. Il faut évaluer le coût de la mise en place des nouvelles mesures. Je le redis, Business Mauritius n’est pas contre l’amélioration des conditions des employés, au contraire, puisque, d’une certaine manière, cela va bénéficier à l’entreprise. Mais il faut veiller à ce que cela soit fait dans les limites de ce que peut supporter l’entreprise et le pays sur le plan économique et surtout que tout cela soit fait dans le dialogue et le consensus.

Business Mauritius a été rassuré par la présentation du projet de loi par le ministre du Travail au Parlement vendredi ?

— Nous avons noté que le ministre a déclaré qu’il viendra éclaircir certains points du texte lors de l’examen en comité du projet de loi. Il a dit en substance qu’il donnera des explications sur les appréhensions, c’est ce que nous accueillons favorablement. Je note aussi que beaucoup de parlementaires ont soutenu les points que nous avons soulevés et évoqué d’autres. Dans l’ensemble — comme nous —, ils sont d’accord avec la philosophie du projet de loi, mais soulignent — également comme nous — la balance qui doit exister entre augmenter la protection de l’employé et la flexibilité à accorder aux entreprises pour qu’elles puissent continuer à fonctionner et à produire de la croissance. Nous attendons la conclusion du ministre et les amendements qui seront apportés au texte de loi, et j’espère que Business Mauritius aura l’occasion de contribuer à la concrétisation de la nouvelle législation.

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