La pauvreté pousse les habitants du nord du Nigeria vers la mégalopole du Sud

Mustapha Abdullahi avait à peine douze ans lorsqu’il a quitté le nord du Nigeria « pour trouver de l’argent » dans la grande mégalopole et capitale économique du Nigeria, Lagos, à plus de 1.000 kilomètres de chez lui.

- Publicité -

Il a aujourd’hui 40 ans, une femme et trois enfants, et jusqu’au début du mois de février, il sillonnait encore les rues de la tentaculaire Lagos avec son okada, taxi-moto, et envoyait une partie de son maigre salaire à sa famille restée dans le Nord.

« Mais à cause de l’interdiction de conduire les okadas, j’ai dû partir vers Agege (dans la banlieue éloignée de Lagos) », regrette-t-il.

Les autorités de l’Etat de Lagos ont récemment interdit du jour au lendemain les centaines de milliers de taxi-motos et « kekes » (tricyles à moteur), emplois presque exclusivement pratiqués par des Haoussas-Fulanis, les groupes ethniques originaires du Nord.

La raison officielle invoquée était de « garantir la sécurité des Lagossiens » et le respect du code de la route.

Mais beaucoup d’hommes politiques locaux ont fait savoir, sur Twitter ou dans les journaux, que cette interdiction permettrait aussi de stopper la migration « massive » de migrants du nord du pays vers le sud, plus riche et plus dynamique économiquement.

Selon un récent rapport de la Banque mondiale, sur 190 millions d’habitants, le Nigeria en compte 87 millions sous le seuil de l’extrême pauvreté, dont l’immense majorité (près de 90%) vivent dans le nord du pays.

« Aucun leader dans le nord du  Nigeria ne peut s’estimer heureux. Personne ne peut se réjouir d’avoir 87% de la pauvreté du pays dans le Nord et des millions et des millions d’enfants qui ne vont pas à l’école », a déclaré l’émir de Kano, Muhammad Sanusi II, l’une des plus grandes figures traditionnelles du pays.

– « Manchester » nigérian –

La division culturelle et économique entre le Nord musulman et le Sud chrétien du géant de l’Afrique de l’Ouest est héritée de l’époque coloniale, lorsque la Couronne britannique a unifié deux territoires radicalement opposés, en 1914 pour constituer le « Nigeria ».

La principale richesse du pays, le pétrole, se situe au large du Sud côtier, laissant au Nord l’élevage, la route commerciale sahélienne et l’industrialisation.

Dans les années 1980, la cité millénaire de Kano était surnommée la « Manchester du Nigeria », avec plus de 500 usines textiles ou d’assemblage de voitures.

Mais aujourd’hui, bien que les dirigeants du pays aient été historiquement plus souvent originaires du Nord, la pression démographique dans un Nord où est pratiquée la polygamie et au taux de natalité très élevé, le manque d’éducation, les conflits et les effets du changement climatique sur les cultures ont entraîné cette région dans la spirale du sous-développement.

« Le Nord est très en-dessous dans tous les classements de développement humain par rapport au sud », indique la Banque mondiale.

Le président Muhammadu Buhari, fils de l’Etat nordiste de Katsina, avait promis de mettre fin au conflit de Boko Haram.

Mais cinq ans après son arrivée au pouvoir, près de deux millions de déplacés ne peuvent toujours pas regagner leur foyer et l’insécurité grandissante (conflit entre éleveurs et agriculteurs, ou l’émergence de bandes armées qui terrorisent les populations), ont provoqué le déplacement de millions d’autres personnes.

D’autre part, le secteur industriel s’est totalement effondré à cause du manque d’énergie, laissant des centaines de milliers de personnes sans emploi.

– Débrouille –

Il n’existe aucune donnée récente sur les migrations internes au Nigeria, mais la Commission nationale de la Population (NPC), dans une étude de 2010 indique que 23% de la population nigériane est « migrante » et que plus de 40% de la population de l’Etat de Lagos est originaire d’un autre Etat.

Des tendances sans aucun doute amplifiées par la récession économique de 2016-2017 et le ralentissement économique du Nigeria ces dernières années.

« Tous les Etats à grande attractivité migratoire se situent dans la partie Sud du pays, à l’exception de Kwara et Kogi, dans le centre-Nord », note l’Organisation internationale des migrations (OIM).

« Et 60% des migrants internes se situent dans les zones urbaines », avec des « conséquences évidentes, socio-économiques et sur les infrastructures », selon l’OIM.

La mégapole de Lagos a l’une des pressions démographiques les plus fortes au monde, et bien que les chiffres soient invérifiables, sa population aurait doublé en 10 ans, passant de 10 à 20 millions d’habitants, selon World Population Review.

Awwalu Usman, cordonnier de 32 ans, passe la moitié de l’année à Lagos. Il aide aux cultures dans sa ferme à Kano et « part juste après les récoltes ».

« On va à Lagos parce qu’il y a beaucoup plus d’opportunités économiques », explique-t-il à l’AFP. Grâce aux chaussures qu’il fabrique et qu’il y vend, il a pu faire construire une maison à sa famille.

« Il n’y a pas de travail ici. Ce n’est pas parce qu’il y a une interdiction de conduire les taxi-motos que les nordistes vont rentrer », conclut le cordonnier.

joa-abu/del/spb/sst/sba

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -