La politique en 2018 : une succession de sorties de route

La plus retentissante aura été celle de la présidente de la République Ameenah Gurib-Fakim qui aimait tout mélanger, les cartes bancaires et même les pouvoirs d’institution de commission d’enquête

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Exit forcé aussi pour les députés Sanjeev Teeluckdharry, Roubina Jadoo-Jaunbocus et le candidat battu du MSM, Raouf Gulbul, blâmés dans le rapport de la Commission d’enquête sur la drogue

Une succession de sorties de route pour la machine gouvernementale. C’est ainsi que l’on pourrait résumer la politique en 2018, tant les démissions spectaculaires ou forcées ont dominé les événements. La plus retentissante aura été incontestablement celle de la présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, effective à compter du 23 mars à la suite d’une série de mélanges et de confusions autour de cartes bancaires personnelles et de sociétés, et même sur les pouvoirs d’institution d’une commission d’enquête. Celle qui était apparentée Muvman Liberater et qui avait été vendue comme un appât communal, “une candidate de la communauté musulmane à la présidence de la République”, lors de la campagne électorale de 2014, sera installée de manière précipitée à la tête de l’état une semaine avant les municipales du 14 juin 2015, alors que le gouvernement MSM/PMSD/ML était au coeur de la tourmente British American Investment (BAI).

Des échos des extravagances de la présidente de la République s’étaient fait entendre quelques mois seulement après son installation à la State House. Elle va une première fois se signaler en mars 2016 lorsqu’il sera révélé à l’Assemblée nationale que la présidence avait grevé le budget voyages et qu’il fallait des dotations supplémentaires pour couvrir l’étendue de ses escapades.

Les allusions médiatiques à son train de vie de château n’avaient guère dérangé l’occupante du poste de chef de l’Etat et cela même après que Week-End avait révélé, en février 2017, que son proche ami Alvaro Sobrinho avait été le tout premier et heureux bénéficiaire d’une Investment Banking Licence, en novembre 2016, un tout nouveau produit introduit par Pravind Jugnauth dans le budget qu’il avait présenté quelques mois plus tôt.

Ce nouvel instrument visait à contourner les réticences de la Banque centrale, alors sous la houlette de Ramesh Basant Roi, à délivrer une licence bancaire à quelqu’un dont la réputation n’était pas très nette, ni en Angola, son pays d’origine, ni au Portugal, où il était accusé d’avoir siphonné pas moins de 500 millions de dollars (Rs 18 milliards) de la Banco Espirito Santo.

C’est la photo d’Ameenah Gurib-Fakim en compagnie d’Alvaro Sobrinho, son partenaire au sein d’une ONG connue comme Planet Earth Institute publiée avec cet article qui va déclencher la spirale des révélations sur les libertés que prend la présidente avec l’argent public et celui de PEI.

Destinations insoupçonnées
La pression populaire devint telle, au début de l’année 2018, qu’elle est contrainte à une explication sur l’utilisation de la carte de Planet Earth Institute à des fins personnelles comme les Rs 2,2 millions dépensées en sacs à main, chaussures et bijoux, à la boutique hors-taxe de Dubaï, à Shiv Jewels, mais aussi dans des destinations insoupçonnées à travers le monde comme Washington, Miami, Budapest, Zurich, Davos, Canterbury, Londres et Lucknow.

Elle aurait utilisé ses cartes par “inadvertance”, explique-t-elle, plutôt tardivement dans un communiqué qui ne convainc personne. Le Bureau du Premier ministre, mis en présence du dossier, tente une négociation à l’amiable pour la pousser à la sortie. Ameenah Gurib-Fakim organise alors une farouche résistance avec la complicité d’une partie de l’opposition.

Des avocats juniors proches de la mouvance travailliste et du PMSD lui conseillent de renverser la table et d’instituer, elle-même, une commission d’enquête. Le jour du Conseil des ministres du 16 mars, qui décide de sa destitution, la présidente émet un communiqué annonçant qu’elle avait institué une commission d’enquête sur l’affaire Sobrinho présidée par Sir Hamid Moollan, Q.C.

Ce énième développement braque tant ses amis politiques que son conseil légal d’expérience, Yousouf Mohamed. Au lieu d’une destitution que déciderait probablement un tribunal, comme le prévoit la Constitution, ce qui équivaudrait à tout perdre, il est conseillé à madame la présidente de se démettre et de conserver ainsi ses privilèges, bureau, d voiture, secrétariat et pension. Le 17 mars, elle annonce son retrait pour le 23 mars à midi.

Une commission d’enquête, dans les normes légales cette fois, mise sur pied sous la présidence du juge Asraf Caunhye avec pour assesseurs Nirmala Devat et Gaytree Manna, a démarré ses travaux depuis août 2018 et devrait les boucler au début de 2019, mais cela n’a pas empêché l’ex-présidente de continuer son activité de globe-trotter. Elle a ainsi raté pas mal d’auditions de la commission parce qu’elle se trouvait hors du pays et elle a même trouvé le temps de parodier Edith Piaf en affirmant : “Je ne regrette rien.” Le culot ne tue visiblement pas !

C’est de nouveau une commission qui va secouer une autre vénérable institution, l’Assemblée nationale. Lorsque le rapport sur le trafic de drogue rédigé par Paul Lam Shang Leen, Sam Lauthan et Ravin Doomun est publié, ce qui était déjà connu va être confirmé: oui, il y a bel et bien eu des visites multiples, fréquentes et non sollicitées d’avocats à des prisonniers condamnés pour trafic de drogue.

Parmi ceux-là, le Speaker adjoint Sanjeev Teeluckdharry, la ministre de l’Egalité des Genres, Roubina Jadoo-Jaunbocus, et le président de la Gambling Regulatroy Authority, avocat du Premier ministre Pravind Jugnauth et candidat battu du MSM au No 3 aux dernières élections générales, Raouf Gulbul. Lui avait déjà démissionné de la GRA en novembre 2017 après son passage mouvementé devant la commission d’enquête Lam Shang Leen.

Le 27 juillet 2018, date à la laquelle le rapport de la commission est rendu public, le Deputy Speaker Teeluckdharry ainsi que la ministre Jadoo-Jaunbocus sont contraints de débarrasser le plancher tout en annonçant une révision judiciaire des conclusions du rapport. Le Speaker adjoint, éjecté, se lance, pour sa part, dans une campagne personnelle et frontale contre Paul Lam Shang Leen visant à discréditer ce dernier, mais il ne réussira pas à convaincre l’opinion.

Auto-exclusion
Pas mal de sorties de route aussi pour les partis, dont le MMM, d’où se sont auto-exclus Steve Obeegadoo, Pradeep Jeeha, des candidats malheureux aux dernières élections générales, et Françoise Labelle, pressentie comme Speaker, lors de la dernière campagne électorale de l’alliance PTr/MMM. Ils étaient contre la ligne du MMM et contre des élections en interne pour renouveler les instances dirigeantes. Ils ont constitué une “plate-forme pour un nouveau MMM”. Steve Obeegadoo se manifeste de temps en temps, tandis que Pradeep Jeeha a subitement découvert les grandes misères des petits planteurs dont il est devenu le porte-parole. Les avait précédés, l’ancienne Lord-Maire Dorine Chukowry, qui n’a pas fait mystère de son penchant pour le Sun Trust et de ses conversations avec le Premier ministre et leader du MSM, Pravind Jugnauth. Plus récemment, en septembre dernier, pour des raisons qui ne sont pas très claires jusqu’ici, il y a aussi eu la démission du MMM de la députée Danielle Selvon, laquelle est retournée siéger en “indépendante”.

Aux démissionnaires les dirigeants du MMM vont probablement opposer la qualité de ses nouveaux arrivants, dont de nombreuses femmes, de tête avec ça, comme Daniella Bastien, Karen Yvon, Jasmine Toulouse ou encore des pointures connues comme Megh Pillay, le directeur débarqué d’Air Mauritius, d’Ashok Aubeeluck, l’ancien directeur du budget et l’ancien MSM passé au PTr Purmessur Ramoll.

On parle aussi de possible engagement du bouillant artiste Maista, l’interprète de l’indémodable “Voler”. Son arrivée semble déranger quelques petits plans sectaires et personnels de soi-disant jeunes qui n’ont finalement rien à envier aux vieux dinosaures coincés dans leurs vieux schémas et leurs obscures mathématiques.

Le PTr n’a pas été en reste, puisque deux personnalités en vue lui ont préféré le MSM contre promesse d’investiture aux prochaines élections. Il y a eu tout d’abord l’ancien député du No 9, Flacq/Bon Accueil, le Dr Rajendra Mungur, qui a dénoncé le fait que les rouges gardent à leur tête un leader qui a un coffre bourré d’argent. Tandis que lui se présente en défenseur de la moralité publique.

Il y a, ensuite, eu Vikram Hurdoyal, l’actuel président du conseil de district de Flacq qui avait créé la surprise en remportant plus de 9,975 voix au No 10 en tant que candidat indépendant aux élections générales de décembre 2014. Las d’attendre la confirmation officielle d’une investiture de la part de Navin Ramgoolam, il a préféré regarder du coté de Pravind Jugnauth.

La récolte du retournement
L’annonce de son adhésion a fait suite à ses déboires auprès d’Air Mauritius. L’exportateur de fruits et légumes avait vu ses produits refusés à l’embarquement par le transporteur national, ce qui lui avait causé quelques préjudices financiers. Il n’en fallait pas plus pour que certains parlent de “la récolte du retournement”.
Dernier volet des sorties de route, plus folklorique celui-là, avec les “démissions en bloc” du MMM, comme au No 11, largement médiatisés, comme si c’était le retrait de James Mattis de l’entourage de Donald Trump.

Ces démissionnaires ont fini par avouer qu’ils ont été pêchés ou repêchés par le MSM de Pravind Jugnauth et ses collègues de la circonscription que sont Mahen Seeruttun, Sandhya Boygah et Prem Koonjoo qui a dû penser avoir trouvé la baleine qui lui manquait.
Dans le même registre, une nouvelle vague de démissions au Mouvement patriotique après celle, dans un premier temps, de Joe Lesjongard, Raffick Sorefan, Kavi Ramano et Lysie Ribot, puis de celles, tout aussi acrimonieuses, de Karuna Banymandhub et Saloni Bungsraz.

C’était en pleine campagne électorale pour la partielle du No 18, où le MP avait aligné son incontournable mascotte Tania Diolle, accusée d’avoir été présentée en sous-main pour faciliter l’élection du travailliste Arvin Boolell contre promesse d’être pris “on board” par Navin Ramgoolam.

Les toutes dernières démissions au MP sont celles d’Ashley Khemraj, de Nalini Dorsamy, de Satyam Jaddoo et de Raj Bissessur. Tous ont été accusés “avoir succombé à la tentation du pouvoir”. Un genre de batté randé qui doit faire grincer quelques dents au sein du groupuscule qui se voit déjà dans le prochain gouvernement, quel qu’il soit. C’est apparemment ce qu’on appelle “faire la politique autrement”.

Reste maintenant à savoir si tous ceux mentionnés plus haut, ces agités, ces girouettes, ne connaîtront pas des sorties de route électorales pour finir dans le “karo kann”, les consultations populaires réservant parfois des surprises inattendues. Souvenons-nous de 2014 et des alliances imbattables qui ont été littéralement terrassées…

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