La Pologne, « désert d’Europe »

Deux cannes à pêche plantées au bord de la Vistule, Tadeusz Norberciak, 85 ans, scrute avec préoccupation le niveau extrêmement bas du fleuve qui traverse la capitale polonaise, signe non seulement de sécheresse mais également d’une véritable pénurie d’eau qui menace la Pologne.

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« Je ne me rappelle pas d’eau aussi basse que ce que l’on a depuis quelques années. C’est une tragédie », s’émeut ce retraité, gilet de pêcheur traditionnel et casquette pour s’abriter du soleil qui tape fort.

« Plus loin vers le nord, c’est encore pire, la Vistule ressemble à des flaques d’eau », dit-il à l’AFP.

A son image, des centaines de rivières en Pologne se réduisent à des ruisseaux, des lacs disparaissent.

« Statistiquement, un Polonais dispose de 1.600 m3 d’eau par an, soit trois fois moins que la moyenne dans l’Union européenne. Nos ressources sont comparables à celles de l’Egypte », a alerté en juin la Cour des comptes polonaise (NIK), qui a intitulé son rapport « Pologne, désert d’Europe ».

La moyenne européenne est de 4.500 m3 par an et par habitant. Le record est détenu par la Croatie, avec 27.330 m3, selon l’Eurostat. La République tchèque affiche un niveau comparable à celui de la Pologne. Chypre et Malte ferment la marche, ce dernier pays ne disposant que de 220 m3 par habitant.

Contrairement aux idées reçues, située à la rencontre des zones climatiques océanique et continentale, la Pologne n’a jamais eu beaucoup d’eau. Elle reçoit moins de pluies que les pays plus à l’Ouest, alors que l’évaporation y reste comparable.

Avec les changements climatiques, des sécheresses de plus en plus fréquentes et des pluies violentes et très brèves, la situation est devenue alarmante.

– Steppe –

Toute une bande de terre traversant le pays d’ouest en est se transforme lentement en steppe. Et, si la sécheresse provoque de grosses pertes pour l’agriculture, la nature, les forêts, la faune sont également frappées.

« En 2018, une année très très sèche, le niveau d’eau est tombé à 1.100 m3 par habitant, presque en dessous du seuil de sécurité », déclare à l’AFP Sergiusz Kiergiel, porte-parole de Wody polskie (Eaux polonaises), l’institution d’Etat chargée de mettre en place une politique globale de l’eau.

Cette année, la situation risque de se répéter.

Début juin, la ville de Skierniewice à 80 kilomètres de Varsovie a dû couper l’eau dans certains quartiers. Pendant quelques jours, elle n’a coulé dans les maisons qu’au rez-de-chaussée. Les habitants des étages supérieurs pouvaient se procurer des sacs de dix litres d’eau fournis par la municipalité.

Le Service hydrologique polonais a déclenché en juillet une alerte. Dans 12 voïvodies sur 16 le niveau des eaux souterraines risque d’être insuffisant cet été. En clair, dans les 2/3 du pays, l’eau peut manquer dans les puits les moins profonds.

Plus de 320 municipalités ont d’ores et déjà imposé des économies d’eau, certaines ont interdit de remplir les piscines, d’arroser des jardins ou de laver les voitures sous peine de lourdes amendes.

– Conflits sociaux –

Des communes privées d’eau sont obligées d’en acheter à leurs voisins, provoquant des conflits sociaux comme à Sulmierzyce (centre) qui accuse une mine de lignite d’abaisser le niveau des nappes phréatiques, ou à Podkowa Lesna, près de Varsovie, où les habitants s’en prennent à leurs voisins qui arrosent abondamment leurs jardins.

« Certaines région du pays connaissent déjà la sécheresse hydrogéologique – lorsque l’eau ne pénètre pas dans les couches profondes du sol et n’est pas filtrée dans les sources », explique M. Kiergiel.

« Je ne me rappelle plus un véritable hiver avec de la neige qui reste longtemps et fond lentement pour pénétrer dans le sol », se lamente encore Tadeusz Norberciak.

Aujourd’hui, le niveau d’eau dans la Vistule à Varsovie est d’environ 40 centimètres. En mai, au moment de grosses précipitations, il était de 6 mètres.

« L’eau s’est enfuie. Elle est dans la Baltique. Le bilan est le même, mais cette eau ne nous donne rien. L’eau ne profite pas à l’homme, à l’agriculture », confirme M. Kiergiel.

La rétention reste, en effet, le plus gros problème auquel la Pologne doit faire face dans les années à venir.

Faute d’un nombre de réservoirs suffisant, le pays ne retient que 6,5% de l’eau qui passe par son territoire, alors que l’Espagne réussit à en retenir 49%.

Pour parer à l’urgence, le gouvernement compte construire d’ici 2027 une trentaine de réservoirs de rétention, pour doubler le volume d’eau stocké actuellement. Un investissement de 14 milliards de zlotys (3,28 mds EUR). En plus, les agriculteurs pourront construire de petits réservoirs jusqu’à 1.000 m3 sans autorisation spéciale.

« Ce n’est que maintenant que l’on découvre en Pologne des problèmes avec l’eau. (…) On pensait jusqu’à présent que ce problème ne touchait que l’Afrique subsaharienne, que ce n’était pas un problème européen, polonais », explique M. Leszek Pazderski, un expert de Greenpeace.

bo/via/am

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