La question à ne pas poser

Il faut saluer la future accession de Madame Gurib-Fakim au poste de Présidente de la République. Elle est une grande chercheuse et il est indéniable qu’elle dispose de tous les talents, aussi bien humains qu’intellectuels, pour rayonner tant au plan national qu’international. Elle servira, par ailleurs, de modèle aux mauriciennes en leur démontrant qu’elles peuvent s’affranchir des limites, souvent imposées par les hommes, pour participer pleinement à la vie de la Cité et ce au plus haut niveau.
Mais faut-il pour autant taire notre scepticisme par rapport à certains aspects de sa nomination ? Il nous est difficile de croire en la bonne foi des politiciens. On sait ce qu’ils valent, ce dont ils sont capables. Et on pourrait se demander, en toute légitimité, si cette nomination n’est pas avant tout et surtout une stratégie politique. Ainsi il s’agit de plaire à l’électorat féminin et à celui d’une communauté. La brusque démission de Kailash Purryag à quelques semaines des élections municipales démontre que cette décision a des visées électoralistes. On sait fort bien, par ailleurs, que le Président a une fonction d’abord symbolique. En nommant Madame Gurib Fakim on fait d’une pierre deux coups, on procède à une vaste entreprise de séduction tout en ne prenant aucun risque car le Président ne dispose d’aucun pouvoir effectif.
 Mais plus encore, nous estimons qu’il est temps d’ouvrir le débat sur le rapport des intellectuels avec le pouvoir. On sait la fascination qu’exerce le pouvoir sur nombreux de nos concitoyens. Et il nous semble qu’aujourd’hui la seule manière d’être face au pouvoir, aux dominants est la résistance. Et l’intellectuel, de par sa formation, son positionnement social devrait être à l’avant-garde de cette résistance. Les intellectuels qui aujourd’hui font le jeu des politiques participent à la perpétuation de l’oppression. Ils se font les complices d’un système qui sert les intérêts de pouvoiristes et de nantis. L’innocence n’est pas de ce monde. Quelle est donc la fonction de l’intellectuel ? Est-il un instrument du politique ou l’instrument qui interroge et subvertit le politique ? Il n’est pas donné à tout le monde d’être Chomsky. Voilà un immense penseur qui a choisi la voie de la marginalité et de la dissidence. En ce faisant il devient l’intellectuel total, qui dispose d’un savoir dans un domaine précis, la linguistique dans ce cas précis, mais qui est aussi engagé politiquement. Peut-on en dire autant des intellectuels mauriciens ? On entend, par exemple, rarement nos universitaires sur les questions de société. Et il demeure une question fondamentale, la question à ne pas poser, sans doute, dans les circonstances : est-ce que l’intellectuel trahit sa vocation quand il se met au service du pouvoir, quand il en est le valet ?
Profitons de cet événement pour ouvrir le débat.

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