La résilience ou l’espérance relookée ?

Cédric Lecordier, jésuite.
St Denis, France.
Étudiant en philosophie et en théologie à Paris

L’espérance est peut-être un autre mot pour confiance : confiance que tout est encore possible, toujours, confiance que les jours meilleurs sont devant nous, même s’ils semblent loin. Mais aujourd’hui, on préfère parler de résilience.
Ré-si-li-en-ce, ça sonne technique, scientifique. Populaire, elle veut relooker sa grande sœur espérance (ne serait-elle pas un peu nian-nian ?). Efficace, sérieuse, accessible, elle se prête à toutes les analyses. Passe-partout : on ne l’interroge pas, tellement elle paraît claire !
‒ Résilience ?
‒ Mais, oui bien sûr, ce sont les « capacités d’adaptation », ces « ressources » qui nous permettent de toujours « rebondir », d’être forts ! De transformer les « challenges » en « opportunités », de la « créativité » en temps de « chaos ».
Adaptation, ressources, rebond… On dirait presque un « business plan »…

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Business as usual ?

Pour les privilégiés, la résilience en temps de Corona, ce sera : sécurité matérielle d’abord, puis livres, films, musiques, réseaux sociaux, bref, la somme de divertissement qui permet de rester dynamique… en attendant un retour à la normale.

Sur le plan collectif, ensuite, la « résilience économique » est au cœur du grand discours « motivationnel » de la Nation. Face à l’adversité, malgré la tempête et les vagues, la petite barque Maurice garde le cap. Ansam dan mem bato. Nos capitaines ont de la ressource, ce génie local qui permet de naviguer en eaux troubles, de se mesurer aux plus gros poissons.

Pez nene bwar delwil. Bientôt, on pourra recommencer à travailler à nos rêves : une high-income economy, la conversion des terres agricoles en IRS, le real estate, l’éducation pour les niche markets, les Centres commerciaux, l’offshore… Oui, un jour, nous serons Singapour !
Cette résilience ressemble à l’espoir. Celui qui fait vivre les imbéciles.

Aveu de faiblesse

La résilience est dopée aux amphétamines. Elle est testostéronée. Ce n’est pas la première fois que le management et le développement personnel nous travestissent des concepts en slogans, en lieux communs, bref en banalités creuses.
Le psychiatre Boris Cyrulnik, grand vulgarisateur de la « résilience » dans le monde francophone, regrette la récupération du terme dans un discours de vainqueur. Parler de « résilience » comme d’une aptitude relève de l’abus de langage.

Être résilient, ce n’est pas surmonter le petit inconfort, le petit stress ; ce n’est pas négocier un deal. Lionel Messi n’est pas résilient lorsqu’il résiste à une charge de Virgil Van Dijk ; le marathonien n’est pas résilient lorsqu’il va au bout des 42,195 kilomètres qu’il s’est lui-même infligés.

Il y a une différence entre dépasser une difficulté et apprendre à vivre avec le « trauma » :  du type qui laisse un trou béant au ventre, qui déchire la personne de bout en bout, qui abime l’enfance, qui brise l’adulte dans les camps de concentration…
La vraie résilience désigne en bref « tout ce qui ne nous tue pas » : résister, surnager, ce sera accepter un verdict, un diagnostic, ce sera assumer que l’on devra marcher toute sa vie avec un caillou dans la chaussure, ce sera comprendre que l’on ne pourra pas tout résoudre.

Nuance : il ne s’agit pas encore de « vie qui vainc la mort », mais plutôt du minuscule quelque chose, la force la plus faible, ce qui fait que, malgré tout, l’on choisit de « ne pas mourir ». Il faut tenir, tout simplement.

Changer de rêve

On n’est jamais à la place des autres. Mais ce « confinement » comme « moment de résilience » permet au moins d’imaginer, rien qu’un peu, le quotidien des traumatisés du système, de ceux qui, justement, ne parlent jamais de « résilience », mais préfèrent le kreol : « toulezour bizin trase », « roule mem sa », « rod enn lavi ». Aujourd’hui, on est mieux disposé à s’imaginer ces vies en balance ; c’est cette empathie qui déclenche dans notre île la vague de solidarité. Ansam dan mem bato.

Nos yeux s’ouvrent sur ce que peut être la « résilience collective » : économique et sociale. Une résilience comme réveil brutal, appel à interroger cette réalité où la distance sociale ‒ inégalités, ostentation, ghettoïsation ‒ précède toutes les mesures de distanciation sociale liées au virus.

N’est-il pas temps de changer de rêve ? N’est-il pas temps d’être pessimistes ?… à l’égard des cosmétiques de l’espoir : formules magiques, bonheur helicopter money, bulles immobilières censées faire « décoller » les affaires ?
Quel optimisme, quelle espérance ? Plus que l’espoir, la résilience est espérance quand elle regarde le présent droit dans les yeux. Elle n’a pas peur de pleurer, crier, donner des coups-de-poing dans l’air. Elle finit par s’asseoir pour parler. Elle ne recule pas devant la thérapie.

L’espérance est l’expertise des plus pauvres. À leur exemple, « demain » se trace au courage.

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