LA ROUTE MEURTIÈRE : Le cauchemar de Beaux-Songes

Peu avant 5h du matin, lundi, la Beaux-Songes Link Road a connu un horrible accident de la route, le 135e de l’année. Horrible de par le lourd bilan, soit six victimes, âgées de 17 à 25 ans. Horrible de par la gravité des blessures essuyées par les victimes au point où l’exercice d’identification des dépouilles à la morgue de l’hôpital Jeetoo était quasi impossible. Horrible mais aussi dramatique pour les proches des victimes que ce soit chez les Ramchurn à la route Nicholson à Vacoas, chez les Chavrimootoo et Bozelle à Résidence Kennedy, ou encore chez les Charlot et Ramchurn à Henrietta. Depuis ce lundi, chacune de ces familles vit un véritable cauchemar.
Il y a aussi les premiers témoins sur les lieux de l’accident. Ce jeune couple de Quatre-Bornes, dont la voiture avait été doublée par le bus de la Corporation Nationale de Transport (CNT), immatriculé 3408 JU 11, à une cinquantaine de mètres du lieu d’impact. La femme, qui attend un enfant, est encore traumatisée par ce bruit assourdissant de ferraille froissée et la scène d’horreur sur ce tronçon de la Beau-Songes Link Road avec une Mitsubishi, portant le matricule 1973 AP 07, complètement éventrée sous la violence de choc frontal et cinq des six victimes tuées sur le coup.
Chez les Ramchurn à la route Nicholson à Vacoas, on n’arrive pas à accepter ce drame, qui a emporté  deux membres de la famille, soit Navnish, 18 ans, et son cousin, Parvesh, 19 ans. Après avoir participé à la White Afternoon Party à Flic-en-Flac, tôt dimanche, ils avaient pris avantage d’un lift pour rentrer chez eux. Sauf que la mort était au rendez-vous sur la Beaux-Songes Link Road. Ils ne l’ont pas su et ne le sauront jamais.
Brinda Ramchurn, la mère de Navnish, revit les circonstances du dernier souffle de son fils sur une civière d’hôpital. Une image qui la hante. Dimanche dernier, deux de ses trois fils, soit Navnish et Rohan, 16 ans, étaient partis à Flic-en-Flac alors que le benjamin, Yadev, était resté à la maison avec de la fièvre.  En principe, les deux devaient rentrer à la maison avant minuit.
Cela ne devait pas être le cas. Car Brinda Ramchurn fut réveillée en sursaut à 4h58, lundi matin, par un sinistre coup de téléphone. Elle se rappelle ce détail précis car l’instant s’est avéré fatidique. Même si cet appel émanait d’un numéro inconnu, son instinct de mère pousse à décrocher. Elle reçoit une onde de choc. Elle entend la voix tremblante de son fils Rohan à l’autre bout.
“Ma, bhai inn fer enn accident bien grave. Nou la route Bassin lor simin Flic-en-Flac”, lâche Rohan, rescapé de ce terrible accident avec une fracture au bras et des blessures sau visage. À partir de là, la mère est dans tous ses états et dans son récit, les images défilent comme dans un film d’horreur même si en 2000, elle avait vécu une terrible expérience quand son jeune frère de 22 ans avait été tué dans un accident de la route à Beau-Bassin.
Le propriétaire du téléphone, qui avait permis à Rohan Ramchurn d’avertir ses parents du problème, préfère poursuivre la conversation avec la mère en lui demandant de se rendre immédiatement à l’hôpital Candos.
“Monn abriti net. Mo ale tap la port kot me belser pou dir li mo garson inn fer enn aksidan grav pou li apel enn fami pou gagne loto. Sa lerlà, mo cone mo neveu Parvish ti ale ek mo deux garsons sa fet là. À ça moman-la, mo pann pense li. Mo ti kroir linn fini retourner. Ler tarder pou gagne transport, mo galoupe kuma enn fol mo ale pren bis”, se souvient-elle.
Entre-temps, une fois dans le bus en direction de l’hôpital, Brinda Ramchurn parvint à reprendre contact au téléphone avec son fils Rohan. Les nouvelles ne sont guère rassurantes avec Rohan suppliant : “Ma, bhai dan extra douler. Dir banla ale rode Parvesh.” En voulant savoir où il fallait chercheer Parvesh, la mère de famille allait encaisser un autre choc. “Parvesh inn mort, ma. Linn mor.”
Et Brinda Ramchurn de poursuivre: “Mo kumans kriye ek dansé dan sa bis-là. Mo missie inn bizin bouss mo la bouss pou fer mwa rest trankil.” Elle n’avait qu’une chose en tête : être à l’hôpital au plus vite. Une fois aux urgences, elle se rappelle que Rohan s’est jeté dans ses bras, pleurant à chaudes larmes. Mais il n’y avait aucune trace de Navnish.
Ler 4×4 tape, Parvesh inn tombe premie
Angoissée, la mère va à la recherche de son fils. Ce qui allait suivre est une des scènes des plus poignantes pour une mère de famille. “Monn tann enn la vwa pe krye ek douler. Monn rekonet lavwa mo gran garson. Mo nek inn uver la port. Mo trouve so talons lipie blan. Dan lé momem, monn fini cone li pas pou sapé. Pena simin li retourné. Mo kriyé avek mo duler mama, mo lutter, mo garson nek lev la tet get mwa ek enn figir per ek li fini (mor) lamem. Li ti pe atan mwa vini…”, pleure Brinda en se remémorant les dernières images de son fils agonisant.
De son côté, le père, Rishi, abattu par le drame, sort de son mutisme pour reprendre le récit de cette matinée d’enfer. “Rohan dir nou ki linn truv li pe mor sa zur là. Linn senti li pe alé mais linn dir non, mo pas pou alé akoz mo mama. Linn relever lerla.”
Rohan leur a confié qu’il a voulu épargner son frère Navnish et mourir à sa place. Rishoi fait le récit de l’impact crucial : “Ler 4×4 tape, Parvesh inn tombe premie. So la servel inn eklate. Rohan inn pouss so frer pou ki li tom lor gazon mais linn tomb dan enn kanal. Lerla linn tomber li osi avan ki katriem passager dan caisson tomber li osi. So leta bien grave.”
La mère de famille n’arrive pas à comprendre comment ses enfants se sont retrouvés sur le caisson de cette Mitsubishi. Probablement, Navnish voulait rentrer vite pour aller reprendre son travail en attendant d’assumer un nouveau poste de steward dans le complexe Tamarina.
Fidou Ramchurn, 42 ans, mère de Parvish, fait preuve à plus de stoïcité face à l’épreuve. Dans un premier temps, elle avait tenté en vain d’entrer en contact au téléphone avec son fils. Mais elle a dû se rendre à l’évidence, une fois à l’hôpital Jeetoo, du coup de sort qui s’est abattu sur son fils. “Mo senti tou mo kouraz inn fini”, dit-elle, avec son regard perdu. Et d’ajouter : “Mo nepli kapav fer narnien. Ni manze, ni bwar, ni dormi.” Elle s’accroche à sa fille Kershna, 15 ans, et aux souvenirs laissés par son fils qui aimait la taquiner.
Presque en même temps, ce lundi matin, à Résidence Kennedy, Candos, une quinquagénaire employée de maison s’apprêtait, comme d’habitude, à se rendre à son travail. Rosemary Chavrimootoo avait entendu parler d’un accident de la route mais ne se doutait nullement que le conducteur au volant n’était nul autre que son fils Andy Chavrimootoo, âgé de 24 ans. Elle savait qu’il était parti à une fête à Flic-en-Flac.
La mère du jeune conducteur ne devait pas faire grand cas d’une remarque d’un passant à l’effet qu’Andy Chavrimootoo avait été victime d’un accident de la route. “L’un des passants disait à l’autre que l’une des victimes était un membre de ma famille. Lorsqu’ils se sont adressés à moi, je ne les ai pas crus”, raconte-telle encore sous l’effet du choc.
Finalement, Rosemary Chavrimootoo devait été avertie par un des amis de son fils : “Madam, mo pas pou kapav laisse ou ale travay là. Ou garson ine faire ene grave aksidan.” Le choc était insoutenable. Elle a préféré rentrer chez elle et a demandé à ses neveux d’aller aux nouvelles. Du Princess Margaret Orthopaedic Centre, ils furent dirigés vers l’hôpital Jeetoo, où avaient été transférées les dépouilles.
“Mo pa ine alle ar zotte. Ti tro difisil pou mwa”, lâche Rosemary Chavrimootoo, qui ajoute que “Andy ne vit pas toujours ici. Il passe plus souvent la nuit chez sa compagne, Donna, à Rivière Noire.” Donna, avec qui Andy était en couple depuis plusieurs années, est la mère de leur unique fils, Nigel, qui est âgé de quatre ans. Rosemary préfère pleurer sa douleur en privé, soutenue par ses deux autres fils et sa fille.

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