La route meurtrière: LICENSE TO KILL?

EMMANUEL BLACKBURN

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D’abord les faits: en mai 2012, un conducteur avec un taux d’alcool dans le sang trois fois supérieur à celui autorisé et ne possédant de surcroît qu’un learner fauche plusieurs cyclistes, tuant un sur le coup, paralysant un autre et s’enfuit sans rapporter l’accident à la police. Six ans plus tard, la cour livre son verdict: un mois de prison doublé d’une amende de Rs 120,000. La sentence perçue comme étant indulgente a écœuré Alain Jeannot, président de Prévention Routière Avant Tout (PRAT), indigné les proches des victimes et choqué de nombreux Mauriciens.

Mais le citoyen lambda n’étant pas rompu aux subtilités légales doit se garder de traîner le judiciaire au banc des accusés, confiant que la condamnation prononcée correspond à une sanction prescrite dans la loi – votée par les premiers responsables, les législateurs – et émane d’une magistrate dont l’impartialité ne saurait être mise en doute. Cette impartialité-là, le citoyen doit aussi en faire son credo, sans pour autant être infidèle à un autre de ses devoirs, notamment le droit d’appréciation. Fair comment on a matter of public interest. Ainsi, lui aussi a le droit légitime d’être choqué eu égard à une condamnation qu’il pourrait estimer ne pas répondre à la gravité des délits avérés ainsi qu’à ses douloureuses retombées.

Et c’est tout naturellement qu’il se réjouit de la décision du Directeur des poursuites publiques, sollicité par les proches des victimes, de faire appel contre un jugement qui, sans en préjuger du bien-fondé, pourrait à tort constituer pour les simples d’esprit un ‘license to kill’. Mais que l’on ne s’y trompe pas, l’enjeu est autrement plus important. Il dépasse le coupable – qu’il ne s’agit pas d’accabler – car pour le citoyen qui privilégie la raison à l’émotion, il est question avant tout de soumettre à l’appréciation de la Cour suprême, ultime garante du bon fonctionnement de notre judiciaire, les faiblesses susceptibles de l’entacher ainsi que toute mesure corrective jugée nécessaire.

Les familles meurtries ne crient pas vengeance mais posent un acte citoyen fort louable en réclamant justice dans le cadre des dispositions régissant un état de droit. Leur dire « mieux vaut subir l’injustice que la commettre » équivaudrait à un fatalisme stérile qui n’atténuerait sans doute pas leur douleur. Douleur qu’ont connue d’autres car ce drame constitue un triste rappel des 300 heures de travaux communautaires – en substitution de 2 ans de prison – dont bénéficièrent deux prévenus dans le sillage de l’atroce meurtre d’un employé de banque dans la salle des coffres de son employeur. Peut-être serait-il réconfortant de citer de nouveau les mots que nous avions eus pour la famille dans cette terrible épreuve, ceux du missionnaire Pierre Thivollier qui soutenait que « bien que le ‘départ’ d’un être cher puisse conserver un visage de souffrance, l’immense tristesse doit céder à l’espérance, celle d’une aurore, une sortie du tunnel qui débouche sur un horizon baigné de clarté, le seuil où ceux qui se sont aimés sur terre se retrouvent dans une atmosphère de famille. Éternellement ».

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