La vague des migrants

KHAL TORABULLY

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Ils avaient appris la leçon des catastrophes limitrophes.

C’est le sort de l’engagé en transit,

C’est le sort de l’engagé sans limites.

Il est fort et solide le gaillard,

Un grand matelot à la barre.

Mais le contrat sous les bras,

La mer semble enfin l’attendre.

 

A la proue, un homme brûle d’inquiétude.

Dans le chaudron, l’eau bout en cale sèche.

Il n’est jamais tard de confondre mer et charbon.

Puis, les eaux se séparent pour de bon.


Un ustad brandit une tablette d’imprécations

Sur les négriers convertis en schooner de la déraison,

Je suis promis à l’étain et l’or.

Je suis le passager des tornades,

Je brandis les noirs trophées atrophiés.

Je regarde le pont avant le pont

Je cherche le port après le port

Et je brûle le camphre entre la vague et l’horizon.

 

Quel contrat m’attache,

Quel contrat me libère ?
Suis-je l’oracle du premier girmit,

Suis-je la conscience du vieux coolie ?

Coulée la vague d’immigrés.

 

L’enfant qui pleure cherche un monde de consolation.

Il essaie de pleurer comme la dernière strophe

Du chant d’un homme embauché par le vent,

D’une femme fouettée par le champ,

D’un enfant licencié par le volcan.

 

Il est toujours minuit à l’envers des vagues,

La mer note le temps comme s’il perdait son temps.

A l’avant des vagues, le navire pend l’eau,

La vague de migrants s’étire en radeau.

Entre les vagues sombres, la mer bleue prend l’eau.

La mer noire a bon dos.

 

Les migrants sont ceux que le voyage convoque

Autour de l’espoir serré contre le bastingage.

 

Dal

Safran

Piment

Moutarde

Ghee, bhut, gram

Tamarin huile gingéli

Riz sel poisson salé

Un homme à la mer !

 

Devant le migrant, la mer est un mur qui foule

L’exode des serviteurs en espadrilles.

Elle suspend son mouvement pour se couler en eux,

Comme si sa survie en dépendait.

La mer n’a rien à dire du contrat

Entre elle et ses vagues en coutelas.

Liant deux cous à d’autres cous,

La mer n’a pas l’air de comprendre

Pourquoi tant d’hommes la chevauchent

Sans se rendre compte de son combat

Contre les vagues noyées, elle coule

Au fond de l’abîme des coolies.

 

Puis traîne cette chanson écoulée en contrebande :

A Asin, je reste sans nouvelles :

Personne ne vient, personne ne part.

L’engagé met l’Histoire en sarabande.

 

Au Coolie Ghat, le migrant arbore le contrat.

Il signe son perpétuel malentendu.

L’engagé devint coolie et coolie devint migrant.

Au bas de page, un nom étrange lui est inconnu.

 

Une signature sonne le glas

Des coolies esquivant l’anonymat.

 

C’est aujourd’hui qu’ils mirent pied

Sur le mémorable escalier du néant.

Ils partirent comme nous, au-devant

D’un monde atrophié, estropié, cabossé

Comme la canne brandie par la mer sucrée.

 

SI JE SAVAIS FRANCHIR LA MER

J’aurais signé le contrat avec toute la Terre/

Mais le migrant a coulé avec la mer,

Sachant que le Gange se meurt en Amazonie…

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