L’assassinat à petit feu du mauricianisme par l’élite politique

La Commission Justice et Vérité a réclamé des politiciens qu’ils mettent fin à leurs jeux communalistes infects dans les termes suivants, prônant que la vraie histoire de Maurice soit enseignée :
“The choice not to teach a common history rather than a compartmentalised history, and for political and religious leaders to make public speeches where the failure of one ethnic group to achieve in one particular field is underlined, is a dangerous policy to tolerate. Over the years, this has led to increased social and cultural fractures. To avoid further divisions, these need to be stopped …” (Report of the Truth and Justice Commission : Page 155).
Cette commission a aussi, tout en défendant les anciens esclaves et les travailleurs immigrés indiens, pris la défense de la communauté de Couleur en rejetant certaines accusations de politiciens et « historiens » à leur égard concernant leur rôle dans l’histoire et au moment de l’indépendance, laquelle fut obtenue par une alliance de toutes les communautés du pays contre une autre alliance de toutes les communautés du pays. Les pourcentages comptent peu par rapport au fait que les deux alliances étaient parfaitement multiethniques et que dire le contraire comme le font certains politiciens c’est mentir effrontément. J’étais moi-même au Champ de Mars le 12 mars et j’ai vu la multitude multiethnique rassemblée pour célébrer l’événement.
J’ai fait la réflexion suivante, dans un livre de près de 700 pages, en deux volumes, fondé sur ma thèse doctorale, et qui va sortir bientôt, soulignant que ce texte « underscores the falsity of the Mauritian political leaders’ interpretation of national history in their unending and dangerously divisive game of ethnic politics that interdicts the teaching of national history in schools. »
Les dirigeants des partis politiques actuels assassinent à petit feu le mauricianisme du fait qu’ils se livrent à un jeu d’ethnic politics de plus en plus dangereux, qui pourrait mener ce pays à l’explosion si les jeunes générations n’ont pas l’occasion de se rattraper en apprenant l’histoire correctement comme le préconise la Commission Justice et Vérité. Les prochaines élections générales risquent, à voir le ton incendiaire de ces jeunes dans certains milieux et sur Facebook, où ils exposent souvent un racisme primaire que ma génération aurait eu honte d’afficher au temps jadis où l’on parlait de lutte de classes au lieu de lutte des races.
Il y a un historien que je respecte énormément dans ce pays : Uttama Bissoondoyal. Il a écrit ceci, montrant qu’au début du 20e siècle, et, comme je l’ai maintes fois démontré, Hindous, Musulmans, Créoles, les « de Couleur », et un nombre important de Blancs petits bourgeois étaient alliés, dans l’arène politique, dans un combat politique contre les riches appartenant à ces mêmes communautés. Il a écrit ceci, en se référant au témoignage de Lutchumun Bissoondoyal, père de Basdeo et Sookdeo Bissondoyal, qui assistait à ces réunions publiques :
« “René Mérandon and Willie Dawson were making a case for a Royal Commission.
“He (Lutchumun) was, however, more impressed by Boodhun Lallah who spoke in Hindustani (…) Edouard Nairac who was to preserve his reputation of a liberal politician and professional throughout his career appealed to the Indo-Mauritians to get themselves interested in the affairs of their new island home. It surprised and pleased Lutchumun that people from so many communities should be speaking from the same platform.” »
Mérandon du Plessis (auquel K. Hazareesing rendit, à sa mort, un vibrant hommage dans la presse), Manilall Doctor, Eugène Laurent, Goolam Mamode Issac, Edouard Nairac (merci Yvan Martial pour nous l’avoir récemment rappelé) étaient de communautés différentes, réclamant la démocratie pour le plus grand nombre, où les Indo-Mauriciens étaient déjà la majorité, mais ils furent battus à plate couture aux élections générales de 1911 par une alliance des riches appartenant aux mêmes communautés qu’eux, mais unis par leurs intérêts financiers et pas seulement par ceux qu’on appelle avec hargne « les grands blancs » alors que ces derniers avaient des alliés fermes chez les autres communautés.
Au 19e siècle, il y eut chez les Blancs, petits et moyens propriétaires de domaines sucriers, un mouvement socialiste qui était une forme de communisme avant la lettre pour un partage de leurs propriétés avec les planteurs et autres travailleurs hindous, créoles, musulmans, de Couleur, etc. Il y eut de Plévitz, qui fut battu sur la place publique pour avoir soutenu les immigrés indiens, il y eut le gouverneur Gordon, auquel notre pays n’a jamais rendu hommage et qui soutint avec force de Plévitz et qui était un allié du Premier ministre britannique Gladstone, un grand homme d’Etat comme on en trouve peu de nos jours. Il y eut Thomi Hugon, dont mon ami l’historien Satteeanund Peerthum a rappelé qu’il était de la famille des Sauzier et qui parlait des langues indiennes, et prit la défense des immigrés indiens à Maurice.
Le danger aujourd’hui c’est que l’île Maurice au 21e siècle continue sa marche à reculons pour revenir aux racismes primaires qu’elle a connus au début de sa colonisation par les Hollandais, puis par les Français avec leur Code Noir. Et qu’à force de présenter la politique, comme dans les Balkans et ailleurs, comme un règlement de comptes perpétuel de querelles et des racismes vieux de plusieurs siècles, nous ne descendions dans l’abîme où nos dirigeants politiques nous ont menés dans les années 60 et en 1999 en termes de relations interethniques.
Leurs campagnes politiques ne sont aucunement différentes de celles des années 60 avec les conséquences que l’on sait. En fait, cette atmosphère ambiante de communalisme politique pourrait détruire à jamais la fibre mauricianiste chez les prochaines générations qui n’ont pas connu les grands moments d’unité que la politique nous procurait à certains moments de notre histoire.

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