Le pouvoir ou les filles ?

EMILIE CAROSIN

C’est à cela que l’on peut résumer le choix des politiciens par rapport à l’adoption du Model Law on Eradicating Child Marriage and Protecting Children Already in Marriage de la SADC ces dix dernières années et sa possible intégration dans le Children’s Bill, qui a été présenté à l’Assemblée nationale mardi dernier et qui n’a pas encore été questionné par les parlementaires. Rappelons que Maurice est le seul pays à ne pas avoir ratifié le protocole de la SADC, en raison de certaines contradictions. Mais si la décision de protéger ou pas les filles de notre pays dépend de la (non) bravoure des politiciens à “fâcher” une partie de leur électorat, le problème est loin de ne toucher qu’une minorité.
Si l’on étend la situation de mariage au concubinage des enfants mineures (de moins de 18 ans), ce problème concerne une plus grande partie de la population qui se distingue alors davantage par sa situation socio-économique que par sa religion.

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En effet, ce sont dans une certaine mesure, les difficultés financières de certaines familles en situation précaire qui les poussent à trouver “refuge” pour leurs filles ailleurs. Et ces dernières sont souvent consentantes car elles souhaitent par tous les moyens alléger la charge qu’elles représentent pour leurs familles. En ce sens, parler de “mariage forcé” (voir Children’s Bill en cours) ou de “consentement des parents” (Section 145 du code civil) est loin de protéger ces filles. Et le “refuge” tant recherché risque de se transformer rapidement en prison dangereuse pour leur santé ou leur vie. Il suffit de lire les faits divers (et surtout nombreux) qui relatent souvent les violences faites aux femmes (souvent mariées jeunes). La seule solution légale est bien d’interdire le mariage au moins de 18 ans. Et il ne s’agit pas d’un point de vue, il s’agit d’un droit fondamental pour la protection des femmes, dans l’espoir que cette protection se transforme un jour en liberté.

Réduire le mariage des enfants à un problème religieux revient à nier les conditions structurelles qui font que de nombreuses jeunes se retrouvent dans cette situation et la responsabilité collective que nous avons par rapport à la réduction des inégalités sociales et de genre dans notre pays. Il est essentiel de changer de regard sur ce problème : de le considérer comme une conséquence de notre société élitiste et patriarcale et de faire ressortir les enjeux qu’il représente pour le respect et l’émancipation des femmes. Le mariage (et le concubinage) des filles contribue significativement à maintenir les futures femmes de notre pays dans une situation où elles sont sujettes à la domination masculine puisque cela complique leur accès à l’éducation, à un travail et à des revenus, essentiels à leur épanouissement. Mais plus que cela le mariage et le concubinage constituent un danger mortel pour les filles dont les risques de grossesses précoces sont augmentés, mais aussi ceux de violences conjugales, de dépression, de comportements addictifs voire de suicides.

Pour toutes ces raisons, il est essentiel qu’une campagne plus importante soit conduite sur le mariage des enfants. Le clip diffusé par le KDZM est un début pour sensibiliser l’opinion publique et demander l’annulation de la section 145 du Code Civil, mais il faut encore convaincre l’ensemble de la population (ou de l’électorat) qu’il s’agit là d’un problème structurel qui peut être empêché légalement mais qui doit aussi être accompagné de politiques en matière d’aide sociale et financière aux familles à risques de marier leurs enfants, aux filles déjà mariées qui souhaitent s’émanciper et à leurs enfants qui naissent de ces unions souvent abusives.

En attendant que les politiciens se décident… la presse mauricienne a récemment relaté plusieurs féminicides. Combien de vies faudra-t-il sacrifier pour que nos dirigeants choisissent enfin de protéger nos filles, nos femmes ? À ce jeu, le maintien du pouvoir risque de coûter très cher à notre nation en termes de vies, de ressources humaines mais surtout en termes de dignité !

Pour en savoir plus : consultez le communiqué de presse de KDZM et du collectif de psychologues mauriciennes sur la page Facebook du KDZM – Kolektif Drwa Zanfan Morisien.

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