LÉGALISATION DE L’AVORTEMENT: Nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour détecter les malformations sévères, selon le Dr Jagatsingh

Membre active du Mouvement Mauricien Social Démocrate (MMSD), le Dr Radhika Jagatsingh, pédiatre, estime que l’amendement du Criminal Code portant sur l’avortement dans certains cas spécifiques doit d’abord être revu pour être débattu au Parlement. Selon elle, le projet de loi présente trop de lacunes et beaucoup de questions demeurent sans réponses, tandis que les conditions imposées ne cadrent pas avec les moyens techniques disponibles à Maurice, surtout au niveau de la détection des malformations sévères. Le Dr Jagatsingh a présenté son point de vue le jeudi 17 mai, au cours d’un point de presse tenu par le MMSD à Port-Louis.
Estimant que ce projet de loi représente un échec total des moyens de prévention mis en place, le Dr Jagatsingh a présenté son point de vue en tant que professionnel, ne se prononçant ni pour, ni contre. Elle a toutefois indiqué qu’il est urgent de revoir certains points de l’amendement. « L’avortement n’est en lui-même pas un acte souhaité, et représente un échec des méthodes de prévention et de contraception et de l’éducation sexuelle », devait-elle souligner.
Soutenant que les chiffres avancés jusqu’ici sont inexacts, elle conçoit qu’il existe néanmoins des faits qui ne peuvent être négligés, notamment les complications liées aux avortements clandestins : « On sait pertinemment bien qu’à l’heure actuelle, l’interruption de grossesse thérapeutique n’existe pas à Maurice. Par contre, il ne faut pas être hypocrite : on sait qu’il existe deux types de médecines pratiquées. Pour celles qui sont financièrement capables et qui ont recours à l’IVG – sous un autre nom – en clinique ou à l’étranger, et celles qui le font clandestinement par manque de moyens. Il s’agit plus d’un problème de santé publique que d’un problème de nature politique, même si on est conscient que ce projet doit être débattu au Parlement. »
Commentant dans son intégralité le bill présenté par le gouvernement, le Dr Jagatsingh estime qu’il faut, en plus d’être un « registered medical practitioner », que le « specialist in obstetrics and gynaecology » ait un certain nombre d’années d’expérience dans le domaine de la santé publique. Pour elle, il est également important de savoir qui formulera la demande d’une IVG. « Le médecin ou la patiente ? », demande-t-elle, insistant sur le fait que cette dernière ne peut, d’un point de vue médical, connaître les risques qu’elle encourt. Toujours à propos des risques à la santé de la femme enceinte, le Dr Jagatsingh rappelle que c’est à partir de cette même condition que les lois autorisant l’avortement thérapeutique ont vu le jour à l’étranger, avant de graduellement finir par permettre l’avortement « volontaire ».
Parmi les lacunes relevées dans ce projet de loi, la pédiatre a évoqué l’absence de toute mention d’un nombre de semaines de grossesse à respecter pour une IVG. Elle s’interroge ainsi sur la notion de viabilité foetale à l’Île Maurice. « Où nous situons-nous ? Lorsque j’ai été affectée à l’ICU il y a des années de cela, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) avait arrêté la viabilité foetale à 28 semaines (celle-ci est aujourd’hui de 22 semaines, ndlr). Cela remonte quand même à une dizaine d’années. Actuellement, dans certains pays européens, la viabilité a été ramenée à 22 semaines. Qu’adviendra-t-il lorsque la maman doit se faire avorter pour sauver sa vie alors qu’elle a atteint 23, 24 ou 25 semaines de grossesse ? Allons-nous avoir recours à l’avortement, ou allons-nous donner vie à ce bébé ? (…) Il va donc falloir statuer dans ce cas. »
Le Dr Jagatsingh s’est par la suite exprimée sur la condition de « severe malformation » du foetus. Il est malheureux, souligne-t-elle, qu’en 2012 à Maurice, il n’existe aucun autre procédé que l’échographie pour établir un diagnostic. Celui-ci dépend principalement du technicien/spécialiste, donc de la personne. « Nous n’avons pas de caryotype (analyse des cellules permettant de détecter des anomalies chromosomiques génétiques, ndlr) et les amniosynthèses (examen consistant à prélever du liquide amniotique afin de procéder à l’analyse des cellules du foetus, ndlr) sont rarement pratiquées à Maurice », affirme-t-elle. Ainsi, à ce jour, il est difficile d’établir un diagnostic précis de « malformation », et même si celui-ci est établi, il n’est pas dit à combien de semaines ou à quel stade de la grossesse le médecin peut encore intervenir. Autant de points qui, selon elle, restent à être éclaircis.
La membre du MMSD s’interroge également sur la définition de « severe malformation » et de « severe physical or mental abnormality » qui, explique-t-elle, sont des notions subjectives. « Il n’y a pas de guidelines pour définir le terme « severe » et qui pourra juger qu'(une malformation) est « severe ». Est-ce que par exemple, la trisomie 21 sera jugée « severe » ? Qui en décidera ? » Si elle se dit en faveur de l’avortement dans des cas avérés où le cerveau du foetus ne s’est pas développé avec l’enfant souffrant d’anencéphalie, elle se demande si cette anomalie congénitale peut être détectée à Maurice, évoquant, une nouvelle fois, l’absence de moyens pour effectuer un caryotype. De plus, dit-elle, il existe à l’étranger des spécialistes en développement social qui peuvent aider les médecins à déterminer si le foetus se développe normalement. Des spécialistes dont nous ne disposons pas à Maurice, ajoute-t-elle.
En ce qui concerne la clause du projet de loi portant sur des victimes de viol ou de relations sexuelles avec mineures, et stipulant que l’IVG peut être pratiquée jusqu’à la 14e semaine de grossesse, Radhika Jagatsingh se demande si, en 14 semaines seulement, une cour de justice aura déjà prononcé un jugement sur des faits avérés, notamment en ce qui concerne un cas de viol ou de relations sexuelles sans consentement, et si une jeune victime saura qu’elle est tombée enceinte avant la fin de ce délai. Elle pose aussi la question de savoir si toutefois un accompagnement de ces victimes sera effectué.
Des doutes sur la notion de « informed consent » ont également été émis, le Dr Jagatsingh partageant à ce sujet l’avis du leader du MMSD, qui estime que « ce n’est qu’un mot sur papier ». Elle se demande ainsi si les personnes de l’entourage de la femme enceinte, sa famille notamment, vont réellement lui expliquer ce qui se passe et les conséquences d’une telle décision, et si l’explication de l’informed consent se fera en présence de témoins.
Le Dr Jagatsingh soutient par ailleurs qu’une IVG n’est pas une décision facile à prendre pour une femme. Elle critique donc le fait que le projet de loi recommande un soutien psychologique « where appropriate » alors que selon elle, « le counselling est très important avant, pendant et après le recours à l’IVG, dans tous les cas et non seulement « where appropriate » ».
Alors que le projet de loi demande à ce qu’il y ait une entrée dans chaque institution médicale qui pratiquera un avortement, pour Radhika Jagatsingh, ce n’est pas la méthode appropriée pour évaluer un bill et, plus tard, une nouvelle loi. Il faudrait, recommande-t-elle, des retours mensuels ou trimestriels à travers un organisme qui relèvera de manière précise le nombre d’avortements, les lieux, les raisons, et ceux qui la pratiquent, afin de comprendre l’impact de ce projet de loi s’il est mis en application.
En sa qualité de professionnel de la Santé, le Dr Jagatsingh juge très difficile pour un ou deux médecins seulement de prendre la décision de conseiller ou non à une patiente d’interrompre sa grossesse. Il faudrait, selon elle, l’instauration d’un board indépendant devant lequel se présentera soit le médecin traitant, soit la patiente, et face à des gynécologues, pédiatres et psychologues qui prendront la décision finale.
Pour terminer, le Dr Jagatsingh avance qu’il faudrait « fixer le prix d’un tel acte, qui ne peut être libéralisé et doit être à la portée de tous ». Il est aussi important pour elle que la femme ayant subi un avortement soit entourée et informée des moyens de contraception pour l’avenir. « Bien sûr, on ne peut pas avoir recours à l’avortement comme méthode de contraception, et on ne peut pas banaliser la perte d’une vie. Mais quand une femme se retrouve en détresse, qui va définir cette détresse, et comment ? Elle est la seule à connaître sa position et sa décision. Nous devons l’encadrer, l’entourer et respecter sa décision », dit-elle.
Les conditions dans lesquelles les avortements seront pratiquées dans les hôpitaux et les cliniques doivent aussi être prises en considération, estime le Dr Jagatsingh, car selon elle, un accouchement représente un véritable parcours du combattant pour la femme enceinte dans le milieu hospitalier. « Il faut en considérer tous les aspects et prendre le problème as a whole », conclut-elle.

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