L’enfer au paradis

AVINAASH I. MUNOHUR

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On ne devrait jamais entièrement réduire l’assassinat d’un homme, d’une femme ou d’un enfant à celui d’une figure simple – pas même celui d’une figure exemplaire dans une logique de l’emblème, une rhétorique du drapeau ou un imaginaire de la martyrologie. La vie d’un être humain, unique tout autant que sa mort, sera toujours bien plus qu’un paradigme et autre chose qu’un symbole. Et c’est cela même que devrait toujours nommer un nom propre…

Permettez-moi donc également, ici et maintenant, de saluer la mémoire d’une fillette de 8 ans qui a été kidnappée, violée, mutilée et assassinée par la haine engendrée par la radicalisation des idéologies identitaires, racistes et fascistes. Elle a crié et a agonisé pendant plusieurs jours, sans que personne ne l’entende. Mais les cris d’un enfant – qu’il tombe sous les balles dans une zone de guerre, qu’il se noie en Méditerranée, qu’il ait la gorge tranchée par la folie d’un prédateur ou qu’il peuple les ateliers de misère du capitalisme périphérique – hanteront éternellement cette chose mystérieuse que l’on nomme l’Histoire. Ces cris n’auront jamais de frontière nationale, identitaire, religieuse ou idéologique ; et seront toujours, pour nous, le devoir d’un travail acharné devant l’impératif de l’universalité de la justice et de la dignité humaine – même pour ceux qui ne sont plus là.

Ces modestes lignes qui suivent sont donc également dédiées à la mémoire d’Asifa Bano, victime – comme Ritesh Gobin et comme tant d’autres – de la barbarie des hommes. Leurs spectres hanteront toujours l’horizon de la démocratie, et leurs demandes de justice devant les crimes dont ils sont les victimes – demandes muettes, infinies, insupportables – ne sont pas qu’une simple imploration des victimes. Ces demandes doivent toujours nous rappeler que la justice est inconditionnelle et indémontrable, et qu’elle doit nous engager au-delà du droit, de la norme et du temps lui-même. C’est en ce sens que la justice, tout comme le pardon, est infinie.

Une pétition demandant le rétablissement de la peine de mort, dans le sillage du crime odieux commis contre Ritesh Gobin sur le site Change.org a dépassé les 10 000 signatures en l’espace de quelques heures. Ces signatures viennent s’ajouter au nombre incalculable des Mauriciens choqués, en émoi, indignés et plongés dans une colère profonde à la suite de cet acte d’une barbarie inouïe – et dont certains demandent également le retour de la peine de mort sur les différents réseaux sociaux.

Il s’agit d’une réaction de colère, d’un appel à venger un acte que l’on considère – à juste titre – comme tellement grave, tellement insupportable, que la réaction doit être à la hauteur des faits. Nous ne pouvons d’ailleurs qu’acquiescer : la réaction doit être à la hauteur des faits – il ne devrait y avoir là-dessus aucun débat possible. Mais que voudrait dire être à la hauteur ici ?

En d’autres termes, est-ce que le retour de la peine de mort est une réaction adéquate dans une situation comme celle-ci ? La volonté, qui semble prendre de l’envergure, de rétablir la peine de mort face à un tel acte est intéressante à déchiffrer. Elle témoigne d’un désenchantement tellement profond dans la capacité de notre système judiciaire à rendre la justice, dans notre système des prisons à punir efficacement, dans notre système du law and order de pouvoir garantir la sécurité des citoyens que nous semblons tentés de tomber dans la réponse drastique de la peine de mort. Après tout, le dispositif pénal actuel ne garantit absolument pas que Sachin Teeree – s’il est reconnu coupable de ce crime – ne pourra plus récidiver. Il suffit de voir le nombre de violeurs et de criminels qui ont bénéficié d’une réduction de sentence pour que le doute nous soit permis.

Mais, à y regarder de plus près, le retour de la peine de mort dans l’état actuel de notre système de la répression et de la pénalité serait quelque chose de profondément désastreux. Les dispositifs, qui sont supposés garantir notre sécurité, sont dans un tel état de dégradation, ils sont devenus tellement inadéquats, tellement corrompus, tellement dépassés, tellement abîmés même que la pratique de la peine de mort pourrait nous exposer au risque de l’appliquer avec une facilité et un élan qui ouvriraient la porte à des injustices inadmissibles et à des abus extrêmement graves et dangereux pour notre démocratie.

La réponse, la réaction même, doit être ailleurs que dans la demande d’un retour sans considération de la peine de mort. La réponse doit être de mettre notre gouvernement, nos élus, nos institutions, notre système judiciaire, nos prisons, et toutes les institutions et personnes dont le devoir est de garantir la sécurité de chaque citoyen devant un constat dramatique, tragique même, puisqu’il se trouve entièrement incarné dans la dépouille même du petit Ritesh.

Ce constat : qu’ont-ils fait pour combattre la montée en puissance de l’insécurité à Maurice ? Et que proposent-ils pour arrêter l’explosion du crime, du trafic de drogue, des meurtres, des violences domestiques, des abus sexuels ou encore de la délinquance ? Que proposent-ils pour moderniser notre force de police afin que cette dernière retrouve les moyens d’une action efficace contre ceux qui tuent, qui violent et qui agressent impunément ? Que proposent-ils pour enfin donner à nos prisons les moyens de protéger notre société ? Que proposent-ils pour permettre à nos juges de punir avec la sévérité la plus absolue les crimes graves ? Que proposent-ils pour permettre la mise en place d’un système efficace de la prévention ? Que proposent-ils pour secourir les Mauriciens, qui se perdent dans la spirale infernale de l’exclusion, des drogues, de la prostitution et de l’insécurité ? Que proposent-ils pour mieux sécuriser nos routes ?

Nous sommes forcés de constater que nous sommes toujours dans l’attente d’une politique sécuritaire appropriée, moderne, efficace, et ayant pris la mesure de la gravité du problème. Nous sommes toujours dans l’attente d’une politique qui permettrait de redonner confiance dans la capacité d’agir de nos forces de l’ordre et qui permettrait surtout à chaque Mauricien et à chaque Mauricienne de retrouver la sécurité qui est le droit inaliénable de chaque citoyen. Les gouvernements qui se sont succédé depuis quelques mandats déjà n’ont fait que s’endormir sur ce problème qui gangrène aujourd’hui notre société, et dont les manifestations se font de plus en plus violentes et barbares.

La conséquence de ce laisser-faire, de cette négligence même, porte aujourd’hui un nom : Ritesh Gobin. Cette insuffisance politique porte également le nom de chaque homme, de chaque femme, de chaque enfant qui a perdu la vie parce que l’État – représenté par nos gouvernements et nos élus – n’a pas su agir devant le premier de son devoir : celui de protéger la vie.

L’urgence est donc claire pour nous. Il faut repenser – dans sa totalité – notre système pénal, nos dispositifs de sécurité, nos modes de répression, de punition et de prévention. Il faut les renouveler, les réformer et les moderniser. Il y a là un travail politique immense à faire car nous sommes en retard à peu près dans tous ces domaines. Ce retard, nous devons impérativement le rattraper car notre société va à la dérive un peu plus chaque jour, et nous sommes aujourd’hui exposés au risque de passer le point de non-retour si nous n’agissons pas rapidement.

Le débat sur la peine de mort nous apparaît donc aujourd’hui comme futile et vain, car il ne répond pas au véritable impératif qui doit être le nôtre : celui de sécuriser notre pays. Discuter de la peine de mort n’a aucun sens dans un pays, où les dispositifs de sécurité sont en faillite. Discuter de la peine de mort devient même dangereux dans un pays, où la corruption est tellement généralisée qu’elle a pénétré dans toutes les sphères de l’État. D’autant plus que Maurice, comme tous les pays modernes, a su faire le choix courageux de l’abolition de la peine de mort, et il serait un funeste retour en arrière que de vouloir la remettre en place. Posons-nous donc les vraies questions et identifions les vrais problèmes avant de tomber dans la volonté d’une solution qui relève plus de la vengeance du cœur que de l’application et de la pratique de la justice. Notre impératif est donc de trouver des solutions aux problèmes structurels de la sécurité qui méritent une attention urgente, et sur lesquels aucun parti politique ne propose de solutions. S’ils ne peuvent plus agir, c’est à nous – citoyens et citoyennes de la République de Maurice – de le faire.

Osons donc imaginer que les Mauriciens, lorsqu’ils iront voter aux prochaines élections générales penseront au petit Ritesh et à l’enfer qui a été le sien dans notre supposé paradis. Osons imaginer qu’ils penseront à l’escalade infernale de l’insécurité et à la misère causée par elle à un nombre de plus en plus élevé de nos concitoyens. Osons imaginer qu’ils voteront enfin pour que ceux qui nous ont gouvernés pendant toutes ces décennies soient enfin mis devant leurs responsabilités dans la faillite de nos institutions. Ce n’est qu’à cette seule condition qu’une forme de justice plus grande – une justice qui dépasse de très loin la simple vengeance – aura été rendue à Ritesh Gobin et à toutes les victimes du délabrement politique et de la déchéance morale de notre pays.

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