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l’Entrepreneur de l’année 2018 – Renaud Azéma : Vatel fait école en Afrique

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l’Entrepreneur de l’année 2018 – Renaud Azéma : Vatel fait école en Afrique
Renaud Azéma

« Mon objectif était de créer une école qui soit au moins l’équivalent de Lausanne (une des plus anciennes écoles hôtelières au monde) et de Cornell (le Harvard du management hôtelier) ! », confie Renaud Azéma, clin d’œil entendu. le Chief Executive Officer (CEO) de Vatel Mauritius a le mérite de voir grand et de l’assumer. Mais il est vrai que dans son bureau, dont les grandes baies vitrées offrent un panorama à 180° sur le hall et lui donnent une impression de tour de contrôle, on peut lire cette citation du poète italien Gabriele d’Annunzio : « Memento audere semper » (souviens-toi de toujours faire preuve d’audace). Cette devise sonne comme un rappel pour les 342 étudiants venus de Maurice et de l’extérieur qui se côtoient sur le campus ultra-moderne de l’École internationale d’hôtellerie et de management Vatel. Créée à Paris en 1981, elle a été sacrée, en 2016, meilleure école hôtelière au monde aux Worldwide Hospitality Awards !
Difficile d’imaginer qu’à l’ouverture de l’école à Maurice, en 2009, ils n’étaient que… 15 étudiants à se presser dans une maison à Quatre-Bornes ! C’est en 2007 que Renaud Azéma achète la franchise Vatel. Il l’enregistre sous le nom de Trianon Hotel & Tourism Management Centre Ltd (THTMC). Il a déjà derrière lui une solide expérience dans le secteur.

Un baroudeur

Titulaire d’une maîtrise de tourisme, c’est en Australie que ce Français débute comme chef de projet. Il s’envolera ensuite pour l’Algérie et l’Égypte. Il est au Sinaï quand éclate, en février 1991, la première guerre du Golfe. Surpris par les événements, il se fait rapatrier par une patrouille de l’ONU ! Après un tour du monde pour se remettre de ses émotions, il débarque au Tampon, à La Réunion.
Sans le savoir, c’est le début d’une longue histoire avec nos îles…
En 1994, il est recruté par la Chambre de commerce et d’industrie où il met en place le label Réunion Qualité Tourisme, avant d’enseigner au  Centre de formation technique du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration (Centhor) de Saint-Gilles. En 1996, il intègre à Maurice la toute nouvelle École hôtelière Gaëtan Duval en y lançant différentes formations. En 2005, retour à La Réunion où il est nommé directeur du Centhor. Deux ans plus tard, il fait l’acquisition de la franchise Vatel avec l’objectif de proposer des formations hôtelières beaucoup plus polyvalentes, incluant gestion, finance, comptabilité, ressources humaines et même marketing. « Notre offre n’a pas tout de suite été comprise par le secteur, qui y a vu de la concurrence plus qu’un apport complémentaire de formation», s’amuse aujourd’hui le patron de l’école. Il doit défendre devant la Tertiary Education Commission (Commission pour l’enseignement supérieur) la solidité et l’originalité de son projet. Si l’autorisation est remise en décembre 2008, l’école n’ouvre qu’en mars 2009. Et depuis, Vatel effectue deux rentrées par an !
Une en avril, pour les étudiants mauriciens et africains qui ont obtenu leur HSC (équivalent du bac) et l’autre en septembre, pour les bacheliers.

Des méthodes novatrices

L’école atteint vite sa vitesse de croisière :« Les résultats de mes cinq premières années étaient au-dessus de mon business plan», tandis que le chiffre d’affaires est en constante augmentation (1,8 million d’euros, en 2017). Il provient principalement des frais de scolarité, mais aussi des ventes effectuées à la cafétéria et des activités de consulting et de formation continue. « Je reverse 10 % de royalties sur mes frais de scolarité à Vatel Développement, une entité chargée de développer l’enseigne. » Ce succès s’explique par des méthodes novatrices d’enseignement : comme ce « jeu des 7 familles avec les principaux hôtels de l’île », ou une « sorte de Monopoly qui évoque le parcours d’un étudiant de son intégration jusqu’à son diplôme », et même « une bande dessinée présentant notre école, qui devrait devenir un dessin animé ».
Mais Renaud Azéma mise surtout sur la révolution de l’enseignement. « Je suis en train de lancer une formation en réalité virtuelle qui permet à l’apprenant de s’immerger à 360° en environnement professionnel avec des interactions. Mon objectif est de remplacer les livres ! Ces modules vidéo pourraient être mis à la disposition d’autres écoles. Cela nous a conduits à repenser notre cursus et à le découper en modules autonomes. » Si l’école accueille aujourd’hui à Maurice 30 % d’étudiants étrangers de vingt nationalités différentes, Renaud Azéma a voulu, dès le début, en faire un pôle d’excellence et un hub régional. C’est ainsi qu’il a obtenu la master-franchise de Vatel pour l’Afrique de l’Est et australe anglophone. Une décision stratégique puisque selon la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, le tourisme est appelé à devenir un axe économique majeur. Il devrait croître de 5 % d’ici 2030 pour atteindre 150 millions de touristes. Or, il y a peu d’institutions formant sur place des managers.

Faire de Maurice  un pôle  d’excellence
régional Pour asseoir son déploiement, Renaud Azéma crée, en 2014, Trianon Business Development (TBD), en charge des sous-franchises. La même année, il ouvre à Tananarive la seconde école Vatel dans l’océan Indien, et en 2017 c’est au tour de La Réunion. Cap ensuite sur le Rwanda où l’école a accueilli, début 2018, ses premiers étudiants. À noter que 15 de ces 17 Vatéliens bénéficient du soutien financier de la fondation Mastercard qui a décidé d’injecter 50 millions de dollars. « Cette opération pilote d’une durée de cinq ans pourrait être dupliquée dans d’autres pays… » Mais l’engrenage décisif pour le développement international de Vatel en Afrique est sans doute, en février 2018, la signature d’un « agrément » avec le prince Cedza Dlamini, CEO de l’Ubuntu Institute, pour l’ouverture d’une école Vatel à Johannesburg. Les frais de scolarité annuels sont variables selon les États. « Déclinés selon les réalités locales, ils sont de 3 000 euros à Madagascar, 6 500 euros à La Réunion et 7 000 dollars au Rwanda. TBD récupère 10 % de royalties sur les frais de scolarité et reverse 5 % à Vatel. »
Bref, la volonté de ce père de trois jeunes femmes, dont une est devenue Cheffe, « que Vatel ne soit plus uniquement une école mais une solution de l’activité touristique mauricienne, régionale et continentale » est bel et bien en train de prendre forme.


questions…

 

« Faire entrer l’hôtellerie dans le panthéon des formations universitaires reconnues »

Que représente pour vous cette nomination au Tecoma Award ?

Au-delà du plaisir, pour moi c’est une surprise qu’une école puisse être nominée pour un concours du meilleur entrepreneur. C’est vrai que derrière l’éducation, il y a une entreprise privée et c’est vrai que l’entreprise privée a une vocation commerciale et se doit d’être a priori profitable, ce qui est le cas. Mais c’est toujours un petit peu difficile pour moi, voire délicat de parler de profitabilité quand on parle d’éducation. Aussi, ce que représente pour moi cette nomination au-delà de cette surprise, c’est une reconnaissance du travail qui a été fait. Et je pense que pour nos étudiants, ça doit représenter aussi quelque chose. Il y a aussi la reconnaissance de ces gens qui travaillent dans cette entreprise et qui ont une mission éducative avant tout. Cette nomination est, en somme, une reconnaissance de notre adéquation de l’offre de formation à un besoin de l’industrie locale et régionale.

Vous êtes un acteur clé dans le secteur  et de l’enseignement du tourisme, que vous voulez d’ailleurs changer.Comment pensez-vous vous y prendre ?

D’abord, il faudrait faire entrer le tourisme et l’hôtellerie dans le panthéon des formations universitaires reconnues et importantes. J’ai traîné cela depuis que je faisais mes études où on me traitait de touriste. A l’université de la Réunion, j’étais responsable pour les masters de tourisme et on nous appelait les vendeurs de pizza. Au niveau universitaire, on n’a toujours pas réalisé l’importance d’une formation du type de celle qu’on le fait et qui est professionnalisante. Mais je pense que la preuve est faite qu’une formation uniquement théorique, ça ne fonctionne pas. Il faut qu’elle soit professionnalisée à minima. Et quand elle est de façon optimale, ça fonctionne drôlement bien. Aussi, je pense que notre système d’enseignement est un peu dépassé. Une de mes obsessions depuis deux ans maintenant, c’est de rentrer dans cette nouvelle ère de la transmission d’un savoir par l’immersion à travers la réalité virtuelle et non plus la transmission d’un savoir de bouche-à-oreille, je parle du formateur à l’étudiant. Il faudrait changer l’approche pédagogique et intégrer d’une part la pédagogie inversée où les étudiants deviennent contributeurs du cours, et d’autre part la réalité virtuelle.

« Memento audere semper », vous en avez finalement fait l’histoire de votre vie et de celle de Vatel ?

Il est clair que ce n’est pas par hasard si je l’ai inscrit à l’école. C’est parce que je pense avoir à peu près toujours agi comme ça. D’aussi loin que je me rappelle j’ai pris des risques en étant étudiant au départ, en choisissant des carrières, en acceptant des paris de changement de pays, de perte de rémunération, de rétrogradation. J’ai osé mais aujourd’hui. C’est le message que je passe aux étudiants. Oser, cela ne veut pas dire être téméraire et sauter dans le vide, cela veut dire prendre des risques mesurés et regarder avec beaucoup de sérieux les opportunités qui se présentent. Il faut regarder les choses avec beaucoup de réalisme et il faut avoir une dose de confiance, et peut-être… un grain de folie.