DANS LES ARCANES DE L’ÉCONOMIE: Comprendre ce qui se passe entre Bheenick et Duval

Dans le cadre des déclarations contradictoires entre le Gouverneur de la Banque de Maurice et le Ministre des finances, il faut retenir deux choses : 1) nous sommes en présence d’un conflit institutionnel. La BoM en tant qu’institution autonome en matière de politique monétaire et interbancaire est en fait depuis quelques semaines sous le contrôle du Ministre des Finances qui, lui, est responsable de la politique fiscale.
Matière à suivre puisque Bheenick ou Duval aura à céder ou à subir la critique de l’autre dans les mois à venir. Le Ministre des finances a gagné la première manche, c’est lui donc qui est sur la sellette. J’ai lu les déclarations des uns et des autres sur ce conflit qui semble prendre des proportions de crise institutionnelle. Personne ne semble prendre position en faveur de l’un ou de l’autre avec un raisonnement éclairé. Il faut donc comprendre ce qui se passe par d’autres voies.
Procédons par ordre.
• 1) Quand on manie les outils économiques il faut se dire qu’il existe en permanence des secteurs économiques opportunistes pour en tirer des bénéfices. Il faut absolument les identifier pour que les outils économiques utilisés n’aient pas des effets pervers. Ce qu’il faut retenir – dans la normalité des choses comme dans les moments de crise – les opportunistes sont les grands gagnants dans tous les cas de figure. Ce que les capitalistes appellent les opportunités, sont en vérités des moments favorables. Une crise économique pour le pays peut paradoxalement être un moment favorable pour certains. Une entreprise est en faillite, ceux qui la rachètent tirent toujours des bénéfices. L’endettement, l’inflation, un Repo Rate qui monte ou qui baisse… TOUT. Si un décideur politique n’identifie pas les opportunistes, toute décision de sa part peut nuire à l’intérêt commun par les effets des actions des opportunistes.
• 2) Dans la logique des principes adoptés dans tous les pays, par rapport à leurs banques centrales, la BoM a la responsabilité de stabiliser les prix et dans ce sens c’est à elle de définir la politique du taux d’intérêt. C’est ce que Bheenick a voulu faire. Le Ministre des finances, lui,  s’est, en quelque sorte, dessaisi de ses responsabilités. Ce qui est au départ grave. Pourquoi ? Tout simplement parce que le système capitaliste vit de l’endettement et ainsi de l’inflation qui en découle structurellement. C’est-à-dire qu’une partie de l’inflation est « capitalistiquement » structurelle. Tout comme une partie du chômage d’ailleurs. Dans n’importe quelle situation, l’inflation doit ainsi être sous contrôle.
•  3) L’économie capitaliste vit de paradoxes et de dualismes. C’est une des raisons pour lesquelles les économistes se perdent dans leurs prévisions et par précaution s’accordent entre eux sur des propositions et leurs contraires à la fois. Ils sont prisonniers de cette pratique. Il faut absolument contourner leurs propositions. Il faut pratiquer le discernement entre une décision technocratique et une décision politique. Si c’est à la BoM que revient la responsabilité de juguler l’inflation tout en stimulant monétairement l’économie, c’est à la BoM de s’occuper du Repo Rate et pas le Ministre des finances. Donc première entorse à une pratique reconnue et acceptée. Aucune banque centrale n’est cependant neutre. La BoM peut ainsi se mettre au service de l’État capitaliste (du système), servir le gouvernement de l’heure (selon que le gouvernement soit au service ou pas du système), au service des intérêts économiques particuliers (ces oligarchies économiques et politiques qui s’associent ou qui s’opposent pour contrôler l’économie), servir l’intérêt commun (qui souvent ne veut rien dire), ou se soumettre aux institutions internationales (le Fonds monétaire international en particulier). Ou permettre au laissez-faire de tout déterminer comme le veut le gouvernement de Ramgoolam. Ce que je veux affirmer, c’est qu’une banque centrale est rarement indépendante, dans le sens de promouvoir l’intérêt commun. L’intérêt commun n’est pas la principale considération dans un système capitaliste.
• 4) Jamais, jusqu’ici, le taux directeur n’a autant été banalisé et réduit à rien. Le Ministre des finances est venu jusqu’à dire explicitement qu’il n’a jamais été prouvé qu’il existait de liens entre l’augmentation du taux directeur et l’épargne et implicitement avec l’inflation aussi. Faut-il se rappeler que depuis février 2008 (la crise a débuté en 2007) le Repo Rate (qui était de 9%) a subi une réduction moyenne annuelle de .87%. En février 2014 il est resté à 4.65% (ce depuis juin 2013). Si l’épargne a chuté pendant cette période, les banques locales ont amassé des fortunes. Il me semble que ni la BoM, ni le Ministre des finances ne porte d’attention à ce FAIT.
• 5) Je constate que quand on parle de fiscalité (des taux de taxation budgétaire surtout) c’est souvent pour subir ensuite des décisions monétaires qui neutralisent soit les décisions fiscales qui sont contre les intérêts des oligarchies économiques ou qui amplifient les bénéfices qui leur ont été accordés. Deux outils sont utilisés : la dévaluation de la roupie et la baisse du taux directeur. On a subi successivement et même concurremment ces deux actes qui ont fait que la population a subventionné notre économie dans les moments de difficultés comme dans des moments de stabilité ou de croissance économique. Ca, Bheenick le sait fort bien.
• 6) Quand on parle de croissance on nous impose d’abord un débat sur l’inflation, et croissance et inflation sont présentées comme étant antinomiques. Quand on aborde la nécessité de protéger l’épargne contre l’inflation et pour aussi accroître son volume, on nous parle de la nécessité de résoudre l’excès de liquidité bancaire. Je me pose la question suivante : est-ce l’économie du pays dans son ensemble qui intéresse le Ministre des finances ou l’intérêt sectaire des banques ?
J’ai déjà exprimé mon point de vue sur notre stratégie économique. Je l’ai qualifié d’opportuniste et j’ai parlé d’eugénisme social. Nous sommes dans la fracture sociale et ainsi des milliers de personnes sont exclues des considérations économiques. Ces milliers des citoyens n’existent pas pour nos décideurs parce qu’ils n’ont pas de pouvoir d’achat pour consommer et encore moins pour s’endetter. Ni la BoM. Ni le gouvernement. J’ai dénoncé la mutation hors production de notre économie, la dilapidation de nos ressources vitales, l’accaparement du pays par les étrangers et les protégés du régime, etc. Personne ne semble porter l’attention nécessaire à l’économie réelle et au fait que nous sommes entrés dans la fracture sociale.
Les banques
Depuis quelques années le nombre de banques à Maurice a considérablement augmenté. CONSIDÉRABLEMENT. Sans oublier que des dizaines d’entreprises exercent dans le secteur financier et que plusieurs credit unions sont devenus de véritables banques. Quatre constats :
1) L’endettement des ménages est multiforme ; l’endettement des entreprises commence à poser des problèmes et l’endettement de l’État engage des sommes faramineuses dans des constructions infrastructurelles et d’autres projets qui ne sont pas prioritaires. Quand on baisse le Repo Rate pour favoriser l’emprunt, les banques maintiennent leur marges d’intérêt et gagnent : 1) sur la masse d’emprunts qui augmente ; 2) sur leurs taux d’intérêt qu’ils maintiennent ; 3) sur les commissions et les autres frais bancaires (énormément) et 4) sur la vampirisation des dépôts des épargnants qui voient leurs économies déprécier par rapport au taux d’inflation.
2) Le secteur bancaire vampirise nos ressources. Leurs profits en 2007/2008 (juste avant la crise) étaient, avant impôt, de Rs 12,6 milliards (croissance de 21.6% sur l’année précédente). Le monde est entré en crise, plusieurs banques à l’étranger ont connu la faillite. A Maurice les banques se sont enrichies, multipliées et sont devenus hégémoniques. Démesurément. Deux banques se retrouvent parmi les trois entreprises les plus profitables. Qui est au service de qui ? Il est clair que nos ménages, nos entreprises et l’État sont au service des banques et non l’inverse. Voilà la dure réalité…
3) Nos banques reçoivent une masse d’intérêts dont plus de 55% sont perçus sur leurs investissements à l’étranger, qu’elles injectent dans les secteurs hors production favorisant la consommation en masse de produits importés, les projets de construction d’immeubles pour la classe moyenne d’ici et des pays développés et émergents au détriment de notre secteur agricole, de nos forêts, de nos plages, etc. et dans des tractations financières souvent accapareuses et spéculatrices. Plusieurs de nos banques sont des vecteurs d’actes répréhensibles contre notre société.       
4) Nous ne parvenons pas à saisir que beaucoup d’ « opportunités » ont atteint des situations de bulles de toutes sortes qui risquent d’éclater un jour ou l’autre. On n’a pas tiré les leçons qui s’imposent de la crise qui a détruit beaucoup de choses dans les pays développés.
En suivant ce qui se passe en Europe, je constate que l’UE en particulier se propose non pas uniquement d’établir des règlements interbancaires mais surtout des règlements intra-bancaires. C’est ce qu’il faut faire ici aussi, et au plus vite.

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