Les collèges privés au bord de la marginalisation

  • Bashir Taleb, président de la Fédération des managers : « Nous attendons toujours une réunion pour discuter de la “grant formula” pour les trois prochaines années »
  • Jimmy Harmon : « Constat d’une mauvaise gestion de l’éducation nationale »
  • Rajiv Roy : « Le niveau au secondaire est en baisse »

Les collèges privés sont menacés de marginalisation. C’est ce que constatent trois dirigeants des institutions secondaires privées, à savoir Bashir Taleb et Rajiv Roy, respectivement président et secrétaire de la Fédération des managers, et le Dr Jimmy Harmon, représentant du Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC). La Fédération des managers regroupe l’Association des collèges secondaires confessionnels, la Roman Catholic Secondary Schools Union et l’Union of Managers of Private A Secondary Schools.

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Bashir Taleb déplore d’emblée que les collèges privés n’aient plus droit à la parole au sein de la nouvelle institution, succédant à la PSSA, à savoir la Private Secondary Education Authority (PSEA). « Les managers qui sont les partenaires importants au niveau de l’éducation à Maurice ont été exclus du board de la PSEA, l’instance décisionnelle du secteur de l’éducation », souligne-t-il à Le-Mauricien. « Le résultat est que la PSEA peut faire ce qu’elle veut sans qu’on puisse donner notre avis ou objecter. » D’ailleurs, aucune filière de communication directe entre la PSEA et les managers n’est en place. «Pour citer un exemple probant, c’est par le biais du site Web de la PSEA que nous avons appris que de nouveaux critères pour les “specialist rooms” (laboratoires et salles pour sujets techniques) ont été publiés. Sans consultation aucune, il a été décidé que la largeur des salles doit être de 60m2. De plus, les subsides pour ces salles seront désormais accordés sur une base prorata. Ce qui fait que ceux qui ont déjà des salles de 50m2 auront 20% de moins. Ce qui constitue un procédé extrêmement injuste. La PSEA est censée veiller sur le bien-être des collèges privés. Malheureusement, elle agit comme un mandarin qui impose des décisions sur les collèges en violation des principes établis », constate Bashir Taleb. « C’est une méthode révoltante qui affecte chaque école dans son fonctionnement. Il n’y a pas l’esprit du dialogue. C’est pénalisant », ajoute-t-il.

Des décisions prises derrière les rideaux

Ce n’est pas la première fois que les infrastructures des écoles sont appelées à être rehaussées. Mais dans le passé, cela s’est toujours fait en consultation avec les managers. Pour Rajiv Roy, cette décision sur les “specialist rooms” est significative de la mentalité qui prévaut au niveau de la PSEA. « Jusqu’ici, cette décision était abordée lors de discussions concernant la mise en œuvre de la “grant formula” qui est renouvelable tous les trois ans. Le dernier exercice a été effectué en 2015 et concernait la période 2016-2018. Le comité avait décidé d’octroyer une “bloc grant”. C’est-à-dire, au lieu d’évaluer chaque salle séparément chaque année afin de décider du montant des subsides, la PSEA avait décidé que les subventions accordées en 2015 seraient maintenues pour 2016-2018. Elle se réservait le droit toutefois de faire des inspections sporadiques. La nouvelle formule devait être décidée en 2018. Or nous sommes déjà en octobre 2018 et nous ne savons pas encore ce que la PSEA a décidé pour les trois prochaines années », s’insurge Rajiv Roy. Et d’ajouter : « Nous avons l’impression que les collèges privés sont marginalisés et que les décisions sont prises derrière les rideaux à notre insu. »
« Nous ne savons quels sont les autres coups de massue qui nous attendent », renchérit Bashir Taleb. Jimmy Harmon abonde dans le même sens : « Alors que nous ne savons pas quel quantum nous obtiendrons pour les trois prochaines années, on ne peut pas nous demander d’agrandir notre bâtiment. C’est une mauvaise gestion de l’éducation nationale », rajoute-t-il.
« Nous demandons que des consultations aient lieu le plus vite possible entre la PSEA et les managers afin de dissiper toutes les inquiétudes et toutes les confusions et de dégager une politique claire pour les prochaines années », réclament les trois managers.

Programmes inappropriés dans le “extended stream”

Abordant le remplacement des écoles prévoc par des “extended schools”, les trois managers soutiennent que la PSEA veut imposer un programme d’études bien qu’ils soient coupés des réalités du terrain. « Avant la réforme, il y avait des prévocationnels qui accueillaient les élèves qui avaient échoué au CPE à deux reprises. Bien que nous soyons contre ce système, nous avions joué le jeu. Nous avions tant bien que mal ajusté le programme d’études de manière à introduire de nouvelles composantes comme l’agriculture, la mécanique, afin de préparer les élèves pour le marché de l’emploi. Depuis l’entrée en vigueur du “9-year schooling”, tous ceux qui ont échoué à la PSAC doivent faire un nouvel examen, un “resit”, et ceux qui sont reçus sont admis en Grade 7. Ceux qui ne passent pas, en dépit de tous les efforts, sont entrés dans le “extended stream” qui, de facto, est encore plus bas que le Prévoc », explique Bashir Taleb.

« Cet “extended stream” a un programme qui, à notre avis, est trop académique. Le paradoxe est que ces enfants qui n’ont pas réussi au resit du PSAC doivent suivre un programme proposé par la PSEA qui ne correspond pas à leur niveau », dit-il.
Comme le souligne Jimmy Harmon, ces enfants sont supposés se présenter aux mêmes examens que ceux du “main stream” en 2020. « Malgré tous les efforts effectués par nos enseignants, ils ont toutes les difficultés du monde pour suivre le programme imposé par la PSEA en raison de tous les problèmes liés à la discipline qui se présentent dans les écoles. Nous prévoyons une grande pagaille après quatre ans lorsque ces élèves se présenteront aux examens nationaux », observe-t-il.

Rajiv Roy constate que dès la première année, ces enfants éprouvent de très grandes difficultés scolaires. « Malgré cela, nous leur demanderons de se présenter aux examens nationaux après quatre ans. C’est absurde », affirme-t-il. « Nous sommes très tristes pour ces enfants qui ne savent pas lire et qui ont besoin d’un meilleur encadrement. Ce dont les autorités ne semblent pas être conscientes », ajoute-t-il en déplorant que le programme proposé déjà inapproprié soit modifié toutes les deux semaines. «C’est un programme figé que les enseignants sont malheureusement obligés de suivre. Le programme du Prévoc, même si nous n’étions pas d’accord sur ce point, était assez flexible pour qu’on puisse ajouter des éléments. »

« Nous demandons la permission d’introduire des matières techniques susceptibles de donner confiance à ces enfants. Il faut éviter à tout prix l’école unique. Ces enfants savent qu’il y a une stigmatisation à leur encontre et ils savent qu’ils sont obligés de suivre ce programme. Vous imaginez le problème que cela peut poser dans les écoles. Il faut donc les aider à développer leurs talents dans leurs domaines de compétence », observe Jimmy Harmon. « Il est grand temps pour nous de penser à l’introduction de l’école technique », souligne-t-il.

Par ailleurs, le gouvernement a introduit un système de soutien au niveau primaire qui ne marche pas comme il le faut. « Il est grand temps que des travailleurs sociaux entrent en scène après les heures de classe pour connaître les raisons pour lesquelles une catégorie d’enfants échoue. Si ces enfants atteignent le Grade 6 sans savoir lire, c’est tout le système qui s’écroule », disent les managers.

Donner l’accès au HSC à tous les élèves

L’admission en Lower Six l’année prochaine constitue un autre contentieux. Car les élèves devront avoir cinq “Credit” au “School Certificate” pour obtenir l’admission en Lower Six. Bashir Taleb souligne que Cambridge a ses propres critères et demande que l’élève ait un “Credit” dans les matières qu’il choisira pour les examens du HSC. « Est-ce qu’un élève qui a trois “Credit” et qui n’a pas échoué, c’est-à-dire qui a réussi à son examen d’anglais, ne pourra pas viser plus haut pour atteindre le HSC et aller a l’université ? » se demande Bashir Taleb.

Les trois managers constatent que les nouvelles mesures ne servent à rien et violent le principe de justice sociale. « Les ressources humaines sont le principal atout du pays. Est-ce qu’il n’est pas de notre devoir de donner à un plus grand nombre de Mauriciens l’accès à des études plus poussées ? Ce serait dans l’intérêt de notre pays », soulignent-ils.
« Nous ne sommes pas pour le nivellement par le bas, mais il s’agit de tout le système éducatif qui est en jeu. Il faut donner l’occasion à tous les élèves du pays de terminer leur HSC », insistent -ils. Car autrement, selon eux, la réforme de l’éducation n’atteindra pas ses objectifs.

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