Les décorés du 12 mars 2020 – De tout, un peu mais l’appareil du parti, les prix de consolation et le socioculturel ne sont jamais très loin

Elle est tombée comme tous les ans à la même date. Même si la fête de l’Indépendance n’a pas été célébrée en grande pompe cette année et qu’elle a été réduite à un lever du drapeau au Réduit, la liste des décorés, rendue publique le jour le 12 mars, n’a, elle, pas dérogé à la règle.

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Un coup d’oeil à cette liste laisse voir qu’il y a de tout, un peu, pour répondre à un impératif d’équilibre ethnique et pluridisciplinaire, pour satisfaire des éléments de l’appareil du parti, pour décerner des prix de consolation et, bien sûr, pour récompenser le socioculturel.

Les trois bénéficiaires de la plus haute distinction républicaine, le Grand Commander of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean (GCSK) est la vice-Première ministre et ministre de l’éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun. Celle qui est un élément clé de la « Jugnauthie » a déjà été promue numéro 3 sur le front bench et affublée du titre honorifique de vice-Première ministre. Elle a aussi l’avantage d’être la colistière du Premier ministre Pravind Jugnauth à Quartier-Militaire/Moka. Ce n’est pas rien !

Les deux autres récipiendaires du GCSK présentent un tout autre profil. Le professeur Robert Louis Garron, 89 ans, d’abord. Il est un juriste français qui est une vieille connaissance de l’île Maurice et qui a aidé à l’élaboration et à la réactualisation des lois à la fin des années 1970. Il aussi été chargé de cours à l’Université de Maurice pendant deux ans, de 99 à 2001. Sa plus récente collaboration remonte à 2011, lorsqu’il a été sollicité pour une réforme du Code civil et du Code de commerce mauricien. Robert Garron est aussi l’auteur d’un ouvrage intitulé « Itinéraire d’un professeur au long cours ». Un livre autobiographique qui raconte une carrière mouvementée qui l’a vu commencer comme marin. Selon les résumés qu’en a fait la presse française, les récits de Garron « font voyager au coeur des océans, vers les continents les plus lointains, sur les vieux cargos d’autrefois. Ils nous font partager les tempêtes, la belle monotonie de la mer et le défoulement excessif des escales : l’ivrognerie, les bars à matelots, la contrebande, les bordels ».

Evolue également loin de nos rives tout en étant bien Mauricien, le Dr Sudhir Hazareesingh, celui que la rubrique « Faits et effets » citait récemment comme le type même de la réussite du lauréat de la bourse d’Angleterre, un jeune à la tête bien pleine et au parler impeccable. Il avait décroché la bourse en 1980.

Le spécialiste des grandes figures françaises

Celui qui est aujourd’hui professeur à Oxford est reconnu comme un spécialiste de certaines figures marquantes de l’histoire française comme Napoléon et De Gaulle. A part ses ouvrages consacrés à ces hommes publics de l’hexagone, il a aussi publié « Le Grand Orient de France sous le Second Empire et les débuts de la Troisième République » et, plus récemment, en 2017, « Ce pays qui aime les idées, histoire d’une passion française ».

Certains esprits chagrins pourraient contester le choix fait d’honorer deux « expats », mais le Mauricien Sudhir Hazareesingh mérite amplement la distinction qui lui échoit. Imaginons ce fils de notable intellectuel, grand commis sous le régime postcolonial travailliste, revenu à Maurice et contraint de côtoyer nos bien trop médiocres « académies » et devoir subir le Speaker et la MBC ! Il n’aurait jamais connu un tel épanouissement personnel et intellectuel…

Un palier plus bas, c’est le titre de Grand Officer of the Star and Key of the Indian Ocean (GOSK). Le premier qui décroche la timbale est un politique en la personne de Goolabchund Goburdhun. L’habitant du No 8, qui est aussi connu sous le nom courant de “Vinod”, s’est joint au MSM en 2000.  Candidat sous la bannière de ce parti dans sa circonscription de résidence en 2005, ce comptable de profession ne réussit pas à trouver un siège au Parlement, mais, resté fidèle au Sun Trust, il sera, après la victoire de Lalians Lepep en 2014, nommé à la présidence de la Mauritius Cooperative Central Bank en pleine faillite avant d’être absorbée dans la Maubank avec la National Commercial Bank (ex-Bramer Bank). Il est aussi désigné comme membre du conseil d’administration de la State Investment Corporation. Il vient d’atterrir aussi au conseil d’administration d’Air Mauritius.

Faits également GOSK, monseigneur Alain Harel, évêque de Rodrigues, Michel Lan Kwet Hian, le fondateur du groupe Dragon Electronics qui commercialise les marques LG et Ariston, entre autres, de même que Satterdeo Peerthum, qui, lui, avait déjà été deux fois décorés du Commander of the Star and Key of the Indian Ocean et du Officer of the Star and Key of the Indian Ocean.

« Serial fauteur »

Cette nouvelle distinction pour le vice-président de l’Arya Sabha est plutôt surprenante dans la mesure où elle est loin de correspondre aux valeurs républicaines. Satterdeo Peerthum avait, en effet, été condamné à une peine de prison et son permis de conduire avait été suspendu pour une période de deux ans pour avoir provoqué la mort de Jean-Gérard François.

La cour avait également relevé que le coupable était un genre de « serial fauteur », puisque ses antécédents indiquaient qu’il avait écopé de plusieurs sanctions pour infraction au Code de la route. Compte tenu de son âge au moment des faits, 78 ans, la cour avait néanmoins accepté que sa peine soit commuée en  travaux communautaires.

Pour rester dans le socioculturel, le défunt Virendra Ramdhun a aussi été fait GOSK à titre posthume. L’ancien président de la Hindu House, qui est décédé le 23 octobre 2019, s’est beaucoup fait remarquer lors de ses sorties publiques. En 2017, alors qu’il accueillait Pravind Jugnauth à Grand-Bassin, il avait provoqué quelques remous en affirmant : « Nou ki fer éleksion. Lakanpagn ki fer éleksion. Ki problem si Prémié minis vinn dan Grand-Bassin ? Lané prosenn nou met enn guesthouse isi. PM res isi pandan enn sémenn. »

Après le socioculturel, le culturel pour une distinction inférieure dans la hiérarchie, Commander of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean. Dans la catégorie CSK, on retrouve l’essayiste Issa Asgarally, le sculpteur Dyaneswar Dausoa, Carl de Souza, écrivain, pédagogue, sportif de haut niveau et conseiller de la ministre Leela Devi Dookun-Luchoomun, le médecin Sudhiersen Kowlessur et l’ancien député du No 9, Rajcoomar Rampertab.

Privé de ticket aux dernières élections générales, l’homme de loi s’était fait remarquer en novembre 2017. « Mo éna trois degrés. Yerrigadoo ine allé, zotte ine remplacé. Soodhun ine allé, zotte ine remplacé. Dayal ine allé, zotte pane remplacé. Et mo tousel pé travay dans No 9. Ti bizin éna considération pou moi » non sans avoir annoncé que « très probablement mo pou démissionné ! » s’était-il écrié, vraiment dépité. Ce prix de consolation pour avoir été évincé de la liste des candidats pourrait n’être qu’une mise en bouche, puisqu’il est aussi annoncé comme le prochain ambassadeur en Malaisie.

Pour compléter les CSK, Mahen Sookun et Mugesh Veerabadren, ancien dirigeant de la Port Louis Harbour and Docks Workers Union et un ancien du MMM passé dans le camp de la plate-forme militante de Steven Obeegadoo. A chacun sa forme de récompense, même si l’on a longtemps chanté « Dan lalit pena rekonpans ».

Pas moins de 14 récipiendaires pour le Officer of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean (OSK) : Mlle Pee In Cheung Leung Chung, plus connue comme soeur Georgette, Goorooduth Chuckun, Fey Basdeo Dookhit et Shailendra Kumar Singh Dusowoth, ancien diplomate de carrière fraîchement nommé à la PSC après avoir siégé à la DFSC.

Beau temps pour Prem Goolaup

Dans la même catégorie, on peut dire que c’est vraiment du beau temps pour Prem Goolaup, directeur de la météo qui avait pris sa retraite l’année dernière pour mieux retourner en février dernier; le Dr Baboo Chandraduthsing Gowreesunkur, ancien président du Medical Council et fondateur du laboratoire Green Cross : Mme Madoobala Jeetah, Aboo Swaley Joomun, Gerard Louis, chanteur et compositeur de la chanson du 12 mars 2020 “Larmoni lanatir” et proche collaborateur de la nouvelle députée Sandra Mayotte ; Eric Milazar, athlète mauricien et conseiller au ministère des Sports, Govindarajen Payaniandy, Roopsen Puddoo, Rajesswur Soukhee et Mooneswar (Kreshan) Teeluck.

Place ensuite aux fonctionnaires de carrière pour le President’s Distinguished Service Medal (PDSM). En haut de la liste, Mario Hannelas, haut cadre de la Mauritius Revenue Authority qui a piloté le département des gros contribuables, Heman Jangi, celui qui était en première ligne dans les enquêtes sur Navin Ramgoolam avait d’être muté à la tête d’un autre service.

On ne sait pas pour l’heure si ce n’est qu’un avant-goût pour plus de récompenses et de reconnaissance du MSM et s’il n’y a pas un poste de commissaire de police à la clé. Dans la même catégorie, le Dr Deodass Meenowa, chef du service vétérinaire public, et Mlle Indira Devi Ujoodha.

Pour clore la liste des distinctions les plus importantes : les Member of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean (MSK) : Noémie Alphonse, la très vaillante handisportive, Atmanand Mahunty Aatma Ramanah, Mme Ramila Babajee, Krishnaduth Bhoyrag, Mme Shitra Burtony, le Dr Shunjay Dulmur, Dineshsing Goburdhun, Deepack Gungah, Fazal Ahmad Jafajul, Suroojdeo Jankee, Gérard Lepoigneur, ancien syndicaliste dans le secteur éducatif, Mme Danwantee Lobind, Vinod Anand Pittoo, Mahomed Reshad Monaff, Harrydev Ramdhony et le regretté Ramlochun Sohan.

La personnalité la plus connue qui figure au bas de la liste des décorés circulée le 12 mars est Dean Tirvengadum, le conseiller du Premier ministre adjoint Ivan Collendavelloo, décédé dans un triste accident en août de l’année dernière. Celui qui avait été percuté par un forklift sur son lieu de travail avait démarré sa carrière politique au Mouvement républicain de Rama Valayden avant de se rapprocher du MMM et finir au ML.

En parcourant la liste des décorés, nombreux seront ceux qui se poseront la question de savoir si ceux qui méritent vraiment une distinction républicaine et qui l’ont obtenue l’auraient quand même acceptée s’ils savaient qu’ils se retrouveraient avec des personnes qui sont très loin d’incarner les valeurs républicaines.

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