Les dessous d’un déficit financier (partie 1)

INDERJEET MUNOHUR 

- Publicité -

Les défis auxquels nous faisons face sont multiples et concernent un ensemble complexe de problèmes : contrer les pertes de productivité et rehausser la compétitivité sur le marché externe ; maîtriser l’érosion de l’intégrité du secteur financier et ses risques ; répondre au problème de la dette publique, entre autres. Sur le plan social : générer les conditions favorables à l’élimination de la pauvreté ; créer les conditions et opportunités pour un avancement social et stopper le morcellement de la société mauricienne.

Opportunités et Contraintes

Avec l’essoufflement de l’économie nationale et l’opacité internationale grandissante, l’avenir devient très incertain. Les risques d’instabilité financière pour un petit pays comme Maurice sont forts. La grande avancée matérielle que le pays a effectuée depuis le début des années 1980 semble toucher à sa fin, alors qu’il ambitionne davantage l’intégration à l’économie globale et à jouer un rôle encore plus important dans le développement de la région.

Quels ont été nos manquements ?

En 2008, le pays enregistrait pour la dernière fois un taux de croissance supérieur à 5%. À compter de 2012, le taux plafonne à 4%, mais la trajectoire de croissance maintient une certaine stabilité pendant les années qui suivent – grâce notamment à une croissance provenant du tourisme, des finances et du real estate. Le gouvernement a pris appui sur cette stabilité pour renforcer une redistribution horizontale des richesses et pour soutenir un niveau de vie visant à la consolidation d’une société de consommation et d’une croissance du PIB balancée. La consommation devient rapidement un impératif, une exigence sociale pour le maintien du bien-être général ainsi que pour le maintien de la croissance. Cette politique d’accroissement de la consommation est d’ailleurs restée une constante depuis maintenant plus d’une décennie. Le secteur FTE (finances, technologie et électronique), le commerce et les services publics, l’immobilier et le tourisme maintiennent leurs avancées ; mais les gouvernements qui se succèdent abandonnent peu à peu l’économie locale en ne développant aucune stratégie visant à rehausser la productivité et à redynamiser la production locale par la voie du progrès technologique. Ceci aurait eu pour effet de rééquilibrer le marché de l’emploi domestique et de dynamiser davantage le commerce extérieur afin d’aller vers un taux de croissance soutenue sur les moyen et long termes. Ainsi, tout indique que nos gouvernants ont entièrement orienté la croissance vers les exportations, augmentant ainsi notre dépendance sur les instabilités de l’économie mondialisée et affaiblissant nos capacités de résilience.

Exportations en baisse

En 2018, l’économie mauricienne affiche un taux d’ouverture dépassant les 97%, ce qui signifie simplement que 97/100 du PIB dépend du commerce international – imports et exports confondus. À Maurice, la balance commerciale (visible balance) est constamment déficitaire alors que la balance des services (invisible balance) est constamment en surplus de par la nature même de notre économie. Mais les amplitudes grandissantes de cet écart deviennent inquiétantes et témoignent d’un glissement que nous aurons du mal à contrôler en cas de contingence internationale. En 2018, le montant des importations de marchandises s’élève à Rs 192 milliards (Mds) alors que l’exportation des biens et des services nous procure un revenu de Rs 80,5 Mds. En autres mots, Rs 80,5 Mds d’entrée en termes de revenu contre 192 Mds de sortie. Ce qui indique que les revenus n’ont pas seulement repris la porte de sortie vers l’étranger pour payer la note des importations, mais qu’il nous a fallu sortir encore bien plus de revenus pour combler le déficit qui l’accompagne.

La perte de l’effet multiplicateur

Nous sommes dans une situation où les importations représentent une somme prodigieuse qui, chaque année, quitte notre espace économique. Il n’est bien évidemment pas du tout souhaitable ni possible de nous diriger vers une situation d’autarcie économique en consommant uniquement du local. L’étroitesse de notre territoire nous force à prendre appui sur le commerce extérieur, et il est souhaitable que Maurice reste ouverte sur le monde afin de tirer tous les bénéfices de la mondialisation. Le problème vient plutôt du fait que nous ayons perdu les moyens de retenir une partie des revenus provenant de nos exportations par la consommation du local. Si nous avions orienté, par exemple, 25% de ces recettes vers la production locale, nous aurions produit un puissant effet multiplicateur aux bénéfices des entreprises locales, au marché de l’emploi, à une croissance stable, grâce notamment à une balance commerciale moins déficitaire et une dette mieux contrôlée. En fi n de compte, payer les importations produit un exode des revenus et une explosion du déficit commercial, et donc de la dette. Et cette tendance n’est pas prête à s’atténuer, s’aggravant même d’année en année. Les prévisions pour l’année en cours sont de Rs 129 Mds, à cause notamment d’importations supérieures à Rs 200 Mds (avion, éoliennes et trains Metro Express inclus) sur un PIB de quelque Rs 500 Mds – statistiques inquiétantes.

Le pourquoi de ce déficit

Premièrement, ce déficit persistant est le résultat du déclin irréversible de l’économie sucrière. Ce déclin fait d’ailleurs maintenant partie du discours officiel comme étant un défi cit structurel, donc de nature permanente. Ce déficit n’a pas alarmé outre mesure les autorités vu que les pertes sucrières étaient en partie compensées par d’autres revenus – liés notamment au tourisme, à l’investissement mauricien à l’étranger, à l’offshore et au secteur manufacturier. Mais au fil des dernières années, ce déficit ne s’est pas estompé. Il a au contraire pris l’ascenseur mettant à risque l’équilibre de la balance de paiements. Ce sont maintenant les revenus provenant des investissements transfrontaliers (FDI) et le décaissement des réserves qui viennent assurer cet équilibre.

Le pays mise sur l’économie globale

Un déficit de cette envergure sur le compte de l’importation des marchandises a été accepté pendant toutes ces années parce que le pays a opté pour l’économie globale et s’est adapté avec diligence aux normes internationales, comme le prescrit le FMI, la Banque mondiale, ou encore l’Union européenne. Notre partenaire européen est d’ailleurs devenu une voix forte au sein des mécanismes de prises de décisions puisque la majorité des investissements directs des étrangers à Maurice provient de l’UE. Le renforcement de cette politique d’ouverture visait surtout l’internationalisation des entreprises mauriciennes pour un commerce global plus productif, un secteur entrepreneurial encore plus globalisé et l’essor des secteurs des innovations de pointe dans un cadre géopolitique régional et africain. Les décideurs ont misé sur le fait que les gains du global serviraient de contrepoids aux pertes du local, tout en confortant l’avancée du pays dans ses ambitions régionales. Il y a là beaucoup de sens car la géopolitique africaine fait aujourd’hui entièrement partie de la stratégie de développement de Maurice. Notre pays continue à avancer, avec pragmatisme et réalisme, dans son destin régional – qui se traduit dans le fait de devenir un point de passage obligé pour les flux de capitaux, de technologies et de travaux allant de l’Europe et de l’Asie vers l’Afrique, et vice versa. Il faut d’ailleurs reconnaître qu’il ne s’agit aucunement d’une ambition nouvelle, portant la marque du pouvoir du jour, mais d’une stratégie qui se dessine depuis plusieurs décennies maintenant. L’immédiat post-indépendantiste du pays fut celui de l’établissement des institutions et des stratégies de l’Etat-Nation et fut marqué, entre autres, par l’architecture d’une diplomatie régionale élaborée et mise à exécution par les gouvernements successifs depuis les années 70 [L’OCAMM : Organisation commune africaine malgache et mauricienne], entre autres.

L’économie domestique passe au deuxième Plan

Est-ce la poursuite de ce destin régional qui explique en partie la légèreté avec laquelle la production locale a été reléguée au second plan ? Nous faisons face actuellement à une facture de quelque Rs 200 Mds d’importations de produits de consommation. La consommation étant indicatrice de bien-être, celui- ci devrait être manifeste et l’optimisme devrait régner. Mais le secteur des PME souffre. Plusieurs exemples tels que vêtements et accessoires, viande et produits de mer, légumes et fruits, témoignent d’un abandon progressif de la production locale par les importations quelquefois de qualité et de source incertaine mais aux prix plus faibles que ceux produits localement. Les concurrences souvent déloyales, par les commerces informels, que les autorités ont gérées avec insouciance, ont aggravé la situation. Avec l’arrivée de grandes structures de commerce, nos petites entreprises traditionnelles sont finalement détruites, provoquant des pertes d’emploi et du savoir-faire artisanal et vocationnel. Les corps de métier prirent un mauvais coup et le glas sonna pour la petite économie, tributaire historique du système de la plantation, avec pour résultat la destruction des mécanismes économiques qui étaient garants du bon fonctionnement de l’ascenseur social.

Nous voyons ainsi, clairement, se dessiner depuis plusieurs années un changement de direction qui comporte certains avantages mais dont les conséquences pourraient devenir désastreuses sur le long terme. À travers l’augmentation de notre dépendance sur le système global et sur l’explosion spectaculaire de la dette publique, nous nous enfonçons de plus en plus dans une situation d’affaiblissement inquiétante de la résilience de notre société.

Nous explorerons, dans une deuxième partie, les enjeux et les conséquences sociales et sociétales de ce shift économique. 

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour