Les Présidents de la République : Des hommes de parti, oui mais…

  • Certains, comme Cassam Uteem, s’étaient hissés au statut d’hommes d’État et Kailash Purryag se la jouait discret

Pradeep Roopun, ancien ministre des Arts et de la Culture, privé d’investiture aux dernières élections générales, a été fait Président de la République, lundi dernier, quelques heures après que l’Assemblée Nationale a procédé à son élection sur motion présentée par le Premier ministre. Suivant un exercice similaire, le candidat battu du Muvman Liberater à Curepipe/Midlands, Eddy Boissézon, a été désigné vice-Président de la République.

- Publicité -

Ce ne sont pas des élections qui ont soulevé un grand enthousiasme au sein de la population. Bien au contraire. Qu’un candidat fraîchement battu, après avoir été contraint de fuir sa circonscription antérieure, soit choisi pour occuper la vice-Présidence, et qu’un apparatchik du Sun Trust qui a activement participé à la dernière campagne électorale dans la circonscription du Premier ministre atterrisse à la Présidence de la République ont de quoi hérisser ceux qui se font une très haute idée des institutions et de leur fonctionnement, libre de toute influence partisane.

Il y a aussi la manière de sélectionner ceux qui sont appelés à occuper les postes de Président et de vice-Président. Pradeep Roopun et Eddy Boissézon sont apparus comme des candidats de la dernière heure.

Dès que leurs noms ont été confirmés, lundi, ils ont, à juste titre, été qualifiés d’hommes de parti. Cela n’a, évidemment, rien de bien inédit. Mais il y a des hommes de parti et il y a ceux qui, tout en ayant eu une affiliation partisane, ont été et sont capables de se comporter en hommes libres de leurs pensées et de leurs actes.

Un premier projet de République, piloté par l’alliance MSM/MMM, avait avorté en 1990, faute d’une voix acquise mais forfait à la dernière minute, sous l’impulsion de Navin Ramgoolam, expressément back from London pour faire échec au projet.

Mais ce n’était que partie remise. Après son écrasante victoire de 57/3 contre une alliance PTr/PMSD aux élections de septembre 1991, l’alliance MSM/MMM dispose d’une majorité de trois quarts pour changer la Constitution et introduire la République, mettant ainsi fin à la tutelle monarchique de la reine d’Angleterre comme chef de l’État de l’île Maurice indépendante.

Le projet voté, le gouvernement MSM/MMM de faire coïncider jour de l’indépendance et Republic Day. Et c’est le 12 mars 1992 que Maurice devient officiellement une République. Sir Veerasamy Ringadoo est alors à la State House en tant que Gouverneur Général.

Tranquille transition

Sur les recommandations de Sir Anerood Jugnauth soucieux de ne pas bousculer le vieux travailliste et fidèle compagnon de Sir Seewoosagur Ramgoolam, le gouvernement MSM/MMM décide de faire de Sir Veerasamy Ringadoo le premier Président de la République. Question de réaliser une tranquille transition.

Cassam Uteem est ministre du Commerce et de l’Industrie lorsque le gouvernement le choisit pour prendre très rapidement le relais de SVR. Ce choix n’avait souffert d’aucune contestation, l’homme étant bien solide dans ses convictions et, en même temps, un excellent débatteur qui maîtrise tout à la fois l’anglais et le français.

Ce n’est, donc, pas une surprise que son élection de remplacement en 1992 au No 3 se déroule de manière calme d’autant que le principal adversaire du Dr Amanoullah Esoof, le candidat de l’alliance MSM/MMM, est Cehl Meeah du Hizbullah, le PTr et le PMSD boudant ce scrutin au motif que les élections générales de 1991 avaient été “mardaye”.

Installé à la State House le 30 juin 1992, Cassam Uteem imprime très vite son style, fête le 1er-Mai avec les travailleurs, est présent aux manifestations culturelles, accueille à bras ouverts au Réduit des personnes de toutes les couches sociales, qu’ils soient observateurs inquiets, travailleurs sociaux préoccupés et ceux qui ont des propositions pour faire de Maurice une République réussie.

Son aura était déjà reconnue qu’il confirmait tout le bien qu’on pensait de lui en 1999, lors des émeutes suivant le décès de Kaya en détention policière à Alcatraz. Sa présence sur le terrain des hostilités contribuera à calmer les esprits et à réconforter cette partie de la population en proie au doute parce que se sentant rejetée par les autorités.

Le gouvernement a changé en juin 1997 lorsque son premier mandat arrive à terme. L’alliance PTr/MMM, portée par le second 60/0, vient de se fracasser et le suspense dure jusqu’à la dernière minute quant à la possibilité d’une reconduction ou d’un remplacement.

La démission de février 2002

Le 28 juin 1997, le Premier ministre Navin Ramgoolam propose la motion pour la reconduction de Cassam Uteem au poste de Président de la République. La motion est secondée par le nouveau leader de l’opposition, Paul Bérenger.

Le Président est arrivé presque à terme de son second mandat lorsqu’une crise s’installe entre la Government House et la State House. L’objet du contentieux: certaines clauses de la nouvelle Prévention of Terrorism Act (POTA), texte introduit sous l’impulsion de l’ONU à la suite des attentats de New York du 11 septembre 2001.

Comme l’y autorise la constitution, Cassam Uteem renvoie une première fois le POTA au gouvernement pour des amendements. Et amendements il y a eu mais ils ne satisfont pas le Président de la République. Or, comme la Constitution prévoit qu’un texte revu et corrigé ou pas doit obligatoirement obtenir l’assentiment du Président, Cassam Uteem n’a d’autre choix que de démissionner sans avoir approuvé le POTA. Ce qu’il fait le 15 février 2002.

Angidi Chettiar, l’ancien trésorier travailliste installé à la vice-Présidence après Rabindrah Ghurburrun en juillet 1997, prend certes le relais de Cassam Uteem comme Président par intérim, mais il suit les conseils de son ancien parti et refuse de signer le POTA. Il démissionne lui aussi le 18 février 2002.

Et le chef juge Ariranga Pillay, en tant que président suppléant, signe finalement le POTA, un texte resté largement symbolique et dissuasif, sous lequel il y a eu très peu d’interpellations, de poursuites et de condamnations.

Pour remplir les vacances à la tête de l’État, c’est à Karl Offmann, un retraité de la politique active au sein du MSM, que l’alliance MSM/MMM porte son choix. Même profil pour la vice-Présidence, avec Raouf Bundhun qui démissionne de son poste d’ambassadeur à Paris pour celui de la vice-Présidence de la République.

La promesse de campagne de 2000 honorée

Comme aux élections de 2000, l’alliance MSM/MMM avait fait campagne sur la formule inédite d’un partage du primeministership avec les premiers trois ans pour Sir Anerood Jugnauth et les deux ans restants pour Paul Bérenger, il était entendu bien à l’avance que SAJ irait à la State House après avoir quitté son poste de Premier ministre.

La promesse de campagne fut scrupuleusement honorée. SAJ s’installe le 7 octobre 2003 à la State House et les relations s’étant considérablement réchauffées avec Navin Ramgoolam après l’humiliation publique de juillet 2005, où il avait été copieusement insulté par les partisans de l’alliance sociale, SAJ est reconduit au poste de Président de la République le 7 octobre 2008, jusqu’à sa démission le 31 mars 2012 pour retourner dans l’arène politique et prendre le relais du fils Pravind empêtré dans l’affaire Medpoint.

Cette démission étant intervenue de manière imprévue, tout comme celle de Cassam Uteem, un choix a dû être vite fait pour combler cette absence au sommet de l’État. C’est sur Kailash Purryag, alors Speaker de l’Assemblée nationale, que Navin Ramgoolam misa. Déjà à un poste qui requerrait un certain esprit d’indépendance, le choix le l’homme de parti n’avait choqué personne. Il devient Président de la République le 21 juillet 2012 après un court intérim de Monique Ohsan Bellepeau, alors vice-Présidente depuis le 12 novembre 2010 suivant le décès du titulaire Angidi Chettiar qui avait, lui-même, pris le relais de Raouf Bundhun le 24 août 2007.

Comme il avait fait avec Sir Veerasamy Ringadoo, SAJ, revenu aux affaires en décembre 2014, avait, dans un premier temps, refusé de bousculer le Président Kailash Purryag avec lequel il travaillait en bonne entente en tant que Premier ministre. Ils auront, d’ailleurs, adopté le même style de Présidence en se la jouant très discrets et en demeurant dans les limites de leurs prérogatives.

Ce n’est qu’à la veille des municipales de juin 2015 qu’il fut demandé au Président de s’en aller pour laisser la place à Ameenah Gurib-Fakim, une universitaire hors du sérail politique qui avait soulevé un bel enthousiasme dans la population au moment de son installation à la State House, le 5 juin 2015.

Mais la parenthèse enchantée sera de très courte durée, la Présidence se retrouvant au cœur de plusieurs scandales qui la poussent à la démission le 23 mars 2018. Barlen Vyapoory, qui avait remplacé Monique Ohsan depuis le 4 avril 2016, fera l’intérim au poste de Président jusqu’à étre poussé à la démission le 26 novembre par Pravind Jugnauth, fraîchement reconduit au poste de Premier ministre.

La boucle a, donc, été bouclée lundi dernier avec la désignation de Pradeep Roopun et d’Eddy Boissézon aux postes respectifs de Président et de vice-Président de la République. Le 7e Président est en place et il en est de même pour le 6e vice-président en 27 ans de République.

Hommes de parti, oui, il y en a eu depuis 1992, depuis qu’existe la République mais une mise en perspective et un rappel des faits et des contextes permettent de distinguer l’homme de parti paillasson de la personnalité capable de s’affranchir de son passé partisan et de dire non lorsque le respect des institutions l’exige.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -