Les liens de Appadoo / Curpen passés à la loupe

« C’est l’hôtel 20° Sud qui m’a induit en erreur », explique Appadoo, s’agissant de la vente du hors-bord Sweet Love Mama, au centre de la saisie record de 42,2 kg d’héroïne en novembre 2016 à l’île sœur

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– Sada Curpen s’est présenté à la Commission d’enquête, désireux de déposer. Il sera entendu « très probablement début mars »

L’ombre de Sada Curpen planait sur la commission d’enquête sur la drogue depuis quelques mois, et plus particulièrement encore mercredi dernier. Et pour cause : l’homme a souvent eu maille à partir avec la justice locale, étant impliqué dans diverses affaires liées à l’importation de drogue et le cartel du Subutex sur l’axe Maurice/Paris. De plus, son nom a été cité par divers témoins qui se sont succédé devant Paul Lam Shang Leen et son équipe. Sada Curpen était attendu mercredi pour sa déposition. Mais la convocation n’avait pu lui être délivrée. Le client de Raouf Gulbul, l’avocat qui a battu tous les records, ayant été entendu à quatre reprises par cette instance, s’est toutefois présenté hier au secrétariat de la commission. Sa déposition se fera ultérieurement. 

Entre-temps, c’est Parvin Appadoo, consultant en Texas Hold’Em Poker, et qui a officié dans diverses maisons de jeux locales, dont Pallagames, Monte Games et Ti Vegas, qui a été entendu. En point de mire : ses liens avec Sada Curpen, son « cousin lointain » et « partenaire en affaires », ainsi que son implication dans la vente du hors-bord Sweet Love Mama à Mike Brasse. Selon les dires de Parvin Appadoo, il aurait été « induit en erreur par l’hôtel 20° Sud » dans toute l’affaire de cette vente. Mike Brasse, pour rappel, vient d’écoper lundi d’une sentence de huit ans d’emprisonnement par le tribunal correctionnel de La Réunion (voir plus loin), et ce dans le cadre de l’affaire de saisie record, en novembre 2016, de 42,2 kg d’héroïne au port de Sainte-Rose, à l’île sœur. Cependant, au sujet de ses explications, face aux questions de l’ancien juge Paul Lam Shang Leen et de ses assesseurs, Appadoo aurait « mené en bateau » l’instance, pour reprendre la formule utilisée par l’ancien ministre de la Sécurité sociale et assesseur de Paul Lam Shang Leen, Sam Lauthan.

Paul Lam Shang Leen indique que Parvin Appadoo,  consultant en Texas Hold’Em Poker, habitué des casinos, tant au sein de leur gestion qu’en tant que joueur invétéré – il admet lui-même être un “zougader” –, aurait créé « plusieurs compagnies, dont la plupart sont désormais inopérationnelles ou ont déclaré faillite ». La convocation de Parvin Appadoo devant la commission d’enquête sur la drogue hier se voulait une séance d’explications, notamment sur ses liens avec Sada Curpen ainsi que son implication dans la vente du hord-bord Sweet Love Mama à Mike Brasse.

Paul Lam Shang Leen a commencé par lister quelques-unes des compagnies créées par Parvin Appadoo, qui s’est lui-même présenté comme « self-employed », tout en étant « consultant en Texas Hold’Em Poker pour le compte de divers casinos, dont Pallagames, Ti Vegas et Monte Games ». Il explique que « la plupart des compagnies sont en liquidation et que les affaires ne sont pas bonnes ». L’ancien juge Paul Lam Shang Leen l’a longuement questionné sur ses emprunts des institutions bancaires différentes s’agissant de la gestion de ses compagnies, ainsi que ses acquisitions en termes d’immobilier, bâtiments et terrains. Le président de la commission a souhaité avoir accès aux comptes bancaires du témoin ainsi que de ses proches. Parvin Appadoo a été marié deux fois et est père de cinq enfants, issus de ses deux unions.

Paul Lam Shang Leen : Est-ce que, personnellement, vous avez déjà loué un bâtiment ou un terrain ?

Parvin Appadoo : Oui, j’avais un bâtiment commercial au Hochet, Terre-Rouge, que j’ai vendu.

PLSL : À qui ?

PA : Je ne me souviens pas du nom de la personne… La transaction a été effectuée en décembre 2015.

PLSL : En parcourant votre compte conjoint, tenu avec votre épouse, on retrouve en effet la trace de locations pour ce bâtiment, à hauteur de Rs 14 000 mensuellement.

PA : En effet.

PLSL : Alors expliquez-nous comment cette compagnie versait ces locations au nom de Sada Curpen alors que ce dernier, à cette époque-là, se trouvait en prison ?

PA : C’est de l’argent que je lui devais. Je lui avais emprunté de l’argent et c’est par ces locations que je le remboursais.

PLSL : Nous savons que c’est la compagnie Nand Motors qui lui versait ces locations…

PA : Cela n’a duré que trois mois.

PLSL : Comment avez-vous fait la connaissance de Sada Curpen ?

PA : Quand j’étais en France… Il se trouve qu’il est aussi parenté à moi, nous sommes cousins. Puis je le rencontrais aussi souvent au Champ de Mars…

PLSL : Vous êtes partenaire en affaires avec lui ?

PA : Je l’ai été à un certain moment.

PLSL : Un business de confection de t-shirts ?

PA : En effet. Et c’est pour cette affaire-là justement que je lui devais des sous.

PLSL : Vous avez également créé le No Limit Pub ? Quelle était sa fonction ?

PA : C’était un pub… et aussi un restaurant. Mais les affaires n’ont pas marché. J’ai dû fermer.

PLSL : Vous y avez déjà organisé l’anniversaire de Sada Curpen ?

PA : Jamais ! Ce n’est pas là-bas que cette fête a eu lieu. Je sais de quoi vous voulez parler. Je vais vous expliquer. C’est dans un club qui se trouvait à Ébène que cette fête a eu lieu. Mais ce n’est pas moi qui étais en charge là-bas.

PLSL : Mais vous étiez présent à cette fête. Apparemment, il y avait là des policiers, des membres de l’ADSU et même des présumés trafiquants…

PA : Ça, je ne sais pas…

PLSL : Comment s’appelle ce club ?

PA : Amnesia.

PLSL : Et soudain, vous êtes frappé d’amnésie, à votre tour… Quand je parcours votre compte bancaire conjoint avec votre épouse, je ne trouve pas de trace de la vente de ce hors-bord…

PA : Zot finn tronp mwa !

PLSL : Qui vous a trompé ?

PA : La compagnie 20°  Sud.

PLSL : Ce n’est pas une compagnie, c’est un hôtel.

PA : C’est ça. Un certain M. Noël devait faire la transaction d’achat du bateau. Et l’hôtel lui a réclamé le paiement par chèque.

PLSL : Qui est cet André Joseph Noël pour vous ? Comment êtes-vous liés ?

PA : Je ne le connais pas. Mais j’étais sans emploi. J’avais besoin d’argent. Il m’a proposé Rs 10 000 si j’acceptais d’émettre le chèque…

PLSL : Quel est son métier ?

PA : C’est par la suite que j’ai appris qu’il est éleveur de porcs à Albion. Il m’avait dit qu’il achetait ce bateau pour faire de la pêche au gros et que ses clients sont des touristes… Se lotel kinn indwir mwa an erer, mo pa ti konn naryen dan sa tranzaksion-la mwa.

PLSL : Donc, vous voulez me faire croire que vous êtes à ce point innocent ? Un inconnu vous accoste et vous demande d’émettre des chèques. Vous ne le connaissez pas du tout mais vous acceptez !

PA : J’avais besoin d’argent.

PLSL : À quand remonte cette transaction ? 2016 ?

PA : Oui, j’avais déjà perdu mon boulot.

PLSL : Une personne est venue vous dénoncer et vous a accusé de blanchir de l’argent du trafic de drogue. Est-ce que vous avez blanchi de l’argent pour le compte des trafiquants ?

PA : Non.

PLSL : Où se trouve ce bateau actuellement ?

PA : À La Réunion. Il a été saisi.

PLSL : Et quel est le rôle de Sada Curpen dans tout ça ?

PA : J’ai toujours eu une relation amicale avec Sada. Mais je ne suis pas partenaire en affaires avec lui. Quand j’ai appris qu’il avait des problèmes avec la justice, j’ai pris mes distances…

PLSL : C’était avant l’affaire de Subutex ?

PA : Oui, quand j’ai su, je me suis éloigné de lui.

PLSL : Quand vous officiez aux casinos, où vous avez travaillé, vous n’avez pas vu de trafiquants fréquenter ces lieux ?

PA : Non, j’organise des parties de poker, je n’ai vu personne.

PLSL : Vous ne voyez pas les gens qui vont et viennent dans les casinos ?

PA : Je travaille à l’étage… Je ne vois pas tous ceux qui vont et viennent dans le casino.

Le président de la commission d’enquête sur la drogue a demandé à Parvin Appadoo de produire une série de documents, dont des relevés bancaires en son nom et celui de son épouse, afin de compléter le dossier le concernant.

« Veeren ? Connais pas ! »

Sam Lauthan est revenu sur l’émission des chèques pour le compte de l’acquisition du hors-bord Sweet Love Mama avec Parvin Appadoo. Celui-ci a répliqué qu’il était « dans le besoin ». Il ajoute : « Je ne travaillais pas et je devais nourrir ma famille. J’ai donc accepté ce “deal”… Mais je ne pensais pas que je faisais quelque chose de mal. Je n’ai jamais connu ce Mike Brasse. »

« De novembre 2015 à janvier 2016, vous avez eu des contacts téléphoniques avec Peroumal Veeren. Comment le connaissez-vous ? » a demandé Sam Lauthan. Parvin Appadoo est immédiatement passé sur la défensive, niant connaître le trafiquant emprisonné : « Mo pa konn li mwa ! Zame monn trouv li ni koz ek li. Je reconnais que j’ai des liens avec Sada Curpen, certes. Mais pas avec Veeren ! » Sam Lauthan a aussi voulu savoir si, « lors de vos déplacements en France, puisque vous vous y êtes marié, vous devez avoir fréquenté Sada Curpen ». Le témoin a répondu par l’affirmative. Il a ensuite été invité à élaborer sur « l’entourage de Curpen, ses amis, ses proches… » Parvin Appadoo a déclaré que « je les ai peut-être croisés lors de fêtes et autres sorties, mais je ne les connais pas ». Dans le même souffle, il dit ne pas connaître Preddy Chinien : « Ce nom ne me dit rien. »

En guise de conclusion, Sam Lauthan a observé : « Quand nous considérons votre parcours et votre profil d’homme d’affaires employé à son propre compte, qui travaille dans les casinos et y joue gros également, et quand nous savons que le blanchiment d’argent émanant du trafic de drogue transite entre autres par les casinos, nous ne pouvons que déduire que, soit vous êtes de mèche avec eux et vous les servez en blanchissant de l’argent pour eux, soit ce sont eux qui se servent de vous… Et que toutes ces compagnies que vous créez et qui font faillite ne sont que des prête-noms pour poursuivre ce travail de blanchiment. » Parvin Appadoo a tout nié en bloc.

Curpen attendu en mars

Son nom a été cité à diverses reprises par plusieurs témoins ayant défilé devant Paul Lam Shang Leen et ses deux assesseurs depuis le début des travaux de la commission d’enquête sur la drogue : l’avocate Tisha Shamloll, Reeaz Gulbul, ancien secrétaire de l’homme de loi, le policier suspendu Shabeer Goolamghouse, qui avait épousé sa sœur, Roobena Curpen, ainsi que le fameux Temwin Sok Samachar.

Sada Curpen est surtout connu pour son implication dans le cartel d’importation de Subutex à Maurice, maintenant démantelé, sur l’axe Plaisance/Paris, ainsi que dans le meurtre de Denis Fine, un ex-proche collaborateur. L’homme, pour rappel, est en liberté conditionnelle et doit se présenter régulièrement au poste de police de Terre-Rouge. Il doit également respecter un couvre-feu et ne doit pas être hors de sa maison après 17h. Or, il a violé ce règlement à diverses reprises.

Cette semaine, Sada Curpen devait être entendu par la commission d’enquête sur la drogue. Sa convocation était prévue le 7 février. Or, quand l’huissier devait lui présenter en mains propres sa convocation s’est rendu à son domicile, à Terre-Rouge, personne ne s’y trouvait. Cependant, Sada Curpen s’est présenté hier de son propre gré au secrétariat de la commission d’enquête sur la drogue. Il a laissé ses coordonnées et a déclaré qu’il était prêt à venir déposer devant Paul Lam Shang Leen et son équipe.

Des sources proches de la commission, l’on apprend que ce ne sera qu’au début de mars prochain que l’audition de Sada Curpen aura lieu. D’ailleurs, la commission ne siégera pas durant les prochaines semaines et reprendra ses activités début mars prochain. Mais « le rapport sera en phase de rédaction avancée entre-temps », a laissé entendre une source proche de l’instance présidée par Paul Lam Shang Leen. Ce qui porte à croire que le rapport sera très probablement présenté au Premier ministre dans les jours marquant les festivités pour les 50 ans de l’indépendance. Quant à sa présentation et sa dissémination, il faudra patienter…

Saisie record de 42,2 kg d’héroïne

La Réunion inflige 8 ans de prison à Mike Brasse

Rapide rappel de ce fait divers qui a défrayé la chronique en novembre 2016 dans le port de pêche de Sainte-Rose, à La Réunion, où les douaniers mènent un contrôle. Ces derniers se sont déplacés dans l’est en se basant sur un tuyau obtenu plusieurs semaines auparavant, à propos du passage de Mauriciens au Port-Est après une avarie mécanique. La douane passe à l’action et les occupants de deux véhicules stationnés côte à côte sont priés d’ouvrir leur malle. La pêche est miraculeuse. Le véhicule est bourré de drogue : il y a là pas moins de 42,2 kg d’héroïne, 6,2 kg de résine de cannabis et un peu d’herbes (174 g). Du carburant est également trouvé. À 3h45, le hors-bord Sweet Love Mama se pointe au quai. À son bord, trois Mauriciens : Mike Brasse, Almozo Capdor et Osman Kamil Mohamed. Les enquêteurs de l’île sœur réussissent un sacré coup de filet ! 

Le lundi 5 février, le tribunal correctionnel de La Réunion a livré son jugement dans cette affaire. Le Mauricien Mike Brasse a été condamné à huit ans de prison et les deux autres ressortissants mauriciens, à savoir Osman Kamil Mohamed, dit Azal, et Almonzo Royce Capdor, condamnés à 4 ans et 3 ans de prison respectivement.

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